L. 396.  >
À Hugues II de Salins,
le 27 mars 1655

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 27 mars 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0396

(Consulté le 19/04/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir la vôtre que j’ai lue avec grande joie car j’y apprends et votre bonne disposition, et que vous me continuez votre affection, quod utinam perennet[1]

Ma grande harangue fut récitée en belle et grande compagnie. [2][3] J’espère de la faire imprimer quelque jour, mais le temps n’en est point encore venu : dies mali sunt et durissima tempora[2][4][5] Vous savez l’aphorisme d’Hippocrate, [6] et de quelle importance il est, πεπονα φαρμακενειν, [3] il faut qu’un médecin s’en souvienne tous les jours comme d’un oracle, aussi est-il. Je vous envoie la deuxième thèse [7] de mon fils [8] que M. Allain, [9] qui en a été le président, a faite. Il n’y a rien là du nôtre. [4] Il est vrai que la première combat celle du grand Simon Piètre, [10] et ne laissent point d’être toutes deux vraies : la nôtre, philosophice inquirit in summum principium, idque remotissimum a sensibus, quod est forma ; [5] celle de M. Piètre, redacta ad artem [6] et qui est bien plus matérielle, s’attache et s’arrête à ce qu’elle voit, et agnoscit materiam informatam, principium actionis, quod satis est medico ; nec recurrit ad formam illam primam, quæ est principium remotissimum. Medicus est sensualis artifex et materialis, magis adhæret iis quæ afficiunt proxime ; Philosophus e contra in omnes causas inquirit, imo et omnium primam investigat[7]

Il y a eu deux Simon Piètre : le père [11] qui vivait il y a cent ans, in cuius decanatu latum est decretum adversus stibium, anno 1566, et qui obiit anno 1584[8][12] qui a été grand personnage, le premier de son temps, et fort employé ; il avait été recteur de l’Université [13] et professeur de philosophie au Cardinal Lemoine. [14] Il a laissé plusieurs enfants : plusieurs filles, dont l’aînée, Anne Piètre, [15][16] fut la mère de M. Riolan [17] d’aujourd’hui ; et plusieurs fils, dont il y en a eu un conseiller au Châtelet, deux avocats, excellents hommes que j’ai connus, deux médecins, Simon et Nicolas, [18] qui ont été deux hommes incomparables. Simon, qui a été vraiment le grand Piètre, est mort âgé de 54 ans l’an 1618 : c’est celui dont a parlé M. Riolan dans la préface de son Encheiridium Anatomicum [19] et dans sa grande Anthropographie au traité de Circulatione sanguinis[20] page 593, [9] qui, entre autres enfants, a laissé un fils par ci-devant conseiller au Châtelet et aujourd’hui procureur du roi en l’Hôtel de Ville. Nicolas est mort l’an 1649, le 28e de février, et est père de Jean Piètre [21] d’aujourd’hui qui est encore fort savant, mais qui n’a pas les autres vertus de ses ancêtres ; si bien que Jean Piètre d’aujourd’hui est petit-fils du premier Simon et neveu du deuxième Simon, et fils de Nicolas. [22]

Je suis prêt de vous envoyer le Car. Guillemei Defensio altera [23] et de le délivrer à qui vous voudrez pour vous le faire tenir. [10] Libros adversus stibium Merleti et Perræi legisse non pœnitebit[11][24][25]

Le Botallus [26][27] est un fort bon livre. [12] Lisez-le attentivement, il contient de bons secrets du métier et est fort propre à notre pratique ordinaire que vous pourrez bien hardiment suivre. Chymici impostores non capiunt tales delicias, nec ab iis capiuntur ; ideo spernendi et relinquendi tanquam nebulones impuri, et fruges consumere nati[13][28]

Ma femme et tous mes enfants vous remercient de votre bon souvenir, et vous baisent les mains, et à mademoiselle votre femme, comme aussi moi-même, et à Messieurs vos père et frère à qui je suis très humble serviteur.

