Les Œuvres complètes
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Grâce à ces efforts, il fit de tels progrès à Paris que, devenu un maître en cet art par sa propre diligence, surpassant rapidement et de loin Dubois par sa dextérité manuelle, il fut plus d’une fois chargé de démonstrations publiques, bien que lui-même reconnût ouvertement qu’il était encore assez peu dégrossi à cette époque. Tous ces faits font voir combien était vraie la réponse qu’il rendit publiquement à Dubois lorsque ce dernier le pressait mal à propos : à savoir qu’il n’avait pas appris l’anatomie chez lui. Heureusement, pendant son séjour à Paris, il fut aussi l’auditeur de lectures médicales faites par le célèbre rénovateur de la pureté de l’art, Jean Fernel d’Amiens, qu’il se glorifie avec reconnaissance d’avoir eu comme professeur. Enfin il écouta aussi Johann Guinter d’Andernach, un homme dont les hasards se sont étonnamment ri et moqués, mais qui fut cependant notoirement loué pour son immense érudition ; il le cultiva, il le fréquenta. Guinter d’Andernach enseignait à cette époque l’anatomie à Paris, il disséquait quelquefois des cadavres et il écrivit des Institutions anatomiques dans une langue latine pure et dans un style clair et simple, suivant l’ordre de Galien et ayant emprunté la matière uniquement au seul Galien. C’était un fin connaisseur de la langue grecque qu’il avait enseignée auparavant à Louvain. Il reconnaît ouvertement dans son livre publié en 1536 qu’Andreas Vesalius, apothicaire de l’empereur, a pour fils un jeune homme d’un grand avenir ; et dans la seconde édition de 1539, publiée à Metz, il avoue candidement que pour compléter ce travail, il a eu recours à la main d’André Vésale, un jeune homme très appliqué à l’étude de l’anatomie, et ne déméritant pas d’un professeur de pure médecine. Et dans le petit livre qu’il publia sur la médecine ancienne et moderne, à la fin de l’année 1569, cinq ans après la mort de Vésale, il rapporte de même qu’André Vésale s’était consacré aux travaux d’anatomie et qu’il lui en avait fait des démonstrations à Paris[19]. Vésale pour sa part rapporte qu’une grande partie de ses études était due à Guinter, dont il dit qu’il fut un maître très docte et un grand humaniste, mais sans mentionner ses travaux anatomiques. Par ailleurs, Johann Dryander, professeur de mathématiques et de médecine à l’école de Marbourg, avait publié un livre d’anatomie, dans lequel il montrait comme étant les siennes des images prises partout dans les livres des autres, avec impudence et arrogance, mais sans connaître l’anatomie pour autant ; après quoi, il écrivit à Johann von Echt[20], médecin réputé à Cologne, que Vésale s’était montré ingrat envers lui en écrivant son anatomie. Il l’accuse en même temps, parmi d’autres griefs, d’avoir passé sous silence les plus célèbres médecins et professeurs d’anatomie de son temps. Mais le plus reproche le plus grand qui lui soit fait est de ne pas avoir reconnu Guinter comme son maître en anatomie. Alors la virulence de cette honteuse accusation enflamma le noble caractère de Vésale au point qu’il fut obligé de se laver de cette noire tache d’ingratitude et de témoigner publiquement qu’il respectait le très illustre Johann Guinter, à divers titres, qu’il l’honorait en tant que professeur et pour les écrits qu’il avait publiés, mais qu’il préférait se voir infliger autant de blessures sur son corps que de fois où il avait vu Guinter tenter de découper des cadavres d’hommes ou d’animaux, sauf à table avec des convives. Il ajoute enfin, à contrecœur, qu’il en appelle à la conscience de Guinter et lui demande si ce n'était pas à lui, Vésale, que Guinter devait ce qu’il avait osé proclamer comme étant de lui-même dans ses livres d’anatomie, en-dehors de ce qu’il avait trouvé dans les livres de Galien, qui sont un bien commun à tous.

×Il s’agit probablement du traité De medicina veteri et nova tum cognoscenda tum faciunda commentarij duo, Basileæ, ex officina H. Petri, 1569.
×Joannes Echtius (1515-1576), médecin néerlandais du milieu du XVIe siècle, étudia à Wittenberg puis en Italie, il exerça à Cologne et fut en relations épistolaire avec des humanistes et des botanistes, Clusius et Dryander entre autres. Il est cité dans la Lettre sur la racine de Chine (Ep. Rad. Ch.), op. cit., Bâle, Ioannes Oporinus, 1546, p. 177 et 178. Cf. Biographisch Woordenboek der Nederlanden (van der Aa), Haarlem 1852-1878, deel V, p. 4 ; M. Biesbrouck, T. Goddeeris, O. Steeno, « Johann Bachoven von Echt (1515-1576) and his Work on Scurvy: an Omen of Vesalius Death? », Acta medico-historica Adriatica, 2018, 16 (2), p. 27-62.