À Claude II Belin, le 3 janvier 1638, note 11.
Note [11]

L’affaire de Marthe Brossier et ses relations avec le zèle malveillant des ligueurs sont le propos de la lettre adressée de Rome par le cardinal d’Ossat au roi Henri iv, le 19 avril 1600 (ccxi, livre sixième, pages 502‑509).

« Sire,

La lettre qu’il plut à Votre Majesté m’écrire le 22e de mars, me fut rendue le 12e de ce mois ; en laquelle il Vous a plu, entre autres choses, faire mention du fait de l’abbé de Saint-Martin, frère de l’évêque de Clermont, de la Maison de Rendan, touchant cette femme prétendue démoniaque, qui fit tant parler d’elle à Paris l’année passée, et qui sera aussi le seul sujet de cette lettre, sans que j’y mêle autre chose.

Ledit jour, 12e de ce mois, auquel je reçus ladite lettre, était un mercredi ; et le lendemain, jeudi, M. de Sillery et moi fûmes ensemble et nous entre-communiquâmes ce que nous avions reçu de la part de Votre Majesté. Et d’autant que madite lettre portait que ledit abbé avait fait conduire ladite femme en Avignon, et qu’il était à croire que le pape serait au plus tôt avisé de tout ceci par ses officiers et serviteurs de ladite ville d’Avignon, je priai mondit sieur de Sillery d’en parler à Sa Sainteté le lendemain vendredi, jour de son audience ordinaire, afin de prévenir les autres et préparer Sa Sainteté, et gagner le temps de deux jours, qui étaient entre ledit jour de vendredi et le lundi ensuivant, auquel devait être Consistoire, et devant lequel je ne pouvais bonnement parler au pape. Ledit sieur de Sillery donc en parla à Sa Sainteté de la façon que nous avions arrêtée ensemble, et en eut fort bonne réponse, comme je remets à lui à vous rendre compte de tout ce qui se passa entre eux.

Le dimanche, 16e jour de ce mois, au matin, je fus avisé que ledit abbé de Saint-Martin devait arriver en cette ville ce jour-là même ; et que deux jésuites français, auxquels il avait écrit de lui trouver un logis, avaient requis le sieur de Gorgues, qui a été ci-devant conseiller au Grand Conseil, et est fils du feu sieur de Gorgues, général des finances à Bordeaux, et étudie à présent en théologie, avec intention de se faire d’Église, de vouloir prêter un appartement chez lui audit sieur abbé pour s’y loger. Ces deux jésuites s’appellent, l’un, le Père Sirmond, du pays d’Auvergne, et l’autre le Père d’Aubigny, du pays d’Anjou ; tous deux fort sages et paisibles, mais qui ne peuvent refuser semblables offices en étant requis, et ne sachant ce qui se passait. J’estimai que ledit abbé se voudrait en ce fait prévaloir des jésuites, qui sont très puissants par-deçà {a} en telles matières ; et qu’il fallait les lui soustraire, et les arrêter en leur faisant peur, et par eux encore l’étonner et modérer lui-même. J’envoyai donc, environ l’heure du dîner, prier ledit P. Sirmond, qui est fort habile homme et secrétaire de leur père général, de venir parler à moi.

