Les Œuvres complètes
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Ce livre, excellent traité d’anatomie, frappa vivement Vésale. Il en vit bien la vérité, mais à la cour de Madrid, privé de tout matériau anatomique, au point de ne pouvoir se procurer un seul crâne, il attendait en vain que se présentât une occasion opportune pour reprendre l’exercice de son art. Il prépara cependant une réponse et la termina le 27 décembre 1561, à Madrid, à la cour du roi. On comprend aisément que cet écrit ne pouvait avoir la même qualité que celui de Falloppio et qu’il n'était pas représentatif des connaissances que Vésale avait eues autrefois dans ces matières. En effet, pendant vingt ans, il avait été éloigné de l’anatomie, manquant de tout instrument d’anatomie et d’occasion d’examiner un cadavre, tout entier soumis à l’étiquette de la cour, prisonnier de ces liens, niant le vrai, se contentant d’affirmations peu prouvées ; néanmoins, en-dehors de cela, on trouve aussi beaucoup de bonnes choses dans ce livre. Il avait adressé sa réponse à Falloppio, et l’avait confiée à Paolo Tiepolo, ambassadeur de Venise à la cour d’Espagne, avec mission de la lui donner à Padoue. Mais la guerre empêcha l’ambassadeur d’arriver à Padoue avant la fin de l’année 1562, alors que Falloppio était déjà mort. Tiepolo garda le manuscrit et ne le fit pas connaître, jusqu’à ce que Vésale, en route pour Jérusalem, s’occupât à faire éditer le texte à Venise le vingt-quatre mai 1564. Vésale a mal supporté les observations de Falloppio et il se plaint que le plus subtil de ses disciples d'autrefois dans l’académie de Padoue, qui a tout pris de lui, ait tourné contre son maître ses propres armes : « Il a osé me tuer, m’assassiner et me déclarer publiquement proscrit du monde entier, à ce qu’on dit », écrit-il[46]. Mais assurément, si Falloppio avait vécu assez longtemps pour voir cette réponse, il aurait eu assez de quoi répondre. Voyez la Chirurgie[47]où, après les propos précédents, Vésale dit que les muscles moteurs du mouvement volontaire des yeux ne sont pas au nombre de cinq, comme le pensent à tort Colombo, Valverde, Falloppio et Berengarius, mais sont sept en tout[48], s’il plaît à Dieu.Y aura-t-il quelqu'un pour mettre fin à cette accusation d’ignorance qui lui est attachée ? Il passa le reste de sa vie d’abord à la cour de l’empereur où il avait été appelé peu de temps après l’année 1543, et où sa grande science dans les soins et dans les pronostics était admirable[49]. En effet, alors qu’un individu avait une tumeur d’une grosseur étonnante, située près des reins, mettant dans l’embarras Adolph Occo, Achille Pirmin Grasser[50], illustres médecins d’Augsbourg, Vésale fut appelé en consultation, et conclut immédiatement, après exploration, à une dilatation de l’aorte. L’autopsie révéla que l’artère était très dilatée et pleine de sang coagulé, comme Vésale l’avait prédit. Tous en furent soulevés d’admiration. Alors que l’ambassadeur, le comte Maximilien de Buren, revenu d’Angleterre à Bruxelles en 1548, souffrait d’une inflammation de la gorge, Vésale pronostiqua au malade - avec quelle sûreté exceptionnelle de jugement ! - l’heure de sa mort et quasiment le moment. Le comte de Buren, accablé par la nouvelle, ordonna de préparer un banquet avec un grand apparat, exposa ses trésors et sa vaisselle d’argent et invita tous ses amis ; alors qu’il était à table avec eux, il distribua des cadeaux avec une extrême générosité, prononça un ultime adieu, son esprit n’étant troublé en rien ; ensuite il se coucha sur son lit et expira à l’heure et au moment indiqués par Vésale[51].

×Chirurgia II, in Boerhaave et Albinus, Vesalii Opera omnia t. II, p. 948.
×La citation serait extraite de la Chirurgia si on accepte l’interprétation des initiales portées à cet endroit V.C. (vide Chirurgica) proposée par Farrington, op. cit., p. 71, mais le passage en cause n’a pu être retrouvé.
×Il y a en fait six muscles oculomoteurs responsables du mouvement d'un œil.
×Sur les Consilia de Vésale, cf. J. Vons et S. Velut, Epitome, op. cit., p. XXXI, note 84 (liste de consilia) ; M. Biesbrouck, Editions of Vesalius’Works and the Vesalian Letters, juin 2018,http://www.andreasvesalius.be/
×Achilles Pirmin Gasser (1505–1577), né à Lindau, médecin et astronome, disciple de Copernic. Ponctuation et orthographe erronées dans le texte latin.
×Il s’agit du banquier Leonard Welser : Vésale avait diagnostiqué un élargissement artériel au niveau du thorax [anévrisme de l’aorte] dans une lettre envoyée le 18 juillet 1557 (publiée dans Obseruationum et curationum medicinalium libri tres […] D. Petro Foresto Alcmariano auctore, Leiden, 1590, p. 694-696). L’autopsie confirma le diagnostic (lettre de Gasser à Vésale, publiée dans Obseruationes medicæ e bibliotheca G. Hieronymi Velschii […], Augsbourg, J. Udalricus Rumler, 1667, p. 46 [trad. des deux lettres en anglais in C.D. O’Malley, Andreas Vesalius of Brussels. 1514-1564, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1964, p. 395 et 406]. Cf. D.C. Schechter and H. Swan, « Andrea Vesalius, surgeon », Surgery, 1961, p. 970-982 ; J. Vons et S. Velut, Résumé, op. cit., p. XXXI, note 84.