J’ai été tôt averti de la mort de M. Guide. [29] Il est mort le 5e de mars d’une fièvre quarte [30] quæ degeneravit in ascitem calidum et colliquentem[14][31] C’est un pauvre corps que la fièvre quarte a grésillé et rôti. [15]

L’Épitomé de Galien par Laguna [32] est un fort bon livre. Le grand Galien [33] tout entier est encore meilleur, servez-vous de l’un en attendant l’autre. [16][34][35]

Pour les lettres latines, bonnes et familières, et non élabourées, Cicéron [36] en est le premier maître quia debent epistolæ ad amicos scribi stylo facili et illaborato sermone[17][37] Voyez ce qu’en dit Lipse [38] in libro Epistolicarum quæstionum[18][39] Pline le Jeune [40] les a faites belles et didactiques, mais elles sont fort élabourées et trop pimpantes, ideoque sunt odiosæ illis qui Ciceronis nativum nitorem et simplicitatem non affectatam amplectuntur[19] Feu M. de Bourbon [41] les haïssait et disait que Pline avait fait en icelles pro matrona meretricem, non tam ornatam quam fucatam et calamistratam[20] Celles de Casaubon [42] sont familières et bonnes, principalement dum scribit ad Thuanum, Scaligerum, Heinsium, Grotium, et alios eruditos[21][43][44][45] Scaliger [46] et Érasme [47] méritent d’être suivis pour règle aujourd’hui : elles sont très bonnes, familières et non élabourées. Baudius [48] est bon. Lipse est excellent pour sa foi, sa modestie, sa probité, sa mémoire et pour les bons mots des anciens, mais son style ne vaut rien, ne l’imitez point et fuge tanquam scopulum ; [22][49] mais il était bien savant et honnête homme. Il eut une raison politique qui lui fit changer son style comme il voulut changer de religion : de catholique romain, il fut luthérien, [50] au moins en fit-il la mine ; puis calviniste, [51] mais déguisé ; enfin catholique romain et mourut l’an 1606 entre les bras de Lessius, [52] jésuite qui l’avait infatué[53][54]

Tantum religio potuit suadere malorum ! [23]

Lisez dans l’Épitomé de Galien fait par Laguna tout ce qui y est de Crisibus et en faites un extrait ; et puis après, n’apprenez rien de cette matière que ce qu’en a écrit Du Laurens [55] i et ii libro de Crisibus[24] Pour ce qu’en ont écrit les astrologues, [56] méprisez-en, cela ne vous doit point arrêter. Vous ne devez prendre de toute cette affaire que le matériel, quod respicit usum medicum et facit ad curationem morborum ; [25] laissez le reste aux astrologues. N’allez point plus loin sur cette matière avec le Claudinus, [26][57] qui est pourtant un bon auteur.

Votre livre de Marot [58] n’est point mauvais, gardez-le bien et le cachez de peur que les moines [59] ne vous le dérobent et ne le brûlent. [27] Mettez-le avec M. François R. < Rabelais >, [60] le Catholicon d’Espagne[61] la République de Bodin, [62] les Politiques de Lipse, [28] les Essais de Montaigne [63] et la Sagesse de Charron, [64] la Doctrine curieuse du P. Garasse, [65] les Recherches des recherches[66] etc. Voilà des livres qui sont capables de prendre le monde par le nez ; j’en excepte les deux derniers qui sont bons à autre chose ; ne les négligez point et en faites une petite bibliothèque, laquelle soit a remotis et extra insidias monachorum[29]

Pour l’écriture d’Érasme, gardez-la propter aucthoris dignitatem[30] Ô l’excellent homme que c’était ! Buvez un petit < peu > à sa mémoire de ce bon vin [67] de Beaune, cum novella uxore[31] et je vous ferai raison dans la première occasion ; [32] et lisez ses Colloques une fois l’an, que vous placerez dans la bibliothèque de ci-dessus cum eiusdem aucthoris Lingua, et Encomio moriæ, atque Institutione principis christiani[33]