Et lui étant venu l’après-dînée, je lui dis comme j’avais reçu lettres de Votre Majesté et de M. de Villeroy, auxquelles n’y avait rien de plus exprès, {b} ni que Votre Majesté montrât avoir plus à cœur, qu’une certaine entreprise qu’avait faite tout fraîchement l’abbé de Saint-Martin. Et après lui avoir ramentu {c} le bruit qui avait été à Paris l’année passée pour cette femme prétendue démoniaque, et l’arrêt de la Cour de Parlement intervenu là-dessus, par lequel il fut dit, entre autres choses, qu’elle serait ramenée chez ses père et mère, je lui racontai comme ledit abbé avait enlevé, de son autorité privée, ladite femme de la maison de sondit père et l’avait emmenée en Auvergne ; et comme ladite Cour avait donné un autre arrêt là-dessus ; nonobstant lequel, et la signification qui en avait été faite à l’évêque de Clermont, son frère, ledit abbé avait fait conduire ladite femme en Avignon, hors le ressort de ladite Cour et hors l’obéissance de Votre Majesté, avec intention, comme l’on disait, de la faire passer jusqu’en cette ville de Rome ; que cette action était prise pour un attentat fait contre la justice et contre l’autorité de Votre Majesté, et ne serait point tolérée, ayant déjà ladite Cour donné un second arrêt contre ledit abbé, où même ledit évêque de Clermont était compris. Après que je lui eus dit ce que dessus plus amplement, j’ajoutai que l’on m’écrivait de plus que, d’autant que lesdits évêque et abbé avaient été institués par ceux de leur Société, desquels ils étaient encore environnés et possédés, cet attentat faisait grand tort à la poursuite qui se faisait auprès de Votre Majesté pour ladite Société ; que je les en avais voulu avertir afin qu’ils prissent garde à leurs affaires.

Ledit P. Sirmond ne put assurer sa contenance de façon qu’il ne se montrât bien étonné ; et me répondit qu’à la vérité ledit abbé était arrivé le matin et avait amené cette femme avec lui ; qu’il les était allé voir en leur maison, mais qu’ils n’avaient fait et ne feraient aucune chose pour lui en cette affaire ; et que lui, Sirmond, dirait au père général ce que je venais de lui dire, tout aussitôt qu’il serait de retour chez eux ; que l’évêque de Clermont et ledit abbé avaient fait plusieurs plaisirs et faveurs à un collège que les jésuites avaient en Auvergne et que pour cela, eux, jésuites, ne pouvaient omettre de leur rendre certains offices communs ; mais qu’en chose qui importât tant soit peu au service ou au contentement de Votre Majesté, ils ne s’emploieraient jamais pour eux, ni pour autres ; et ne pensait pas aussi que les jésuites d’Auvergne eussent nullement trempé en ce fait ; et qu’il avait entendu d’ailleurs que ces deux prélats étaient gens de leur tête et se gouvernaient d’eux-mêmes, sans beaucoup chercher conseil ailleurs.

Je louai grandement cette bonne résolution ; et pour l’y confirmer encore davantage, je lui dis que je lui avais jusque-là récité fidèlement ce qui m’avait été écrit et l’avais averti, en ami, de ce que j’avais estimé leur toucher de fort près ; que je lui voulais parler de là en avant comme à un père jésuite, théologien canoniste, et versé en la discipline ecclésiastique et en la police civile, et en toutes autres bonnes choses ; et que je le priais de me dire librement, de lui à moi, s’il lui semblait que cette action se pût soutenir en termes de théologie ou de décrets, ou de quelque bonne et solide autorité ; qu’il me semblait à moi que ce serait une présomption trop exorbitante qu’un seul homme pensât savoir lui seul, de quelque chose que ce fût, plus que toute une Cour de Parlement, et mêmement de Paris ; qu’outre qu’il fallait toujours estimer pour les choses jugées, et mêmement par des compagnies si vénérables, il se voyait si évidemment que la Cour avait jugé très sagement et très justement d’avoir fait ramener cette femme chez ses père et mère pour y être gardée, quand bien elle eût été possédée du malin esprit. Car, après que les démoniaques avaient été exorcisés par l’Église, et que l’on avait prié et invoqué le nom de Dieu sur eux, et fait ce qui s’y était pu pour les délivrer, il ne fallait pas les abandonner à la faim, ni aux autres misères, nécessités et dangers, et moins aux fraudes et malice de ceux qui voudraient abuser de ces pauvres gens, et des calomnies du diable, à la diffamation des gens de bien et à la perturbation du repos public. Et ne se pouvait mieux faire pour telles pauvres personnes et pour le public que les remettre en la garde de leurs pères et mères, qui y sont tenus par tout droit divin, naturel et humain ; qu’après toutes ces considérations, un homme particulier, de quelque qualité qu’il fût, osât attenter contre tant de droits et contre un arrêt d’une telle Cour, et enlever et emmener hors du royaume les sujets du roi, je ne pouvais m’imaginer en vertu de quoi, ni en quelle puissance cela se pouvait faire. Quand la Cour même eût failli à juger et que ledit abbé eût été seigneur de ladite femme, temporel ou spirituel, ou tous les deux, qu’encore ne me semblait-il point qu’il eût autorité d’entreprendre sur un si grand magistrat, et sur le roi même ; et que je ne savais aucune loi de conscience, ni de zèle qui nous obligeât à faire par-dessus notre vacation, {d} et renverser l’ordre et la police, que Dieu a mise et établie parmi les hommes ; que je le priais, lui Sirmond, de me dire librement s’il lui semblait à lui autrement ; que je pouvais errer et serais bien aise d’être délivré d’erreur, fût-ce en tout ou en partie.

