Mme de Motteville (Mémoires, pages 244‑245) :
« Les généraux frondeurs eurent avis que l’armée du roi devait venir attaquer Charenton, un de leurs meilleurs passages pour leur faire venir des vivres dans Paris. Ils y avaient mis une garnison considérable et un vaillant homme pour la défendre. Quand on le sut à Paris, ceux qui y commandaient firent aussitôt dessein de l’empêcher et de sortir avec toutes leurs troupes, qui étaient en aussi grand nombre qu’ils le voulaient : la multitude en était infinie et chaque Parisien était alors soldat, mais soldat sans courage. Les généraux, qui se sentaient le cœur capable de tout entreprendre, étaient assez hardis pour dire qu’ils donneraient bataille s’ils le jugeaient à propos ; mais je pense qu’en le disant, ils avaient déjà jugé qu’ils ne le devaient pas faire. La politique et la raison les obligeaient de menacer et de craindre, et leur défendaient, en faisant les braves, de montrer la faiblesse de leur parti par les mauvaises troupes qu’ils commandaient.
M. le Prince, la terreur des Parisiens, vint donc, comme un torrent qui emporte tout ce qu’il rencontre, fondre sur ce village retranché, barricadé et bien muni de braves gens. Le duc d’Orléans était en personne dans l’armée du roi, et tout ce qui portait une épée de ceux qui étaient à la cour y fut aussi. L’armée était petite, mais elle était bonne et le nom du général augmentait ses forces de beaucoup. M. le Prince, accoutumé à de plus grandes victoires, enleva le quartier, tua tout ce qui osa lui résister et tailla en pièces la garnison qui était de deux mille hommes. Clanleu qui la commandait fut tué, se défendant vaillamment, refusant la vie qu’on lui voulut donner et disant qu’il était partout malheureux, qu’il trouvait plus honorable de mourir en cette occasion que sur l’échafaud. Ensuite de cette expédition, M. le Prince rangea son armée en bataille et eut le loisir de la mettre en bon ordre avant que celle de Paris pût arriver à la vue de ses troupes. Les deux armées furent assez longtemps à se regarder sans se faire aucun mal. Celle du roi avait fait ce qu’elle avait eu dessein de faire et celle de Paris n’avait que de très faibles intentions de l’attaquer, et pas assez de courage pour résister aux troupes du roi. Ses moindres goujats étaient des Césars et des Alexandres en comparaison de leurs meilleurs soldats. Cette nombreuse et mauvaise armée ne sortit point de ses retranchements, qui furent les dernières maisons de Picpus, et l’arrière-garde demeura toujours bien à son aise dans la Place Royale {a} et ne vit que le cheval de bronze qui, portant la représentation de Louis xiii, leur devait faire honte d’aller combattre son fils et leur roi. […] Les deux armées se retirèrent chacune de leur côté : celle du roi glorieuse et satisfaite, et celle de Paris bien honteuse de n’avoir donné d’autres preuves de sa vaillance que celles des menaces et des injures. Elles n’avaient pas été faites à leurs ennemis d’assez près pour être entendues, et c’est pour cette raison qu’elles ne furent pas vengées. »
- Actuelle place des Vosges, dans le Marais.
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 655, lundi 8 février) :
« Après le dîner, allant sur le rempart avec M. de Coulanges, {a} nous apprîmes que Charenton avait été forcé sur les neuf heures ; que Clanleu, qui en était gouverneur, avait été tué, ayant refusé quartier ; et que M. de Châtillon y avait été tué. Personne ne pouvait croire cette nouvelle. Sur le boulevard {b} de la porte Saint-Antoine, où était tout Paris, l’on voyait rentrer des troupes d’infanterie, des bourgeois et de la cavalerie. Cette prise étonnait tout le monde parce que c’était le seul passage libre pour les vivres et l’on accusait nos généraux de trahison, et principalement M. d’Elbeuf, qui avait été averti dès la veille sur les trois heures et avait négligé cet avis. L’on disait que M. le Prince avait mis le feu à Charenton. Toute la ville était pleine des compagnies de bourgeois en armes et il y avait plus de vingt mille hommes. M. le coadjuteur sortit à cheval avec deux pistolets et un habit gris, dont on parlait. »
- Philippe de Coulanges, maître des requêtes, avait épousé Marie d’Ormesson, sœur d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson.
- Bastion.
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