L. latine 118.  >
À Sebastian Scheffer,
le 7 mars 1659

[Ms BIU Santé no 2007, fo 78 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine à Francfort. [a][1]

Je vous dois des remerciements particuliers pour votre bienveillance et pour l’affection que vous me portez, et me réjouis que vous n’ayez pas perdu le souvenir de mon nom. J’ai bien sûr très souvent pensé à vous, mais je vous écrirai dorénavant et ferai en sorte qu’aucune des lettres que je vous adresse ne se perde. Vous aussi pourrez m’écrire par l’intermédiaire des frères Tournes, imprimeurs de Genève qui se rendent deux fois l’an à Francfort pour vos foires ; [2][3] ils en rapportent des livres, surtout nouveaux, et j’en choisis quelques-uns dans le catalogue qu’ils m’envoient. Si vous preniez soin de faire réimprimer le Lucas Stengel[1][4][5] vous gagneriez certainement l’adhésion de bien des honnêtes gens, et mériteriez même beaucoup du genre humain en rabattant l’impudence de tant de vauriens, chimistes et semi-dogmatiques, [6][7] qui tuent ici communément qui ils veulent avec leur antimoine, [8] abusant de l’horrifiante impunité de notre siècle de fer. C’est pourquoi je vous prie de vous appliquer sérieusement à cette tâche dont, me dites-vous, vous avez le dessein. Il existe en effet bien d’autres traités de même nature qui s’ajouteraient convenablement et facilement au Lucas Stengel, sur le même sujet ; en particulier quelques thèses de médecine que je ne répugnerai pas à vous envoyer à cette fin ; ainsi, [Ms BIU Santé no 2007, fo 79 ro | LAT | IMG] à partir d’un excellent petit livre, vous confectionnerez aisément un centon contre ce médicament vénéneux, dont aujourd’hui un si grand nombre de gens abusent si misérablement ; et votre bonne action pourra ramener nos souffleurs à plus de raison. Je n’ai pas reçu votre livre de Jordanus ; je l’ai demandé au libraire Billaine, qui devait l’avoir reçu de vous pour me le remettre ; il n’était pas alors chez lui, mais sa femme m’a dit qu’ils attendent encore vos paquets de livres et que, s’ils contiennent quelque chose qui me concerne, on me le remettra sans délai et sans faute ; qu’il me soit ou non remis, je vous en remercie tout de même, mais sans comprendre ce qu’est ce livre de Jordanus. [9][10] S’il y a des libraires de Paris aux prochaines foires, ce que j’ignore tout à fait, ils me remettront ce que vous leur confierez ; [2][11] sinon, vous l’enverrez au libraire genevois Tournes, que je connais fort bien et qui m’est très attaché. Toute la rumeur sur cette herbe de Chine, qu’on appelle le thé, s’est transformée en conte ; [12] en effet, c’est pure fable que tout ce que certains vauriens et médicastres auliques[13] qui ont même trompé certains de nos grands princes, ont proclamé sur ses pouvoirs ; cette petite herbe n’en exerce absolument aucun de ceux qu’ont promis Bontius et Tulpius. [3][14][15] Nos boutiquiers le contestent, mais le vrai thé nous manque, il faudrait aller nous en chercher en Chine, mais on y substitue frauduleusement une autre herbe. Je préfère être privé de thé que d’entreprendre un si long et si pénible voyage, laissant ce soin aux compagnons de Loyola. [16] Le charme de la nouveauté trompe le monde : Et nova cuncta placent[4][17] tant en médecine qu’en matière de religion. Si vous désirez quelque chose de Paris, écrivez-m’en je vous prie. Le très savant M. Johann Peter Lotich, [18] qui a publié les Res Germanicæ en deux tomes, que j’ai ici, n’en donnera-t-il pas un troisième, ou son Pétrone enrichi de multiples additions ? [5][19] S’il vit à Francfort et se porte bien, faites-lui savoir, s’il vous plaît, que je suis ici entièrement à son service. Je salue de tout cœur monsieur votre très distingué père, [20] et vous souhaite toute sorte de prospérités. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 7e de mars 1659.

Votre entier dévoué Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fos 78 vo‑79 ro.

1.

V. note [16], lettre 516, pour l’Apologia de Lucas Stengel contre l’éponge d’antimoine (Augsbourg, 1565 et 1569), qui n’a pas été rééditée au xviie s.

2.

V. notes :

3.

Ces deux médecins hollandais ont vanté les vertus médicinales du thé (v. note [21], lettre 151) et contribué à son introduction en Europe.

4.