Ledit P. Sirmond me répondit qu’il lui en semblait à lui tout ainsi comme à moi et qu’à son avis, il n’y avait aucune erreur en cela. Alors, je lui dis que quelquefois les hommes se départaient des règles et de l’ordre commun des choses pour quelque apparence d’un grand bien ; mais que je ne savais voir quel bien ledit abbé se pouvait être proposé de cette sienne action, fût<-ce > pour lui ou pour la religion catholique, ou fût<-ce > en France ou à Rome ; qu’en France ne pouvait advenir sinon que mal à la personne dudit abbé, d’une telle désobéissance ; à présent mêmement que tous les princes, seigneurs, gentilshommes, soldats, et les voleurs mêmes, obéissaient à Votre Majesté et à sa justice ; de sorte que j’entendais que par toute la France on pouvait aller l’or à la main et qu’il ne se trouvait une seule arquebuse sur les champs ; et que je savais d’ailleurs que Votre Majesté, qui avait très volontiers oublié le passé, ne voulait point qu’on abusât ci-après de sa clémence, et moins endurer d’être bravé, comme avait fait le feu roi, {e} dont s’en était ensuivi sa ruine, et le renversement et confusion de toutes choses, et la destruction des particuliers ; et peu s’en était fallu que l’État même et la couronne, et la religion catholique n’eussent été portés par terre, sans espérance de ressource. Que de penser qu’il pût advenir aucun bien à la religion catholique d’irriter les rois et les cours de Parlement, et autres magistrats, par les catholiques qui se disaient zélés, c’était pure folie ; qu’au contraire, le moyen de profiter à la religion catholique était de mettre de notre côté les souverains et ceux qui les représentaient, par obéissance, soumission et humilité. Quant à Rome, ledit abbé ne pouvait rien avancer pour son particulier par ce désordre ; qu’au contraire, je savais qu’il faisait un notable déplaisir au pape, qui ne voulait être mis aux mains avec les cours de Parlement de France, et moins avec Votre Majesté et mêmement pour telles choses ; qu’il y avait quelquefois des occasions si importantes à la foi chrétienne et à la religion catholique qu’il nous fallait endurer même le martyre ; mais comme il était certain en général qu’il y a eu et y a au monde des démoniaques, et que la puissance de les exorciser est en l’Église ; aussi, quand il était question d’un particulier, s’il est démoniaque ou non, il y faisait si obscur, pour les fraudes qui s’y commettent et pour la similitude des effets de l’humeur mélancolique {f} avec ceux du diable, que, de dix qu’on prétendait être tels, à peine s’en trouvait-il un vrai ; et le plus souvent, les médecins ne s’en accordaient point entre eux, non plus que les théologiens et autres gens savants ; que le pape donc, et toute la Cour de Rome, estimerait moins ledit abbé pour cette action quand bien < même > cette femme se trouverait démoniaque ; tant s’en faut que Sa Sainteté s’en voulût formaliser contre la Cour de Parlement et la prendre contre Votre Majesté ; qu’au reste toute cette Cour avait appris à ses dépens combien dangereux étaient à la religion catholique ces zèles inconsidérés, et les désobéissances et bravades faites aux souverains par les catholiques qui se prétendaient zélés, et n’en voulaient point ouïr parler ; et quoi qu’on fît ici, je savais et voulais dire et protester à lui, P. Sirmond, et à tous autres en parlant à lui, qu’en France on n’oublierait de tout ce siècle les maux et les misères dont la religion catholique et l’État avaient été accablés par l’entreprise principalement de telles personnes ecclésiastiques qui faisaient cette profession d’avoir plus de zèle que le reste du Clergé ; que Votre Majesté et les princes et noblesse de France, et les cours de Parlement, et ceux du Clergé même, qui étaient rentrés en leur bon sens, ne voulaient plus se laisser assassiner sous couleur de quelque zèle que ce fût, ni par homme du monde, de quelque profession, habit, ordre, qualité ou dignité qu’il fût ; et que je le priais lui, P. Sirmond, de faire son profit de ce que dessus, tant pour soi que pour sa Société, et pour ledit abbé même, s’il lui voulait bien.

