Les Œuvres complètes
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Et il dit cela publiquement, quand Guinter étant encore vivant et florissant. Et l’autre ne répondit pas le moindre petit mot, pas même quand il publia ses propres ouvrages, longtemps après le triste trépas de Vésale. Et puisque Riolan, curieux de tout ce qui regarde l’anatomie, savait parfaitement tout cela, il n’avait pas besoin de faire enfler la haine contre Vésale de cette manière détournée, en disant qu’il avait été peu reconnaissant envers Guinter d’Andernach, après l’avoir honoré autrefois en termes propres ; mais jamais Vésale n’avait dit qu’il lui devait son anatomie, mais seulement une grande partie de ses études. Il reconnaît qu’il doit aussi être reconnaissant à Nicolas Florenas pour sa méthode d’apprentissage dans l’art d’Hippocrate.

Nous ne pouvions pas transmettre l’histoire des études de Vésale négligemment ni passer sous silence les maîtres qu’il a eus pour étudier les préceptes de la médecine. Ne devions-nous pas noter soigneusement d’une part les progrès qu’il fit à Paris sous de tels maîtres, dans quelle matière et dans quelles proportions, et d’autre part, ce qui doit être porté au crédit de son propre zèle, afin que n’importe quel juge puisse juger impartialement de ces questions ? L’Italie, avec la France, a trop dénigré les justes mérites de Vésale ; en effet, bien qu’il appelle les médecins parisiens ses maîtres, il est cependant important de savoir jusqu’où il convient de comprendre cet éloge.

Revenu à Louvain pour ses études, après le début de la guerre contre la France, Vésale pratiqua une dissection pour ses camarades, et, par ce spectacle inhabituel, attira sur lui l’attention de toute l’académie de Louvain. De quelle ardeur d’apprendre il était alors mû, nous le savons par un exemple. Ayant quitté Paris, de retour à Louvain, à cause des troubles dus à la guerre, il se promenait un jour avec Gemma Frisius, un homme de très grande renommée. Le hasard conduisit leurs pas vers un endroit où on avait l’habitude d’exposer en public les cadavres de criminels ayant subi la peine capitale, pour faire un exemple. Vésale observa le corps d’un voleur encore attaché au gibet, qui n’avait pas été complètement brûlé sur des bottes de paille l’année précédente ; les oiseaux l’avaient si bien dépouillé de ses tendres chairs que le squelette apparaissait parfaitement dénudé et blanchi, ne tenant ensemble que par la force des ligaments. Vésale qui était depuis longtemps en quête d’un tel butin sans l’avoir obtenu encore, se réjouit et veut en prendre possession. Avec l’aide de Gemma, il se hisse sur la potence, détache les principaux os des membres du corps pendu, et les ramène chez lui en cachette, les uns après les autres ; le tronc restait attaché avec la tête et le thorax par une chaine en fer au sommet du gibet, de sorte qu’ils ne pouvaient être détachés facilement ni être emportés à la maison. À la nuit tombante, l’audacieux jeune homme sortit de la ville et supporta de rester hors des murs pendant toute une nuit ; seul au milieu de la nuit, au milieu de l’horrible spectacle de cadavres pendus tout autour de lui, au prix de grands efforts, et avec beaucoup d’ardeur, il monta sur la potence, arracha tous les os en tirant fortement, les rassembla soigneusement, les enterra loin de là dans un lieu dissimulé à la vue, et ensuite les ramena les uns après les autres en cachette chez lui ; il acheva de monter ce squelette qu’il disait mensongèrement avoir apporté avec lui de Paris, par crainte du préteur, et ensuite il le montra publiquement dans ses leçons. Quel acte audacieux et exposé au hasard ! Mais qui ne fut plus nécessaire par la suite, le préteur urbain concédant avec générosité les cadavres de criminels punis par la peine capitale[21]. C’est en se stimulant ainsi, lui et ses camarades, que Vésale commença

×L’anecdote est empruntée à Vésale lui-même dans Fabrica I, p. 161, www.biusante.parisdescartes.fr/vesale/?e=1&p1=01162&a1=f&v1=00302_1543x01&c1=40