Livre IV
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Chapitre IV. Origine de la première paire de nerfs crâniens

Origine de la première paireDans la région à la base du cerveau d'oùaa F dans les fig. 1 et 2 sont originaires les processus blancs progressant comme des nerfs, ainsi que nous l'avons écrit, un nerf symétrique [nerf optique]bb G dans les fig. 1 et 2 prend naissance, de loin le plus mou de tous les nerfs du corps, et dont la circonférence est plus grande que celle de tous les autres nerfs (du moins de ceux qui ne sont pas constitués de plusieurs nerfs). Car on peut trouver dans le membre supérieurcc Φ dans la fig. 2, chap. 11, et aussi le chiffre 71 et dans le membre inférieur des nerfs plus gros que ceux de la première paire, mais ils sont constitués de plusieurs nerfs joints les uns aux autres.Cheminement de la première paire Chaque nerf symétrique de la première paire[43] se dirige en avant légèrement en oblique sous la base du cerveau à l’endroit où ce dernier repose sur le sinusdd M dans la fig. 3, chap. 12, livre I contenant la petite glande [hypophyse] recevant la pituite du cerveau : le nerf sur le côté droit se dirige vers la gauche, le nerf situé à gauche va vers la droite. Au cours de leur progression, tous deux se joignentee H dans la fig. 1 ; M dans la fig. 13, livre VII non loin de leur origine, et ils se mêlent de façon telle qu'on ne peut plus distinguer le nerf droit du gauche ; aussi est-il tout à fait inutile de se demander si au cours de cette progression le nerf du côté droit reste à droite ou s'il continue son cheminement vers la gauche. Car cette jonction des nerfs [chiasma des nerfs optiques (II)] n'est autre qu'un corps commun d'où on pourrait dire que deux nerfs sont issus, bien que l'on ne puisse pas découvrir l'origine de ce corps dans la substance du cerveau et que les débuts des nerfs à cet endroit apparaissent séparés.Entrée du nerf dans l'oeil et son extension dans la tunique comparable à un filet [rétine] À partir de cette jonction les nerfsff N,O dans la fig. 13, livre VII se séparent à nouveau avant de sortir du crâne, et s'avancent dans les orbites oculaires, hors de la cavité crânienne, à travers un foramen [canal optique]gg E dans les fig. 1 et 3, chap. 12, livre I incisé spécialement pour chacun d’eux[44]. Ils se terminent entièrementhh k dans les fig. 13 et 14, livre VII, ou ε avec les membranes, chap. 18 et α, β, γ, chap. 17 dans les yeux, mais pas exactement au centre de la partie postérieure de l'oeil ; en effet le nerf qui atteint l'oeil droit s'insère plus sur la droite de la partie postérieure de l'oeil, celui qui va à l'oeil gauche entre à gauche du centre de la partie postérieure gauche ; et (comme le nerf optique droit) dès qu'il entre dans l'oeil, il s'étale et forme une tunique [rétine]ii I dans les fig. 1 et 2 ; ou E à C (G) dans la fig. 1, chap. 14, livre VII adjacente à l'humeur vitrée, entourant seulement la région au milieu de l'oeil, et très semblable à la substance très lâche du cerveau. C'est une tunique très molle, pas du tout membraneuse, aussi plusieurs anatomistes ne considèrent pas que cette tunique (les Grecs la nomment amphiblestroeides, c'est-à-dire « ressemblant à un filet ») mérite le nom de « tunique ». En réalité beaucoup d'auteurs considèrent cette tunique (quel que soit le nom qu'on lui donne) comme l'organe principal de la vision, et je poursuivrai ce point en décrivant la structure de l'oeil[45]. Pour le moment, il serait hors de propos de décrire plus longuement ces nerfs ou les yeux, alors qu'il me suffit de dire que les nerfs optiques suivent le trajet que nous avons observé, sans aucune ramification. C'est une caractéristique