« Tout ce qui est nouveau plaît » ; Jacobi Augusti Thuani Elegia in Jesuitas parricidas [Élégie de Jacques-Auguste i de Thou contre les jésuites parricides] (Paris, Mamert Patisson, 1599, in‑12) :

Et nova cuncta placent, quoniam novus orbis et ille est,
Et prisca superest de pietate nihil
.

[Tout ce qui est nouveau plaît, parce que ce monde est nouveau, et il ne subsiste rien de l’ancienne piété].

5.

Johann Peter Lotich : « Histoire universelle des affaires germaniques » (Francfort, 1646-1650, v. note [3], lettre 279) et Satyricon de Pétrone (Francfort, 1629, v. note [150], lettre 150).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 78 vo.

Clariss. viro D. Sebastiano Scheffero Doct. Med. Francofurtensi.

Gratias ago Tibi singulares pro tua in me benevolentia et amore, gaudeóq. quod
nominis mei memoria Tibi planè non exciderit : certè sæpius de Te cogitavi, sed in posterum
ad Te scribam, ac efficiam ne quid pereat mearum ad Te literarum : tu quoque
poteris ad me scribere per Tornesios fratres, Typographos Genevenses, qui bis quotannis
Francofurtum adeunt, ad vestras nundinas : indéq. libros præsertim novos referunt,
ex quib. nonnullos seligo, eorum catalogo ad me transmisso. Lucam Stenglium
si novis typis mandari curaveris, certè multos bonos viros Tibi devincires, imò bene
mereberis de genere humano, ut retundatur impudentia tot nebulonum, Chymis-
tarum, et Semi-Dogmaticorum, qui stibio suo quoslibet hîc occidunt populariter,
ferei nostri seculi horrenda impunitate abutentes. Itaq. rogo Te ut seriò in-
cumbas in eam curam, déque tuo proposito me moneas : sunt enim et alij tractatus
ejusdem naturæ qui commodè et facilè Lucæ Stenglio superadderentur, de eadem materia :
præsertim Theses aliquot Medicæ, quas ad Te mittere in eam rem non gravabor :
sicque

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 79 ro.

facile ex modico libro optimo utilissimum centonem conficies adversus venenatum istud
medicamentum, quo tam multi tam misere hodie abutuntur : ^ tuóq. beneficio forsan/ poterunt ad meliorem/ mentem revocari nostri/ ciniflones. Librum tuum Iordani non
accepi : quæsivi qui à Te mihi reddendum acceperat, Bibliopolam Billaine : tunc abierat,
sed ejus uxor mihi retulit se ab ijs adhuc expectari tuos fasciculos librorum : quod si quid in
illis contineatur quod ad me spectet, tutò citóq. redditum iri : saltem gratias ago pro illo,
sive mihi reddatur, sive non : quis a. sit ille Iordani liber, non intelligo. Proximis mundi-
nis venalibus, si qui sint Bibliopolæ Parisini, quod certè nescio, quidquid illis tradideris, mihi
certò reddetur : sin minus, tutò tradetur Genevensi typographo Tornæsio, mihi notis-
simo et amicissimo. De Ch Sinensi illa herba Thée dicta, totus rumor abijt in fabulam,
fabula enim est quidquid de viribus ejus antehac prædicarunt aulici quidam nebulones
et medicastri, qui etiam ex Magnatibus nostris quosdam deceperunt : nihil omnino præstat isthæc
herbula eorum quæ pollicentur Bontius et Tulpius : ad hoc respondent Seplasiarij
nostri, verum Thée nobis deesse, aliam herbam pro vero nobis falsò substitui : quod
ex Sinarum regione nobis esset repetendum : verùm, malo eo carere quàm tam lon-
ginquam et tam molestam peregrinationem suscipere. ^ Laborem istum relinquo/ Sociennibus Loyolæ. Novitatis illicio mundus decipitur :
Et nova cuncta placent : tam in Medicina quam in negotio religionis. ^ Si quid ex hac Urbe nostra/ cupias, scribe quæso. <*> Clar. virum Dominum
Parentem tuum ex animo saluto, Tibiq. omnia fausta precor. Vale, Vir Cl. et me ama.
Dabam Parisijs, die Veneris, 7. Martij, 1659.

Tuus totus Guido Patin, Doctor Med. et Prof. regius.

<*> Dom. Io Petrus Lotichius, vir eruditissimus, qui res Germanicas tradidit duobus tomis,
quos hîc habeo, dabitne tertium ? aut suum Petronum, multis accessionibus locupletatum ?
Si valeat ac vivat Francofurti, fac, si placet ut intelligat me hîc esse sibi addictissimum.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 7 mars 1659

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(Consulté le 12/05/2024)

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