Ledit P. Sirmond ne fut pas moins étonné de cette fin qu’il avait été du commencement ; et répondant avec sa modestie et sagesse accoutumées, me dit qu’à la vérité il ne pouvait juger quel bien ledit abbé avait pu espérer de cette sienne entreprise, et ne voyait point qu’il en pût advenir aucun bien, ni à lui, ni à la religion catholique ; ains {g} reconnaissait que ledit abbé en serait moins estimé en cette Cour, et du pape même tout le premier, outre le mal qui lui en pourrait advenir en France ; qu’au reste il < se > tournait < à > m’assurer que pas un des leurs ne se mêlerait de ce fait ; et qu’au contraire, si ledit abbé les voulait croire, il s’y comporterait avec tout le respect, modestie et obéissance possible envers Votre Majesté et la Cour de Parlement. Je lui répliquai qu’ils feraient beaucoup pour lui et pour eux-mêmes. Et sur ce, il s’en retourna chez eux, et je m’en allai trouver M. de Sillery et l’avertis de la venue dudit abbé de Saint-Martin avec ladite femme, et de ce que j’avais fait avec ledit P. Sirmond.

Ce que dessus fut fait ledit jour de dimanche 16e de ce mois. Le lundi au matin 17e, avant le Consistoire, je parlai au pape et lui dis comme l’abbé de Saint-Martin, dont M. de Sillery lui avait parlé en sa dernière audience, était arrivé en cette ville avec la femme prétendue démoniaque. Sa Sainteté me répondit que, puisqu’ils étaient arrivés, il n’y avait plus de remède ; que s’ils se fussent arrêtés en Avignon, il eût pu leur commander de s’en retourner d’où ils étaient venus ; mais maintenant, de les chasser de Rome tout aussitôt, il n’y avait point de propos ; qu’au reste j’avisasse ce qui s’y pourrait faire. Je lui dis que Sa Sainteté ayant entendu la chose comme elle s’était passée, et l’importance d’icelle, saurait trop mieux juger ce qui serait pour le mieux ; que ce que je lui pouvais dire pour cette heure était de le prier, comme je faisais très humblement, qu’il ne crût de la Cour de Parlement, et moins de Votre Majesté, aucune chose sinistre qu’on lui voulût donner à entendre pour déguiser ou couvrir cet attentat ; comme les hommes cherchaient ordinairement de justifier leurs actions par toutes voies ; et qu’usant de son accoutumée prudence, il se gardât de faire ou dire chose qui pût offenser Votre Majesté ni la Cour de Parlement, ni enfler l’orgueil de tels entrepreneurs, au détriment du repos public, et du respect et révérence que Votre Majesté et ladite Cour voulaient pour jamais porter au Saint-Siège et à la personne de Sa Sainteté. Laquelle me répliqua qu’elle ne ferait rien en cette affaire sans l’avoir premièrement conféré avec moi ; dont je le remerciai en toute humilité ; et lui ayant touché brièvement quelques circonstances de ce fait, il me reconnut qu’il ne pouvait voir lui-même quelle fin pouvait avoir ledit abbé ; et qu’il lui semblait que la Cour avait bien jugé, quand bien cette femme serait démoniaque.

