Les Œuvres complètes
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Le fait est que lui-même mit la main à l’ouvrage avec tant de zèle que lors de la troisième séance de dissection à laquelle il assistait, répondant à l’exhortation de ses professeurs surpris de cette innovation et aux prières de ses camarades, il réalisa une dissection publique de sa propre main, beaucoup mieux que celles qu’il avait jamais vues auparavant. Ensuite, lors d’une deuxième dissection publique, il montra les muscles moteurs de la main et les viscères de l’abdomen plus soigneusement que d’habitude. Donc, ce fut à Paris, sous Dubois, que notre héros fit ses premières armes dans la pratique de la dissection ; de là vient qu’il loue celui à qui il doit le respect toute sa vie et qu’il reconnaît sa grande dette à son égard ; il lui a toujours montré de la déférence et a toujours accordé beaucoup de prix à l’amitié du professeur, mais jamais aux dépens de la vérité.

Cependant, pour bien faire comprendre quelle était la méthode d’enseignement de l’anatomie à Paris à cette époque et ce que Vésale doit à Dubois, il vaut la peine d’aller rechercher dans la vérité des faits ce qui se passa réellement et de l’exposer dans l’ordre, ainsi un juge équitable pourra examiner la vérité impartialement. Habituellement, Dubois lisait aux étudiants les livres de Galien sur l’Utilité des parties ; lorsqu’il arrivait à la moitié du premier livre, là où on commence enfin à traiter de l’anatomie, il disait que ces choses étaient trop difficiles pour être comprises par des étudiants en médecine : s’il continuait, disait-il, il allait torturer en vain ses auditeurs comme lui-même. Il faisait alors un grand saut jusqu’au quatrième livre et l’ayant abordé, il le continuait jusqu’à une partie du dixième livre. Ensuite, tout en omettant des passages intermédiaires, il lisait les derniers livres de telle sorte qu’il achevait la lecture de l’ensemble du traité en cinq ou six jours. Il exposait en même temps les livres de Galien Sur les muscles, mais aucun autre livre d’anatomie. Et il n’avertissait jamais ses auditeurs que tout ce qui était écrit dans Galien n’existait que chez les animaux. Aussi, malgré sa présence physique, il n’enseignait rien sauf ce que n’importe qui pouvait apprendre à partir de ce qui avait été écrit par Galien lui-même. Il n’avait pas une seule fois disséqué un cadavre humain pour montrer aux élèves la structure des parties, mais il prenait soin d’apporter quelquefois dans les écoles des parties de cadavres de chiens, afin de s’acquitter ainsi de sa démonstration anatomique. Et même ces dissections de chiens étaient réalisées seulement par des chirurgiens sous la direction du démonstrateur, tandis que le professeur dictait et dissertait ensuite sur les parties qui avaient été montrées. Les séances de dissection ne duraient pas longtemps, elles étaient achevées en moins de trois jours. Après avoir terminé sa lecture et libéré ses auditeurs, Dubois, revenant quelquefois sur ses pas, put éprouver l’application de ses élèves en les surprenant occupés dans le travail de dissection. Un jour, il dit au cours de sa lecture qu’il ne pouvait pas trouver les petites membranes de la veine artérieuse [artère pulmonaire] apposées à l’aorte ; et le jour suivant, après la lecture, revenant vers ses élèves, ceux-ci, parmi lesquels était Vésale, lui montrèrent les mêmes membranes. Cependant Vésale avait exhorté ses camarades et, avec eux, il avait rassemblé dans le cimetière des Innocents une riche collection d’ossements qu’il examinait souvent pendant plusieurs heures. Un jour, pour se procurer certains spécimens, il alla avec un de ses camarades jusqu’aux grands amoncellements d’os qui se trouvent sur la butte de Montfaucon et qui proviennent des cadavres de pendus habituellement déposés à cet endroit ; et il les disputa à des chiens féroces dans un tel combat qu’il craignit de payer de sa vie le châtiment pour tant de chiens qu’il avait tués pour ses expériences d’anatomie.