À Charles Spon, le 24 avril 1657

Note [13]

Le troisième fils de Ferdinand de La Baume, comte de Montrevel (1603-1678, ici Maurevers dans la graphie de Guy Patin) était François de La Baume, chevalier de Malte. Voici ce que la Grande Mademoiselle dans ses Mémoires (début du chapitre xxvi) a écrit au sujet de leur querelle avec le duc d’Épernon et son fils, M. de Candale :

« Il se passa une grande affaire pendant que Son Altesse Royale {a} était à Paris. Le comte de Montrevel, qui est lieutenant de roi en Bresse, eut quelque démêlé avec M. d’Épernon qui est gouverneur de Bresse et Bourgogne. Ce comte en avait toujours usé, du temps que M. le Prince était gouverneur de la province, comme il faisait alors. M. d’Épernon voulut en user autrement ; de sorte qu’ils en vinrent quasi aux mains. Le comte de Montrevel fit une assemblée de ses amis ; M. d’Épernon y envoya ses gardes et même y fit marcher du canon. On leur envoya ordre de la cour de s’y rendre pour accorder leurs différends. Comme ils y furent, au lieu de les terminer on n’y songea plus ; l’affaire demeura là et tira en longueur. Comme M. de Montrevel se sentit outragé, son fils, le chevalier, envoya le marquis du Garo parler à M. de Candale. Il y fut le matin et monta dans son carrosse avec lui, lui disant qu’il lui voulait parler. Comme ils furent tous deux seuls, du Garo lui dit qu’il était bien fâché d’avoir été obligé de se charger de cette commission, mais qu’il n’avait pu refuser son ami ; que le chevalier de Montrevel désirait qu’il lui donnât satisfaction des mauvais traitements que son père avait reçus de M. d’Épernon. M. de Candale lui répondit qu’il était très fâché de ce qui s’était passé entre leurs pères, qu’il avait beaucoup d’estime pour lui, qu’il ne donnait point de rendez-vous, mais qu’il allait tous les jours dans les rues. Comme du Garo n’était pas ami particulier de M. de Candale, on s’étonna de le voir avec lui, on en eut quelque soupçon. Tout le monde en parla et on n’y donna point ordre, non plus qu’à l’affaire qui causait tout le mal. Un jour que M. de Candale passait derrière l’hôtel de Guise, à une fontaine qui est vis-à-vis l’hôtel de Saint-Denis, le chevalier de Montrevel, accompagné seulement du chevalier de La Palisse, fit arrêter son carrosse et lui dit qu’il le voulait voir l’épée à la main. M. de Candale n’avait avec lui que Rambouillet, qui n’est point d’épée. Il se jeta à bas de son carrosse, sauta à son épée qu’un page tenait. Pendant tout cela, de petits pages et laquais de M. Candale coururent à son logis, qui était devant les Petits Capucins du Marais, qui est tout proche du lieu où le chevalier de Montrevel l’attaqua, et crièrent : “ On assassine Monsieur ! ” Il sortit des valets de toutes façons et un gentilhomme, nommé La Berte, qui donna un coup d’épée par derrière au chevalier de Montrevel. Les gens de l’hôtel de Guise sortirent ; de sorte que M. de Candale remonte dans son carrosse, et on porte le chevalier à l’hôtel de Guise. Son Altesse Royale alla voir M. de Candale. Monsieur {b} y voulut aller aussi, mais le roi le lui défendit. Tous les parents du chevalier de Montrevel furent au désespoir de l’état où il était. Son mal ne dura pas longtemps sans qu’il mourût. Ils publiaient partout que c’était un assassinat, firent décréter contre La Berte, que M. de Candale chassa, et fut au désespoir de cet accident. Ses ennemis ont dit qu’il devait empêcher que l’on ne le tuât, mais ceux qui l’auront connu ne croiront pas < qu’il ait eu aucune part en cette action > car c’était un garçon plein d’honneur et de douceur, et incapable d’une mauvaise action. M. de Guise, qui est ami intime du comte de Montrevel, se déchaîna au dernier point contre M. d’Épernon et contre M. de Candale, et en dit des choses fort fâcheuses ; ce qui obligea le roi de mettre un de ses gentilshommes ordinaires auprès de M. de Candale afin d’empêcher que personne lui portât aucune parole. Ce chapitre de duels me fait souvenir que l’on renouvela les édits des duels au retour du roi, en 1652, avec une rigueur la plus grande du monde. Et assurément c’était fort bien fait, et les lois divines nous le prescrivent aussi bien que celles de nos rois, et ceux qui les font observer exactement attirent sur eux la bénédiction de Dieu. Pour pouvoir les maintenir et qu’ils fussent de plus de durée qu’ils n’avaient été par le passé, on dressa des projets de peines imposées sur tous les sujets de plaintes que les gentilshommes pouvaient avoir les uns contre les autres, et pour leur donner satisfaction ; et même on proposa de faire signer que l’on ne se battrait plus. D’abord cette proposition fut tournée en ridicule parce qu’elle avait été faite par de certains dévots qui l’étaient assez, et qu’il n’y avait eu que des estropiés qui avaient signé. On disait : “ C’est parce qu’ils ne sont pas en état d’empêcher qu’on ne leur donne sur les oreilles ; c’est pourquoi ils ont trouvé cet expédient. ” Pourtant comme l’action était bonne de soi, elle trouva des partisans ; elle fut autorisée et elle a très bien réussi, car on se bat fort peu. »


  1. Gaston d’Orléans.

  2. Philippe d’Orléans.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 avril 1657, note 13.

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(Consulté le 16/04/2024)

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