J’en parlai encore ce matin-là, en la salle du Consistoire, à M. le cardinal Aldobrandin, {h} et le laissai bien persuadé et bien préparé pour en répondre quand on lui en parlerait, et faire auprès de Sa Sainteté les offices convenables.

Hier, mardi 18e, j’envoyai quérir ledit sieur de Gorgues ; et l’ayant mis en propos dudit abbé et de ladite femme, j’appris de lui comme ledit abbé était allé descendre avec ladite femme en la place de Monte-Jordan, à l’hostellerie de l’Épée, et qu’il y était encore logé, et ladite femme aussi ; laquelle ledit Gorgues disait avoir vue, et encore une sienne sœur, que ledit abbé avait menée aussi ; et que ladite prétendue démoniaque était âgée d’environ 21 à 22 ans, et sa sœur de 30. Interrogé par moi qu’est-ce que {i} ledit abbé voulait faire de cette femme et s’il la voulait toujours retenir près de lui, il me répondit qu’il avait été conseillé de la mettre chez quelque bonne femme dévote et qu’on était après à en trouver une.

Après cela, je lui dis que, puisque ledit abbé devait être logé avec lui et qu’il était de ses amis, je lui voulais dire, afin qu’il le dît audit abbé de ma part, que la Cour de Parlement de Paris et Votre Majesté aussi avaient trouvé très mauvais que, contre l’arrêt premier de la Cour de Parlement, il eût enlevé cette femme du ressort de ladite Cour et de toute la France, et qu’on y avait jà {j} procédé par deux autres arrêts contre lui, et encore contre l’évêque de Clermont, son frère ; et qu’il avisât bien à ses affaires et à ce qu’il en pourrait advenir ; que Votre Majesté m’en avait écrit et qu’il fallait que je lui répondisse ; que des intentions dudit abbé, personne n’en pouvait parler si bien que lui-même ; et puisqu’il était ici, je désirais apprendre de lui-même ce qu’il voulait que j’en écrivisse à Votre Majesté, et que je ne faudrais {k} de vous écrire fidèlement ce qu’il m’en ferait entendre ; et même s’il en voulait écrire à Votre Majesté, je mettrais ses lettres en mon paquet. J’estimai qu’outre ce que j’avais dit au P. Sirmond, auquel je n’avais pas expressément enjoint qu’il parlât audit abbé de ma part, je devais faire faire audit abbé cette expresse signification et ces offres de ma part, afin qu’il ne pût prétendre cause d’ignorance des arrêts de la Cour, ni de l’intention de Votre Majesté ; afin aussi de le retenir de pis faire, et de le mettre en chemin de se reconnaître et de retourner à son devoir.

