L. 316.  >
À Claude II Belin,
le 24 mai 1653

Monsieur, [a][1]

C’est à plusieurs fins que je vous écris derechef : 1. pour vous donner avis que monsieur votre fils [2] a changé de logis, et qu’il est mieux nourri et plus soigneusement pansé qu’il n’était chez M. Le Moine ; [3] il est logé avec une blanchisseuse rue de la Harpe [4] chez un chapelier, à la Main fleurie, à la troisième chambre vis-à-vis de la Gibecière, bien près de l’Arbalète. [1] 2. Il se porte mieux, Dieu merci ; sa fièvre ne sait plus tantôt sur quel pied danser : la dernière a avancé de quatre heures, qui est une marque infaillible d’une certaine diminution ; les purgatifs [5] qu’il a pris lui font merveille, mais comme c’est un corps tout atrabilaire [6] où il n’y a presque plus de feu, mais beaucoup de charbon et de cendre pareillement, cuius est indies iugis proventus et perennis generatio[2] je le purgerai encore ; 3. afin que vous sachiez que j’en aurai soin jusqu’au bout. 4. Pour vous faire connaître que vos intérêts me touchent sensiblement, je vous prie de lui mander et commander comme de vous-même (sans qu’il sache jamais que ceci vienne de ma part) que vous désirez qu’au plus tôt il s’en retourne dans le coche à Troyes. [7] Ce changement d’air tel qu’est le nôtre, i. point trop bon, en son air natal, tout autrement plus pur, lui servira merveilleusement ad averruncandas et delendas reliquias morbi quo antehac laboravit. Et ad hoc consilium tibi suggerendum me impellit locus ipse non solum suspectus, sed etiam periculosus : est enim de genere eorum locorum quæ Ædilem metuunt, et in quibus aer ipse convalescentibus et adolescentulis est plurimum perniciosus[3] Je crois que vous m’entendez bien, sapienti dictum sat est[4] Retirez-le près de vous au plus tôt, ne si diutius hic moretur, pudendo alio et pernicioso affectu corripiatur[5] Voilà le meilleur conseil que je vous puisse donner, faites-en votre profit.

M. le maréchal d’Hocquincourt [8] s’en va commander l’armée du roi [9] de 9 000 hommes en Catalogne. [10] M. le maréchal d’Aumont, [11] gouverneur de Boulogne, [12] a refusé d’en aller commander une autre en Savoie [13] pour Pignerol. [14] Les jésuites [15][16] font ici imprimer deux nouveaux livres in‑fo contre les jansénistes, qui valent mieux qu’eux. Je me recommande à vos bonnes grâces, à MM. Camusat, Allen, Blampignon, Sorel, Barat, Maillet et nos autres amis, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 24e de mai 1653.

Tous les Français qui étaient à Stockholm, chez la reine de Suède, [17][18] sont étourdis du bateau : on leur a donné leur congé pour les folies de Bourdelot [19] qui y était premier médecin. La reine voulait retenir notre bon ami M. Naudé [20] qui y était bibliothécaire, [21] mais il a lui-même demandé son congé, ne voulant plus longtemps demeurer là tout seul. À quelque chose malheur est bon, j’aime mieux qu’il soit ici que là, tout le Nord ne vaut point ce digne personnage. On dit que les Espagnols ont assiégé Rosas. [6][22] On voit ici le cardinal Antonio [23] avec son cordon bleu, [24] et dit-on qu’il s’en va bientôt à Rome en qualité de notre ambassadeur extraordinaire.

Tournez. [7]

Peut-être que monsieur votre fils, allectus aliqua cupidine[8] vous alléguera quelque excuse, aliquam προφασιν, [9] pour ne pas retourner à Troyes. En ce cas-là faites, si vous le trouvez bon, comme le pape fait aux moines et le général à ses carabins, je dis le général des jésuites aux carabins et aux argoulets [10] du P. Ignace : [25] mandez-lui que vous voulez être obéi d’une obéissance aveugle, qu’il retourne à Troyes. La raison, que vous n’êtes pas obligé d’alléguer, peut être rejetée sur la dépense aut simile quid[11] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce samedi 24e de mai 1653.


a.

Ms BnF no 9358, fo 145, « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxvii (tome i, pages 196‑198).

1.

La rue de la Harpe suivait alors à peu près l’actuel tracé du boulevard Saint-Michel.

2.

« dont, de jour en jour, la croissance est perpétuelle et la reproduction durable ».

3.

« pour écarter et éliminer les restes de la maladie qui l’a tourmenté jusqu’ici. Et ce lieu même, qui est non seulement suspect, mais encore dangereux, me pousse à vous fournir ce conseil. C’est en effet ce genre de leiux qui redoutent l’édile, {a} et où l’air lui-même est tout à fait pernicieux pour les convalescents et les jeunes hommes. »


  1. Un lieu qui redoute l’édile (magistrat chargé de faire respecter l’ordre public à Rome) est à tenir ici pour un endroit malfamé, comme les cabarets et les bordels du quartier latin.

4.

« c’en est avoir assez dit au sage » (proverbe latin qu’on trouve aussi avec intelligenti au lieu de sapienti).

5.

« pour qu’une autre affection honteuse et pernicieuse ne s’empare de lui, s’il s’attarde ici plus longtemps. » On devine ici que Guy Patin considérait la maladie du jeune Belin comme la conséquence de ses débauches parisiennes.

6.

V. note [21], lettre 315, pour le siège de Rosas en Catalogne.

Montglat (Mémoires, page 294) :

« Le Plessis-Bellière, après avoir servi en Guyenne, reçut ordre de la cour d’aller en Roussillon pour y commander en la place du maréchal de La Mothe, qui était retourné à Paris. Il y trouva les affaires en grand désordre ; car toute la Catlogne était perdue, à la réserve de Rosas, que les Espagnols tenaient bloqué par des forts qu’ils avaient faits à l’entour ; et ils s’attendaient à un grand renfort de Naples et de Sicile pour en former le siège. Le Plessis-Bellière, connaissant l’importance de cette place, assembla toutes ses forces pour tâcher à la secourir avant que ce secours leur fût arrivé, et marcha vers le col de Pertuis pour le passer. Il n’y trouva pas tant de résistance qu’il pensait car les Espagnols se retirèrent dans leur camp et laissèrent seulement garnison dans la tour de Jonquières, qu’il attaqua le 16e de juin ; et la prit le lendemain à coups de canon. Dès qu’il eut passé les Pyrénées, il apprit que les Espagnols avaient abandonné leur fort devant Rosas et que La Férele faisait raser. Sur cette nouvelle, il approcha de cette ville ; et ayant conféré avec lui, ils trouvèrent à propos, pour s’assurer du Lampourdan, {a} de prendre Castillon- d’Ampouilles. »


  1. Rosas était la capitale du pays de Lampourdan.

7.

Le premier post-scriptum est écrit dans la marge gauche du recto ; le second est au verso de l’unique feuille de la lettre qui, repliée et cachetée, a aussi fait office d’enveloppe.

8.

« gagné par quelque désir ».

9.

« quelque prétexte ».

10.

Arquebusiers.

11.

« ou quelque chose du genre. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 24 mai 1653

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(Consulté le 29/04/2024)

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