Le matin du 14 mars 1647, Guy Patin, alors professeur de chirurgie, avait présidé la thèse cardinale qu’il avait lui-même rédigée et qu’avait disputée le bachelier Jean de Montigny, natif d’Avranches. Dédiée par le candidat à Nicolas ii Le Bailleul, elle s’intitulait Estne longæ ac iucundæ vitæ tuta certaque parens sobrietas ? [Une sobriété prudente et déterminée n’est-elle pas la mère d’une longue et agréable vie ?].
La thèse, affirmative, entièrement transcrite, traduite et commentée dans notre édition, veut prouver que la sobriété en tout vaut beaucoup mieux pour la santé que toutes les drogues des apothicaires. Le soir même de la soutenance, ceux de Paris, prévenus de toutes ces déclarations contraires à leurs intérêts, assignèrent Patin qui fut appelé à comparaître devant le Parlement dès le lendemain, 15 mars 1647 (les extraits qui suivent sont issus de la relation contenue dans les Comment. F.M.P., tome xiii, fos cccxxiii / 328 et suivants, rédigée par Jacques Perreau, alors doyen de la Faculté). Patin plaida lui-même longuement sa cause (en français) pour conclure par ces paroles :
Videtis, Iudices integerrimi, postulationis pharmacopæorum iniquitatem, dum voluerunt ut medica mea thesis quæ de sobrietate tota est, esurialibus hisce feriis, tanquam falsa et erronea a vobis improbaretur atque damnaretur. Finiam igitur post amplissimam quam attentioni vestræ et benevolentiæ debeo gratiarum actionem, elegantissimi veteris poetæ accommodatissimo hocce versiculo : “ Indicio de me vobis fui, vos eritis iudices ”.
[Considérez, juges très intègres, l’iniquité de la requête des apothicaires quand ils ont voulu que vous désapprouviez et condamniez, comme étant fausse et erronée, ma thèse médicale qui est entièrement consacrée à la sobriété, en ces temps de famine. Alors je finirai, après le très grand remerciement que je vous dois pour votre attention et votre bienveillance, par ce petit vers tout à fait approprié d’un ancien poète au goût délicat : « Je vous ai fourni ma propre personne en témoignage, vous en jugerez »]. {a}
- Térence, Les Adelphes, prologue.
L’avocat général Omer ii Talon se tourna alors vers les apothicaires et les tança en ces termes :
Pessimo et iniquissimo consilio litem movere voluisti domino Patino. Iniqua est vestra expostulatio ; odiosus est et plane ratione carens supplex vester libellus, quem nobis adversus eum porrexistis. Optimæ sunt illius rationes ; cautius et sapientius egissetis, si ab hac lite, ad quam furor, odium et nimius lucri ardor præcipiter vos egerunt, abstinuissetis, officinas vestras curando, et in iis medicorum præscripta fideliter a vobis observanda et præstanda opperiendo, quotiescumque ad vos deferentur : quatenus magistri sunt, et præceptores vestri, eiusque artis summi præfecti ; cuius estis tantum ministri. Quo nomine gloriam et obsequium singulis eorum debetis ; ad quod tanquam ad præcipuam muneris vestri partem serio vos hortamur atque compellamus. Interea vero, abite atque secedite.
[Dans un dessein très malicieux et fort injuste, vous avez voulu faire un procès à Me Patin. Votre plainte est inique, la requête que vous nous avez présentée contre lui est odieuse et entièrement dénuée de motifs. Les siens sont excellents, et vous auriez agi avec plus de prudence et de sagesse si vous vous étiez abstenus de ce procès, auquel l’égarement de la passion, la haine et l’avidité excessive du gain vous ont poussés, et vous occuper plutôt de vos officines, en y attendant les ordonnances des médecins pour les exécuter et vous y conformer fidèlement chaque fois qu’on vous en présente une, car ils sont vos maîtres et vos précepteurs, et les chefs suprêmes en l’art de soigner dont vous êtes seulement les serviteurs. À ce titre vous devez respect et déférence envers chacun d’eux ; nous vous l’ordonnons et y exhortons solennellement ainsi qu’à chacun des vôtres. Et maintenant, sortez et dispersez-vous].
Puis, se tournant vers Patin, Talon lui dit :
Tu vero Guido Patine, hoc tibi habito : responsa tua, rationesque probamus, thesim tuam ut opus eximium laudamus, et eruditionem tuam singularem, saluberrimo vestro ordini honorificentissimam suscipimus. Perge bene mereri de republica et famam tuam adaugere satage, bonis artibus et insigni totius Lutetiæ commodo ; quod te alacri fortique animo iamdudum præstare, neglectis adversorum tuorum vanis fictisque in te rumoribus, apprime novimus ; quod si facere perseveraveris, credas velim totius senatus gratiam et authoritatem nunquam tibi defuturam adversus eiusmodi hominum querimonias et cavillationes.
[Quant à vous, Guy Patin, tenez ceci pour vrai : nous approuvons vos réponses et vos motifs, nous louons votre thèse comme une œuvre excellente, nous admettons votre rare érudition qui honore extrêmement votre très salubre Compagnie. Continuez à bien mériter de l’État et évertuez-vous à accroître votre célébrité pour le bien et le renom particulier de tout Paris. Nous avons parfaitement reconnu que vous le faites depuis longtemps avec courage et vivacité, dans le mépris des rumeurs vaines et mensongères que vos adversaires font courir à votre encontre. Si vous y persévérez, tenez pour certaine ma volonté que jamais la faveur et la bonne volonté de tout le Parlement ne vous fassent défaut contre les plaintes et les chicanes de ce genre d’individus].
Cette triomphante narration se termine par la formule consacrée :
Atque hæc scripta sunt his in commentariis in commendationem doctissimi collegii nostri Dom. Patin et rei gloriosam memoriam.
[Et ces choses sont écrites dans ces Commentaires pour faire valoir notre collègue Me Patin, et en souvenir glorieux de ce qui s’est passé].
Au grand dam de ses détracteurs, toute la philosophie médicale de Patin se voyait ainsi brillamment approuvée et applaudie, non seulement par la Faculté, mais aussi par le Parlement de Paris. La suite a montré que le triomphe fut éphémère. |