L. 1018.  >
À Abel, dit Scévole, et Louis de Sainte Marthe,
le 19 septembre 1630

Messieurs, [a][1]

J’ai pris la hardiesse de vous écrire ce petit mot pour vous supplier d’avoir agréable que je vous présente de mes vers que j’ai faits en l’honneur de feu monsieur votre père, [2] afin que par votre moyen ils puissent être si heureux de rencontrer quelque petite place dans les premières feuilles de ses belles œuvres qu’allez bientôt mettre au jour. [1] La dernière fois que j’eus l’honneur de vous voir, vous me promîtes de me faire cet honneur-là que de les y placer en quelque petit coin ; ce fut en la rue des Mathurins, vis-à-vis du cloître de Saint-Benoît, lorsque nous parlâmes de M. Naudé, et de son livre qu’il a fait de l’Addition à l’histoire de Louis xi[2][3] Je vous envoie avec les miens ceux d’un très honnête et très savant jeune homme, nommé M. de Nully, qui est bachelier de théologie, de la Maison de Sorbonne, [4] qui par ci-devant a enseigné publiquement la philosophie dans le Collège du cardinal Lemoine, [5] par deux ans, que M. l’évêque de Beauvais [6] aime fort, et qui de présent est le précepteur du fils de M. le président de Novion, [7] qui tous sont maintenant à Villebon ; [3][8][9] lequel avant que partir m’a laissé cette épigramme, pour vous la présenter, et vous prie pour lui absent de la mettre près de la mienne en votre livre, si nous jugez capables de tant d’honneur, et si les trouvez bien faites ; sinon, je vous envoie l’éponge, [4] et vous prie d’en effacer et retrancher tout et si peu qu’il vous le plaira, voire même le tout, si le jugez à propos. Quand vous serez de retour en cette ville, je ne manquerai pas de vous en aller remercier chez vous, et d’y mener aussi M. de Nully, duquel j’ai charge particulière de vous dire que toujours il a fort honoré les œuvres et la mémoire de feu monsieur votre père ; comme ayant été homme de singulière recommandation et de grand mérite parmi les hommes de lettres. Vous y aviserez, Messieurs, remettant et soumettant le tout à votre bon jugement. Je prie seulement Dieu que les trouviez aussi bien faits que je suis, Messieurs, votre très humble et affectionné serviteur,

Guy Patin, docteur en médecine à Paris.

De votre maison de Paris, ce 19 septembre 1630. [5][10]


a.

Uppsala universitetsbibliotek, Waller Ms fr-07022 : source aimablement communiquée par Mme Caroline Chevallier, bibliothécaire chargée des manuscrits et de la musique à l’Université d’Uppasala (v. note [a], lettre 1019).

Au verso de la lettre : « À Messieurs/ Mess. de Sainte-Marthe,/ Avocats en la Cour,/ de présent à Issy,/ À Issy. » Les Sainte-Marthe possédaient une maison des champs à Issy (Issy-les-Moulineaux, Hauts-de-Seine).

1.

Scévole i de Sainte-Marthe, {a} père des jumeaux Abel (dit plus tard Scévole ii) et Louis, destinataires de la lettre, était mort en 1623.

Trois livres d’eux ou sur eux ont paru à cette époque, mais sans trace d’un éloge en vers signé Guy Patin ou Jean de Nully :

2.

V. note [17], lettre 238, pour ce livre de Gabriel Naudé publié en 1630.

3.

Jean de Nully a correspondu avec Guy Patin, son ami d’enfance.

V. note [6], lettre 83, pour Augustien Potier, évêque de Beauvais. Son frère, André Potier, seigneur de Novion, président à mortier du Parlement de Paris (v. note [23], lettre 128), avait acheté aux de Thou le domaine et château de Villebon (aujourd’hui Villebon-sur-Yvette dans le département de l’Essonne).

4.

« On dit proverbialement qu’on passe l’éponge sur une chose, pour dire qu’on l’efface, parce que les peintres s’en servent pour effacer ce qu’ils ne trouvent pas bien » (Furetière).

5.

Guy Patin était venu au logis parisien des frères Sainte-Marthe pour leur porter ses vers et ceux de son ami Jean de Nully. Ne les y ayant pas trouvés, il leur avait sur-le-champ écrit cette lettre de requête, aussi inutile que pleine d’espérance.

Georges Gilles de la Tourette (pages 26‑30) a insisté sur les solides liens d’amitié qui se sont noués entre Théophraste Renaudot et les Sainte-Marthe, Scévole i et ses deux fils, à Loudun, à partir de 1618. À Paris, par la suite, Guy Patin et Renaudot ont pu se rencontrer au sein de cette érudite famille. La présente lettre le suggère, mais sans bien sûr l’établir formellement.

Les frères Sainte-Marthe firent à leur compatriote Renaudot l’honneur de figurer dans le Tumulus de leur père, {a} avec ces vers (page 25) intitulés Imitation, qui sont une adaptation française du poème latin qui précède, In Obitum Scævolæ Sammarthani [Sur la mort de Scévole i de Sainte-Marthe], signés N. Chevalier, supremæ Vectigalium Curiæ primarius præses : {b}

« Pourquoi, divins Esprits, allez-vous honorant
De maints vers le tombeau de Scévole mourant ?
Et vous, ses chers enfants, pourquoi vos pitiés tendres
D’un marbre sourcilleux chargent-elles ses cendres ?
Ces monuments sont vains, inutiles ces vers,
Sainte-Marthe est assez connu par l’Univers,
Son plus beau monument, c’est sa ville natale,
Qu’il a su garantir de la fureur brutale
De l’ennemi prochain ; {c} et ses rares Écrits
Lui serviront d’Éloge ; Ainsi, divins Esprits,
le faix {d} de vos labeurs sur vous-mêmes retombe ;
Lui qui a tant de Vers, n’a pas besoin d’une Tombe. {e}

Th. Renaudot, médecin du roi. » {f}


  1. Paris, 1630, v. supra note [1].

  2. Nicolas Chevalier (1562-1630), premier président de la Cour des aides.

  3. En 1587, pendant les guerres de Religion, Sainte-Marthe avait évité que le duc de Joyeuse ne laissât son armée piller Loudun, ce qui lui avait valu le titre de Père de la Patrie.

  4. Fardeau.

  5. Traduction malheureuse et involontairement comique (pour l’équivoque avec les vers qui rongent les cadavres) du dernier vers latin : Carmina qui tot habet non caret et tumulo [Lui qui a tant rimé n’a pas besoin de tombeau].

  6. Renaudot est aussi l’auteur de l’Oraison funèbre sur le décès de Scévole de Ste‑Marthe… Prononcée au Palais de Loudun le 5e jour d’avril 1623, en présence des officiers et autres notables personnes de la même ville ; elle est imprimée à la fin du Tumulus (pages 251‑272), juste après celle qu’avait prononcée Urbain Grandier, curé de l’église Saint-Pierre de Loudun (v. note [1], lettre 18), le 11 septembre de la même année (pages 229‑250).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Abel, dit Scévole, et Louis de Sainte Marthe, le 19 septembre 1630

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1018

(Consulté le 04/05/2024)

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