Les Œuvres complètes
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Assurément, les planches qui représentent les parties décrites dans le texte surpassent par le grand éclat de leur beauté et l’aspect vrai de leur nature toutes celles qu’on ait jamais pu voir. Des index placés à côté des images expliquent les choses représentées avec tant de soin et avec une si grande précision que rien n’est laissé à désirer en elles ; et quand on considère le texte, on reste admiratif devant le labeur de cet Homme qui, avec une attention incroyable et un talent stupéfiant, assigne à chacune des plus petites particules décrites une figure référencée dans la marge, avec une telle exactitude que si quelqu’un lit les descriptions tout en regardant en même temps les figures, il pensera écouter l’explication de l’anatomiste sur les parties démontrées sous ses yeux. Il y a une chose en particulier dont il faut tenir compte quand on examine les figures des muscles, à savoir que dans son ouvrage, l’auteur a présenté ces figures dans un autre ordre que dans l’Epitome. En effet ici [= Fabrica], il propose de suivre les muscles au gré des besoins de la démonstration, comme l’anatomiste les montrerait tous dans un seul corps à un spectateur attentif, lorsque successivement il les prépare, les isole, en ôte certains et en laisse d’autres en place, toutes les fois où il pratique une dissection publique dans un théâtre. Notre auteur faisait généralement une dissection de muscles par an, en hiver, dans trois académies italiennes, et il veillait à ce que des artistes peignissent des « portraits » des cadavres dont il disposait au cours des démonstrations. On ne peut concevoir quelle aide précieuse il a procurée aux professeurs publics de cet art si utile : ils ont en effet un guide qu’ils peuvent suivre en toute confiance à travers cet inextricable labyrinthe [du corps] ; grâce à ce fil, celui qui avance à l’aveugle peut contrôler sa démarche pour correctement entreprendre et mener à son terme la démonstration complète de tous les muscles, tendons ou ligaments dans un seul corps. Vésale explique tout cela à fond dans sept livres ; et partout, il renvoie aux écrits de Galien, il compare les opinions de Galien avec ce qu’il a observé lui-même, et enfin il corrige les erreurs par une critique et un jugement si pénétrants qu’il semble parfois avoir une vue trop perçante !

Il conclut finalement que Galien a décrit ce qu’il a exploré, non pas dans des corps d’hommes, mais dans des corps d’animaux. Quel trouble à la suite de cette découverte ! Que de larmes ! Jusqu’alors les anatomistes avaient dit partout que Galien était infaillible, et ils l’avaient suivi en tout. Donc l’erreur attribuée à Galien était un blâme adressé à tous les anatomistes. Des vieillards à la réputation bien établie ne supportèrent pas l’affront infligé par un jeune homme qui n’avait pas encore achevé sa vingt-huitième année, et pour se débarrasser de cette offense qu’ils jugeaient intolérable, ils s’armèrent d’envie, de haine et de rage ; le chef de la troupe des assaillants fut Jacques Dubois (Sylvius), célèbre professeur de l’école de Paris, médecin très érudit assurément, doté d’un esprit semblable à celui dépeint par Estienne avec ses propres couleurs dans son Apologie d'Hérodote[31]. Dans son grand âge, il était incapable de devoir oublier ce qu’il avait enseigné aux jeunes !

Vésale n’avait que vingt-cinq ans quand il commença son grand ouvrage : il écrivit en effet le onzième chapitre du premier livre l’année suivante aux calendes d’août 1542. Il le termina à Padoue ; il acheva les planches au prix d’un travail surhumain, tant en préparant des cadavres qu’en régissant les yeux, les mains et l’esprit de l’artiste[32]. Il semble qu’il ait principalement eu recours au peintre Jean Estienne (Johannes Stephanus ou Jan Stephan), un artiste remarquable de cette époque, dont le travail et le zèle lui furent particulièrement précieux en 1539,

×Titre abrégé du traité publié en 1566 par Henri Estienne, L’Introduction au traité de la conformité des merveilles anciennes avec les modernes ou Traité preparatif à l’Apologie pour Hérodote. Cf. éd. critique de ce pamphlet polémique et satirique contre le catholicisme par B. Boudou, Genève, Droz, 2007.
×Bel éloge de l’anatomiste opifex.