Et de fait, ledit abbé de Saint-Martin s’en vint me trouver le jour même d’hier, environ trois heures après que j’eus parlé audit sieur de Gorgues ; et me parla fort modestement et humblement, me remerciant de ce que je lui avais fait dire par ledit sieur de Gorgues, et protestant qu’en tout ce fait il n’avait fait rien à mauvaise intention, et n’avait pensé faire aucun déplaisir à Votre Majesté ni à ladite Cour ; qu’à considérer l’œuvre en soi, elle était charitable et bonne, d’aider à une pauvre fille vexée du malin esprit et de tâcher à l’en faire délivrer ; qu’elle avait toujours montré désir de venir à Rome et avait espéré d’y trouver allègement ; qu’aussi était-il vraisemblable qu’en cette ville, qui était le chef de la chrétienté et où résidait le vicaire de Jésus-Christ, et où tant de martyrs avaient épandu leur sang, les exorcismes y devaient avoir quelque particulière efficace ; que ce n’était d’à cette heure qu’il avait pris soin de cette pauvre fille ; que jà auparavant qu’elle allât à Paris, il en avait eu soin et lorsqu’elle y fut conduite, il la recommanda à de ses amis ; qu’il avait bien depuis entendu quelque chose de l’arrêt que la Cour de Parlement avait lors donné pour le regard de cette fille ; mais que cette sorte d’arrêts n’étaient point perpétuels, ains {h} étaient donnés par provision et à temps ; et qu’il pensait que ledit arrêt fût expiré lorsque, lui retournant de Poitou avec une sienne sœur, son chemin s’était adonné par le pays où était ladite fille, laquelle il n’avait point trouvée chez son père, qui se tient à Romorantin, ains {h} en un village près de ladite ville ; que ladite fille ne trouvait allègement qu’en la communion et que là où elle était, on ne lui voulait donner à communier, sinon qu’une fois le mois ; qu’il n’avait jamais rien su de l’arrêt, que je lui disais avoir été donné, qu’il eût à remettre ladite fille chez ses père et mère ; et l’évêque de Clermont, à qui je disais ledit arrêt avoir été signifié, ne lui en avait rien fait savoir ; que moins avait-il rien entendu du troisième arrêt, par lequel il avait été réordonné cela même, sur peine de saisie des fruits de leurs bénéfices ; que, maintenant que je le lui avais fait savoir, il me déclarait qu’il ne voulait faire autre chose, ni passer outre, pour le regard de ladite fille ; que le père d’elle était un marchand de draps qui avait eu autrefois des moyens honnêtement, mais ils lui étaient diminués par les guerres, à l’occasion aussi de la calamité de cette sienne fille qui l’avait détourné de son trafic ; que lui, abbé, l’avait aidée de ses moyens, et l’en aiderait encore ; qu’il était après à la mettre chez quelque bonne femme d’ici et l’ôter de l’hôtellerie, où il était encore logé lui-même, mais qu’il y ferait autre chose ; qu’il me priait de le faire ainsi entendre à Votre Majesté et que, suivant l’offre que je lui avais faite d’envoyer ses lettres, il vous écrirait lui-même, espérant que Votre Majesté recevrait ses excuses.

Je ne faillis de lui conseiller le plus fidèlement et le plus amiablement qu’il me fut possible ce que j’estimais être pour la satisfaction de Votre Majesté et de la Cour de Parlement, et encore ici pour celle de Notre Saint-Père, et pour son bien et profit particulier. Il me montra de l’entendre fort volontiers et de s’y vouloir conformer, et j’espère qu’il le fera. Aussi y prendrai-je garde de fort près, et en tant que j’en puis juger dès maintenant, cette chose ne fera pas si grand cas comme l’on pensait et ne produira pas les mauvais effets qu’on craignait. Car, outre que ledit abbé voudrait être à recommencer et n’osera faire ce que, possible, il pensait quand il est parti de France, je lui ai fermé toutes les avenues et encloué {l} ceux dont il se fût pu aider. D’ailleurs, le pape et M. le cardinal Aldobrandin sont très bien persuadés à l’avantage de la Cour de Parlement, et de Votre Majesté encore plus ; et ai parole de Sa Sainteté qu’elle ne fera rien en ceci sans l’avoir premièrement conféré avec moi. Davantage, la réputation de Votre Majesté et de la couronne est si haut relevée en cette Cour depuis quelque temps, et cette entreprise et toute cette matière est si peu favorable en soi, qu’il ne se trouvera personne qui la veuille épouser pour ledit abbé contre Votre Majesté et contre la Cour de Parlement, quand bien ledit abbé voudrait. Toutefois, je ne m’endormirai point sur toutes ces considérations, ains {h} veillerai et pourvoirai au mieux qu’il me sera possible, et tant plus que je me trouve ici seul, étant parti M. de Sillery pour Florence dès le lundi dix-septième de ce mois. »


  1. Ici.

  2. Urgent.

  3. Remis en l’esprit.

  4. Compétence.

  5. Henri iii, mort assassiné le 2 août 1589.

  6. La folie.

  7. Mais.

  8. Le cardinal Pietro Aldobrandini (v. notule {a}, note [10] du Patiniana 1), neveu du pape Clément viii.

  9. Sur ce que.

  10. Déjà.

  11. Manquerais.

  12. Neutralisé.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 3 janvier 1638, note 11.

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(Consulté le 30/04/2024)

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