À Charles Spon, le 23 février 1655, note 9.
Note [9]

Jean Arnoux, jésuite (Riom 1576-Toulouse 1636) fut d’abord le confesseur du connétable de Luynes (le duc Charles d’Albert, v. note [15], lettre 205) qui, désireux d’affermir son emprise sur le jeune roi, lui confia la direction de la conscience de Louis xiii, après le P. Pierre Cotton (v. note [9], lettre 128). Au contraire de ce que le connétable attendait de lui, le P. Arnoux exerça honnêtement sa charge, œuvrant pour écarter le roi des mauvaises influences politiques auxquelles il était soumis. Juste avant de mourir inopinément en 1621, le duc de Luynes obtint son éviction (R. et S. Pillorget et G.D.U. xixe s.).

Les Nouvelles Remarques sur Virgile et sur Homère et sur le prétendu style poétique de l’Écriture sainte, ou les Sopho-mories et les folies des sages et des savants. Dans lequel on réfute les erreurs des spinosistes, sociniens et arminiens, et les opinions particulières et hétérodoxes des plus célèbres auteurs, tant anciens que modernes {a} ont donné ce pittoresque portrait (§ xxi, pages 89‑92) :

« Le Père Arnoux jésuite fut de son temps le plus célèbre et le premier prédicateur de Paris et de la cour. Son éloquence était vive, naturelle, fleurie, hormis que quelquefois il lui échappait des mots auvergnats en chaire, dont il n’avait pu se corriger : comme une fois qu’il dit en prêchant, Chacun sait où son soulier le cache, qui est un terme auvergnat pour dire “ le presse, le blesse, l’écache, {b} lui fait mal ” ; ce qui obligea un seigneur des plus polis de la cour de s’écrier, Il faut qu’un soulier soit bien grand pour pouvoir cacher un homme. À cela près, c’était un des plus grands orateurs qui ait jamais paru. M. de Balzac {c} en parle dans une de ses lettres :

Mais là-haut on se moque de nous,
Disait un jour Révérend Père Arnoux
.

Il eut sa marotte {d} sur ses vieux jours, comme d’autres grands hommes. Il tomba malade et crut avoir été métamorphosé en coq. Il commença à chanter comme les coqs, à voltiger et à sauter sur les chaises de sa chambre comme les coqs, à se cacher sous le lit et à se hucher {e} sur des perches et sur des bâtons qu’il avait tendus d’une muraille à l’autre, à ne vouloir manger que des miettes de pain ou de la viande hachée menu dans des écuelles plates de bois, comme les coqs ; et depuis ce jour-là les jésuites n’eurent que faire de réveille-matin pour se lever et aller à l’oraison car, dès que la pointe du jour et le premier rayon de l’aurore commençait à paraître, et sur les trois ou quatre heures, ce nouveau coq commençait à chanter de toutes ses forces dans tous les dortoirs et couloirs de la maison, en criant co, co, co, coudaque, pour imiter le chant des poules : ce qui fit dire un bon mot au même M. de Balzac dont nous avons parlé, lorsqu’on lui raconta la maladie et la faiblesse du Père Arnoux : C’est maintenant, dit-il qu’on aura raison de dire que le Père Arnoux est le coq des jésuites. Si on l’entendait à Rome, il ferait pleurer saint Pierre.

Mais comme au milieu de sa maladie, il en avait une autre encore plus grande, qui était de vouloir toujours aller à la cour et d’aller chanter dans le palais des rois, il fallut qu’un jésuite de ses amis, pour le guérir de cette fantaisie, contrefît le coq et lui persuadât qu’il avait été aussi bien que lui métamorphosé en coq ; puis il se couvrit en effet de plumes de coq qu’il mit avec une belle crête rouge sur son nez et sur sa tête ; ensuite, il lui dit : “ Gardons-nous bien, mon confrère coq, d’aller chanter à la cour, on nous y tuerait bien vite, car en ce pays-là on se lève tard, on aime dormir à la grasse matinée et on ne veut point y entendre chanter les coqs. Sortons même de la ville et allons nous-en ensemble, si vous m’en croyez, demeurer à la campagne dans quelque pauvre maison de village. C’est l’avis que nous donne le poète Virgile dans ces beaux vers-ci :

O tantum libeat mecum tibi sordida rura,
atque humiles habitare casas
. {f}
“ Je suis coq comme vous, fuyons la cour des rois,
Ne chantons qu’au village, et sous de petits toits. ”

Ces quatre vers latins et français firent plus d’impression sur le Père Arnoux pour le rendre raisonnable que toutes ses prédications n’en avaient fait sur ses auditeurs pour en faire de bons chrétiens. On lui ajouta ces deux-ci pour achever de le convertir :

“ Un coq qui chante mal, jésuite qui radote,
Perd sa crête à la cour, et prend une marotte. ” » {g}


  1. Ouvrage anonyme de l’abbé Pierre-Valentin Faydit (Riom 1640-1709) : sans lieu ni nom, 1710, in‑12 de 292 pages.

  2. Froisse.

  3. V. note [7], lettre 25.

  4. Marotte : « passion violente qui cause quelque dérèglement d’esprit approchant de la folie » (Furetière).

  5. S’appeler l’un l’autre, chanter.

  6. Bucoliques, églogue ii, vers 28‑29 : « Qu’il te plaise seulement d’habiter avec moi ces pauvres campagnes, en d’humbles chaumières. »

  7. La marotte était aussi la marionnette que portaient les fous (v. notule {b}, note [37], lettre 301).

    La bizarre démence du P. Arnoux évoque en premier lieu aujourd’hui une paralysie générale (syphilitique, v. note [9], lettre 122).


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 février 1655, note 9.

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(Consulté le 27/04/2024)

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