rare, et propre aux nerfs optiques (de même que leur jonction immédiatement après leur origine).Les nerfs optiques sont-ils creux[46] ?Bien plus, on dit qu'entre tous les nerfs du corps, seuls ceux-ci sont perforés par un canal discernable par les sens : c'est pourquoi les Grecs (principalement Hérophile et Eudème) les ont nommés poroi optikoi c'est-à-dire « canaux optiques ». Mais je peux affirmer que pour ma part je n'ai jamais rencontré de canal de ce genre, bien que j'aie observé dans ce seul but les nerfs optiques dans des chiens ainsi que dans d'autres grands animaux encore vivants, et même chez un homme dont la tête était encore chaude après la décapitation, à peine un quart d'heure après qu'elle eut été séparée du tronc, et que j’aie examiné ses nerfs avec la plus grande attention, en les gardant soigneusement dans de l'eau chaude[47]. Ce genre de canal m'est demeuré caché sur toute la longueur des nerfs, et je n'en ai jamais rencontré non plus dans leur jonction mutuelle [chiasma optique] : et cependant il devrait y avoir à cet endroit un très grand canal, si du moins les nerfs se croisent de cette façon, suivant l'opinion de Galien, pour nous empêcher de voir à tort des choses simples comme doubles[48]. En outre, pour ceux qui disputent quotidiennement avec acrimonie au sujet de ce canal et de cette jonction, sans jamais avoir examiné ces parties, je veux bien ajouter ici deux faits que j'ai observés à cet endroit, pour qu'ils en nourrissent leurs vaines spéculations. Donc à Padoue, je reçus pour une dissection publique le corps d'un adolescent qui avait été pendu, et à qui on avait brutalement arraché l’oeil droit l'année précédente, ainsi que le cadavre d'une femme, qui avait également subi le châtiment de la pendaison, et dont l'oeil droit s'était atrophié depuis l'âge le plus tendre, alors que le gauche était intact. Chez la femme, le nerf optique droit était plus fin que le gauche sur toute sa longueur, non seulement dans la partie où il s'insérait dans l'oeil, mais également à son origine dans la partie droite de la jonction des nerfs ; outre qu'il était plus fin, ce nerf du côté droit était plus dur et plus rouge à la vue, comme chez l'adolescent d'ailleurs, chez qui cependant le nerf droit n'était pas encore moins gros ou moins mou que le nerf gauche. Il y eut encore un autre sujet chez qui nous avons vu que les nerfs optiques ne se joignaient pas mutuellement à l’endroit où ils auraient dû se toucher et se joindre, mais chez qui le nerf du côté droit se tournait vers le côté gauche avant même de sortir du crâne. Comme si la jonction des nerfs [chiasma optique] n'avait pas eu pour but de les réunir, mais bien de permettre à chacun d'eux de quitter commodément le crâne par son foramen individuel, d'autant plus qu'en progressant ainsi ils s'inséraient pas au centre de la partie postérieure de l'oeil.

×Rappel : le nerf optique est donc le premier nerf crânien, selon la numérotation héritée de Galien, De usu partium IX, 8.
×Somme toute, Vésale décrit correctement le « trajet » du nerf mais l’inverse car il ne comprend pas que ce nerf amène au cerveau les informations sensorielles recueillies sur la rétine.
×Cf. Fabrique VII, chap. 14, p. 643-650.
×Littéralement : troués. Cf. Galien, Utilité des parties X, 12 et XVI, 3 : Galien considère que les nerfs optiques sont intérieurement creux pour laisser passer le pneuma provenant du cerveau. Cf. Heinrich Von Staden, « La théorie de la vision chez Galien : la colonne qui saute et autres énigmes », Philosophie antique, 2012, 12, p. 115-155.
×On constate l’indifférence complète de l’anatomiste par rapport à la vivisection animale.
×Cf. Galien, Utilité des parties X, 14.