Les Œuvres complètes
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et poursuivi jusqu’en 1564. Combien précieux eût été ce trésor que nous avons perdu et dont nous ne pouvons que déplorer la perte !

En outre, dans la description des parties, il est très attentif à toutes les choses, même les plus petites, qui ont trait à la vraie physiologie. Cela est visible partout, par exemple dans le gonflement des artères et des veines pour expliquer le flux menstruel des femmes, ce qu’il explique parfaitement. Toutes les fois où il doutait ou restait dans l’ignorance de quelque chose, il avouait son ignorance modestement, avec candeur et en toute franchise, et en honnête homme il gardait le silence. Parfois se défiant de ses propres yeux et trop crédule à l’égard de Galien, il croyait qu’il s’était trompé lui-même. Ce qui l’avait retenu en dispute pendant sa jeunesse, par exemple de savoir de quel côté saigner une veine en cas de pleurésie, lui apparut de peu d’importance ensuite. Il reconnut ses erreurs et révéla lui-même celles qu’il avait commises dans son ignorance en décrivant les fibres du cœur. Dans la seconde édition il corrigea sévèrement tous les passages dont la véracité lui paraissait maintenant moindre. Il a cependant laissé certaines fautes, principalement dans les passages où il traite du larynx, de la langue, des yeux et des reins. Comme Eustachi avait attiré l’attention sur elles et les avait souvent rapportées à Rome, d’autres s’en sont emparé et en ont fait grief à Vésale. Mais ce fut son ardeur à précipiter l'éclosion de ce qui était en germe qui engendra cet aveuglement. Quel mortel en effet aurait pu soustraire à cette hâte téméraire l’esprit de celui qui combattait pour la palme dans l’arène de la gloire ?

Par ailleurs, le pinacle où s’était hissé Vésale excita immédiatement et de toutes parts des esprits dont les mérites dans les progrès de l’anatomie sont remarquables. La plus grande partie vient de son école ; tous ont été enflammés par son exemple. Les hommes suivants se distinguèrent : Nicolas Massà et Angelo di Forte[59]à Venise. À Paris, puis à Metz, Johann Guinter d’Andernach, et Johann Dryander à Marbourg ; à Paris, Jean Fernel, Charles Estienne, Jacques Dubois et Louis Vassé. À Zurich, Conrad Gessner ; à Padoue, Bassiano Landi[60]et Gabriele Falloppio ; à Mayence, Walter Hermann Rijf ; à Francfort, Jodocus Willich Borussus[61] ; à Zurich, Léonhart Fuchs ; à Valence, Luis Collado[62] ; Renatus Henerus et Juan Valverde en Espagne ; Realdo Colombo à Pise ; à Bologne, Bartolomeo Maggi[63], Volcher Coiter[64], Giulio Cesare Aranzi[65] ; à Ferrare, Giovanni Battista Canano ; à Pavie, Gabriele Cuneo, Martyr Tronus[66] ; à Montpellier, Guillaume Rondelet ; à Bâle, Félix Platter qui célèbre Vésale comme son professeur sur l’inscription de son squelette à Bâle[67]. Mais un homme, de loin supérieur à tous les autres, domine à Rome : Bartolomeo Eustachi de San Severino, surpassant tous les autres par son érudition en anatomie et sa pratique de l’art, un homme incomparable par la réussite et la justesse de ses planches dessinées qui représentent la nature du corps humain[68]. Il affirme qu’il les possédait en 1552, déjà terminées, et il semble qu’il les ait agencées [en se conformant] à la rigueur de la dimension géométrique[69], de sorte à pouvoir comparer les écrits de Galien et de Vésale avec la nature elle-même, et ainsi mettre fin aux litiges entre les parties adverses. L’examen des images suffit à le prouver, tout comme le poème de Pini placé en tête des planches l’assure.

×Angelus Fortius (?-?), médecin et astrologue vénitien, auteur d’un traité De mirabilibus vitae humanæ naturalia fundamenta, publié à Venise en 1543 et 1555.
×Bassianus Landus (15..-1562), professeur de médecine à Padoue, assassiné en 1562 par un soldat. Auteur d’un traité De humana historia, publié à Bâle en 1542.
×Jodocus Willich (1501-1562), médecin et humaniste, fit ses études à l’université de Francfort Il est l'auteur d'un important ouvrage de cuisine, Ars Magirica, publié après sa mort en 1563 par son gendre, Conrad Gessner.
×Sur le rôle de Luis Collado (1520-1589), médecin et anatomiste à Valence, cf. B. O. Skaarup, Anatomy and Anatomists in Early Modern Spain, Farnham, Ashgate, 2015, p. 46-53.
×Bartolomeo Maggi (1516-1562), enseigna la chirurgie à Bologne et fut médecin du pape Jules III. Il est l'auteur principal du traité De sclopettorum et tormentariorum Vvlnerum natura, publié à Venise en 1566, préconisant, comme Ambroise Paré à la même époque, une nouvelle méthode pour soigner les blessures des armes à feu. Cf. G. Gentili, La vita e l'opera di Bartolomeo Maggi (1516-1562), Bologne, 1966.
×Volcher Coiter ou Coyter (1534-1576), médecin et naturaliste néerlandais, élève d’Ulisse Aldrovandi, a suivi les leçons de Falloppio à Padoue, d’Eustache à Rome et de Rondelet à Montpellier.
×Julius Caesar Arantius (1530-1589), célèbre anatomiste de Boulogne, fut un disciple de Vésale et enseigna l’anatomie et la chirurgie pendant 33 ans. Il a donné son nom au canal veineux d’Arantius.
×Petrus Martyr Tronus,(?-ca.1584) né à Novarre, auteur d’un traité De ulceribus et vulneribus capitis, Ticini, 1589. Lorsque Vésale revint à Padoue en décembre 1543, il pratiqua la dissection publique de la jeune prostituée du moine puis partit pour Pise en comagnie du médecin Petrus Martyr Tronus. Cf. S. N. Joffe, Andreas Vesalius: The Making, The Madman, and the Myth, Bloomington, 2014, p. 142.
×Après Vésale, il n’y eut plus de dissection publique à Bâle jusqu’au 6 avril 1559, date à laquelle Félix Platter disséqua publiquement un voleur décapité la veille, avec l’autorisation du Conseil de Bâle, sur la recommandation de François Jeckelmann, son beau-père. Il prépara le squelette qu’il remonta et conserva [éd. consultée : Mémoires de F. Platter, médecin bâlois, Genève, 1866, p. 91].
×Bartolomeus Eustachius, Bartholomée Eustache (c.1510-1574), né à San Severino, anatomiste et médecin, professeur de médecine pratique à La Sapienza de Rome, opposé à Vésale. Ses Planches anatomiques sont annoncées dès 1564, dans les Opuscula anatomica, elles seront léguées à Petro Matteo Pini d'Urbino, son élève et son héritier scientifique, mais ne seront redécouvertes qu’au XVIIIe siècle par Lancisi, archiatre du pape Clément XI, qui les achète et les publie en 1714. Elles seront plusieurs fois rééditées au cours de ce siècle, notamment en 1744 par Albinus, à Leyde, chez J. A. Langeraak et J. H. Verbeek. Cf. M. Ruel-Kellermann, Introduction au Libellus de dentibus d’Eustache (1563), p. 6 et 16,http://www3.biusante.parisdescartes.fr/eustache/intro.pdf.
×L’auteur a respecté les dimensions géométriques de son modèle, c’est-à-dire les dimensions relatives des parties, leurs proportions.