Je vous prie de dire à mademoiselle votre maîtresse que je l’honore très fort et que je la supplie de me tenir en ses bonnes grâces. Pour ce qu’elle a baisé ma lettre, je l’en remercie très humblement, je vous prie en récompense de lui donner un baiser à cause de moi, à la charge qu’au bas de la première lettre que vous me ferez l’honneur de m’écrire, elle y mettra son nom et son surnom [68][69] de sa propre main, [34] et son âge pareillement, afin que là-dessus je fasse quelque magie aussi étrange que celle d’Apulée [70] qui me transportera tout en une nuit d’ici à Beaune. Vous savez bien que je suis sorcier [71] comme une vache et fort entendu dans ces transports magiques, mais c’est en songeant ; et ainsi, votre demoiselle sera bien étonnée de me voir mettre à table avec vous. Bon Dieu, que nous rirons si cela arrive ! En attendant, pourtant, ne laissez point de dîner et ne m’attendez point. Mais à propos, comment se porte cette jeune femme suissesse et son mari, M. Lescharnier, nonne sic nominatur ? [35]

Sed satis ineptiarum[36] je vous baise les mains, à MM. de Salins père et fils, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce samedi 27e de mars 1655.

Il n’y a point encore de pape, on dit que ce sera Sacchetti, [72] Chigi ; [73] parum refert mihi perinde est[37] On dit que le roi [74] s’en va bientôt à Fontainebleau. [75] On ne dit rien du prince de Condé, [76] mais on croit que la France s’en va avoir guerre avec l’Angleterre, notre paix avec Cromwell [77] n’ayant pu être faite. Le P. Adam, [78] jésuite, a aujourd’hui prêché dans Saint-Germain-l’Auxerrois [79] en présence de la reine, [80] où il a déplu à tout le monde : il y a fait un panégyrique des vertus de la reine au lieu de parler du mystère de ce grand jour et d’expliquer l’Évangile ; mais il n’y a pas de quoi s’étonner, hoc est loyoloticum[38] Petrus Aurelius [81] leur a autrefois très bien reproché ce vice-là et plusieurs autres, et enfin a conclu : Omnium adulatores, omnium inimici[39] D’autres moines n’oseraient faire qu’en cachette ce que font publiquement ces maîtres passefins que Ios. Scaliger a gentiment nommés impudentissimum monachorum pecus[40]

L’on imprime à Genève l’Hippocrate de Foesius grec et latin in‑fo[41][82][83] Ils espèrent de le faire beau : ils ont de beaux caractères, ils peuvent y mettre de beau papier ; reste d’avoir soin pour la correction, ce qui leur est aisé. On y imprime aussi les œuvres de ce méchant fripon de Paracelse, [84] o tempora ! [42]

On a achevé d’imprimer tout fraîchement un volume in‑fo pour la deuxième fois, augmenté par-dessus la première de beaucoup de bonnes choses : c’est un excellent livre intitulé Matthiæ Martinii Lexicon etymologicum, philologicum, sacrum[43][85] à Francfort. Ce livre vaut quatre fois mieux que le Calepin de Passerat [86][87] qui nihil aliud pene habet quam verba, et ce Lexicon plures habet res quam verba[44][88] M. Ravaud [89] de Lyon m’a mandé qu’il m’en faisait venir un ; si vous désirez en recouvrer un, je pense que vous le pourrez obtenir par la même voie. On imprime aussi à Amsterdam [90] Io. Gerardi Vossii Thesaurus linguæ Latinæ [91] in‑fo ; ce sera un excellent ouvrage et magni viri magnum opus[45] On nous promet aussi du même pays un volume d’Épîtres latines du grand et incomparable M. de Saumaise [92] qui a été l’honneur et la gloire de votre province de Bourgogne. Je serais ravi de voir cela et autre chose qu’on nous promet.

On a tout fraîchement imprimé à Orléans [93] (on en trouve ici) un commentaire de Vallesius [94] sur les Épidémies d’Hippocrate. [46][95] C’est un excellent livre, une bonne pratique hippocratique toute pure et un livre digne d’être lu tous les jours ; c’est un petit in‑fo que l’on vend 4 livres en blanc ; il mérite d’avoir place dans votre étude après Fernel, [96] Duret [97] et Houllier ; [98] c’est le meilleur de tous les modernes, que vous serez bien aise de consulter dans votre nouvelle pratique ; c’est de tous les Espagnols celui qui a le mieux raisonné et le plus généreusement réussi dans la bonne pratique.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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