À André Falconet, le 17 février 1660, note 7.
Note [7]

La mort de Monsieur, Gaston d’Orléans, frère de Louis xiii, ne fit pas prendre le grand deuil à la cour ; Mme de Motteville (Mémoires, pages 485‑486) en a bien donné la raison :

« Pendant le séjour que le roi {a} fit en Provence, lorsqu’il était à Marseille, le duc d’Orléans étant à Blois, y mourut en fort peu de jours. Ce prince méritait d’être regretté, tant pour ses bonnes qualités que pour être fils du roi Henri le Grand, {b} dont la mémoire doit être toujours chère aux Français. On peut croire que sa mort fut précieuse devant Dieu, car elle fut précédée par une vie pieuse et chrétienne, accompagnée d’une véritable contrition de ses péchés. Il accompagna ses vertus, à l’exemple du feu roi {c} son frère, d’une grande fermeté d’âme, et il envisagea la mort sans frayeur ni faiblesse. Le repos dont il jouissait depuis sa retraite n’avait pas contribué à sa santé ; au contraire, il était vieilli et changé : il avait autrefois été le chef de toutes les factions et cabales qui de son temps avaient été faites sous son nom contre le cardinal de Richelieu. Ce ministre avait pensé périr souvent par ses entreprises ; mais le bon naturel de ce prince l’avait toujours empêché d’en venir à la conclusion parce qu’il était bon et qu’il ne voulut jamais consentir à répandre le sang de son ennemi, ni faire aucune action de violence. Sa cour autrefois était remplie de plusieurs seigneurs du royaume, qui tous voulaient avoir l’honneur d’être à lui parce qu’il était présomptif héritier de la couronne et que l’abaissement où était réduit le feu roi, son frère, le relevait infiniment ; mais toute cette gloire était passée. Celle qu’il avait eue pendant la régence, dont j’ai fait de grandes et amples descriptions, l’était aussi : il ne lui en restait que le fâcheux souvenir de la vanité de ses pensées et de l’inutilité de ses actions. Depuis le mauvais succès de ses malheureuses entreprises, il était demeuré dans un certain état de disgrâce qui fait compter les hommes au rang des morts avant qu’ils le soient en effet ; mais il est à présumer qu’il vit de la vie des justes, et que sa pénitence et les aumônes qu’il faisait dans sa solitude de Blois lui donnent dans l’éternité une place qui vaut beaucoup plus que toute la grandeur mondaine dont il s’était vu environné.

Le roi et la reine mêlèrent au regret qu’ils eurent de sa mort le souvenir des choses passées et il fut cause que leur deuil ne fut pas excessif. Mademoiselle en fut fâchée car la perte d’un tel père doit toujours être sensible ; mais les procès qu’elle avait eus contre lui et le peu d’application qu’il avait eue à la bien marier diminuèrent un peu sa douleur ; et la constance qu’elle eut à souffrir ce malheur était moins un effet de sa vertu que de son indifférence. Madame vit sa perte et il est à croire qu’elle la sentit beaucoup, mais cette princesse était si destinée à n’être comptée pour rien que ses larmes ne le furent point. Mlles d’Orléans, d’Alençon et de Valois, ses autres filles, étaient si lasses d’être à Blois et leur jeunesse leur faisait si passionnément désirer d’aller à Paris qu’elles se consolèrent aisément sans doute de voir finir leur exil, quoique apparemment la mort de ce prince fût le plus grand malheur qui leur pût arriver. Il le crut ainsi lui-même car, dans ses derniers moments, jetant les yeux sur sa famille, il cita en latin, à un père de l’Oratoire qui l’assista à la mort, un passage de l’Écriture qui en représentait la désolation. »


  1. Louis xiv.

  2. Henri iv.

  3. Louis xiii.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 février 1660, note 7.

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(Consulté le 25/04/2024)

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