< L. 455.
> À Charles Spon, le 5 décembre 1656 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 5 décembre 1656
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Enfin, j’ai reçu ce matin votre lettre du 21e de novembre. La femme de votre Meyssonnier [2][3] est donc morte avec le vin émétique, [4][5] ce poison joue donc des siennes à Lyon tout comme à Paris. Quelques-uns de nos [1] docteurs en ont donné à leurs femmes, qui n’en prendront plus jamais : elles en sont toutes mortes, par la grâce de Dieu, et quelques-uns d’iceux en ont pris de plus jeunes en leur place. Guénault [6] en a fait porter le deuil trois fois à sa famille et en a tant tué en divers endroits qu’il n’en ose plus proposer nulle part. Je vous supplie de dire à M. Gras que je suis son très humble serviteur et que j’ai céans les 14 lettres [7] des jansénistes [8] pour lui dans un paquet et autant pour vous dans un autre, que j’augmente tous deux à mesure qu’il en vient de nouvelles, dont on nous donne grande espérance tous les jours. [2] Un honnête homme du bon parti m’a dit ce matin que dans huit jours nous aurons la 15e, sans perdre l’espérance de celles qui viendront, et nati natorum, et qui nascentur ab illis. [3][9] Toutes ces nouvelles lettres sont de telle efficace chez les honnêtes gens que les pauvres jésuites [10] ne savent plus où ils en sont. On ne peut répondre à ces lettres quæ iugulum petunt. [4] Elles font telle impression dans l’esprit des gens raisonnables que si ces maîtres passefins n’avaient du crédit à la cour, ils seraient déjà pis que les cordeliers. [5][11] Je ne puis rien dire de nouveau du P. Cornu [12] de Mantes, [13] sinon qu’il a eu bien le fouet dans la cave du lieutenant général et que les cordeliers, pour la défense de leur confrère, ont mis en procès ledit lieutenant général. J’appris cette histoire vers la Saint-Rémy chez M. Guillemeau, [14] lui-même nous la conta. [6] Pour votre vers du bon et rusé Horace, [15] que vous m’avez voulu appliquer, Nil admirari, etc., [7][16] je vous donne avis qu’il y a longtemps que je suis fourni de son intelligence et du vrai sens qu’il mérite. Aliunde mihi prospectum est ex illa parte, [8] je sais bien que les Anciens ont loué Démocrite [17] d’avoir pleinement possédé cette vertu quam vocabant illi et ille αθομαστιαν. [9] Il faut laisser l’admiration au peuple, qui est trop sot, et aux moines, [18] qui gagnent leur vie à tromper les simples. Ad populum phaleras ! [10][19] M. de Thou, [20] président de la première Chambre des enquêtes, fils de ce brave historien [21] qui était président à mortier, a vendu sa charge et s’en va être ambassadeur en Hollande. Il est frère puîné de ce pauvre malheureux [22] qui mourut si malheureusement à Lyon, l’an 1642, par la tyrannie du cardinal de Richelieu. [11] Le Mazarin [23] avait fait courir le bruit qu’il voulait être lui-même surintendant des finances. Les deux qui occupent la charge en ont l’épouvante. [12][24][25] Ils en ont traité et s’en sont rachetés, moyennant trois millions qu’ils ont donnés pour eux deux ; c’est-à-dire que, pour se rembourser, il leur sera permis de voler le roi et le public tant qu’ils voudront, tant qu’ils pourront, de faire bâtir tant de belles maisons et de superbes palais qu’ils voudront. Je viens d’apprendre que le fils de M. Moreau [26] a vendu la bibliothèque [27] de feu son père. [28] De pretio definito nondum constant, [13] on le dit en diverses façons afin qu’on ne le sache. Quatre libraires l’ont enlevée aujourd’hui, ou au moins ont commencé. Voilà comment la mort renverse tout : ces livres étalés chez les libraires seront aux yeux des curieux comme l’âme de Pompée [29] dans Lucain, magni nominis umbra ; [14][30] et comme dans la Méthode de Galien, [31] imbecillitas ventriculi nudum et inane nomen ; [15] comme aussi quelque Ancien [32] a dit dans les Tusculanes de l’immortalité de l’âme, [33] supra doctrinam Platonicorum. [16][34] Nous avions ici deux cousins, fort excellents hommes à tailler [35] de la pierre par incision de la vessie. Le plus jeune des deux, nommé Girault, [36] mourut âgé de 50 ans, le mois de juillet dernier, à Évreux où il était allé pour tailler un gentilhomme. Il avait autrefois taillé le pape [37][38] d’aujourd’hui à Cologne, [39] l’an 1642. L’autre s’appelait Ph. Colot, [40] âgé d’environ 58 ans, qui a été peritissimus artifex. [17][41] Il était allé tailler un homme près de La Rochelle, [42] il est tombé malade d’une dysenterie [43] et est mort à Luçon. Voilà aujourd’hui A. Ruffin, [44] jadis chirurgien de la Charité, le premier lithotomiste de Paris. Il y en a encore quelques autres qui courent après cette réputation lucrative, comme Jamot, [45] chirurgien de la Charité, Gonin [46] de l’Hôtel-Dieu, [47] et un autre Colot, [48] cousin du défunt, qui était à Bordeaux, et qui vient ici busquer sa fortune. [18] L’on m’a dit que M. l’abbé Bourdelot [49] va voir la plupart de Messieurs les évêques du Clergé [50] et qu’il s’en fait fort accroire avec son abbaye. Il s’est vanté qu’il avait refusé un évêché que le Mazarin lui avait voulu donner. On dit qu’il se pique fort d’affaires d’État et qu’il fait le grand ministre, il a toute sa vie fait le révérend et le glorieux. Voilà un charlatan canonisé par la Fortune [51] et qui doit se souvenir de ce qui est dans Ronsard [52] pour devise d’un homme glorieux [53] qui avait attrapé une abbaye sous Charles ix : [54] Fort. reverent. habe, c’est-à-dire Fortunam reverenter habe. [19][55] Il y a bien du bruit en Saxe depuis la mort du vieux électeur. [56] Son héritier [57][58] se veut faire papiste, mais ses autres frères et parents le veulent empêcher. [20] On a peur delà que l’empereur [59] et les jésuites ne s’en mêlent, et que cela ne produise en Allemagne une nouvelle guerre de religion. C’est une grande pitié que le monde : c’est toujours à recommencer, il arrive toujours quelque chose qui donne de l’agitation aux méchants, dont ils prennent occasion de mettre du trouble dans le monde. On vient de faire justice au bout du Pont-Neuf [60] d’un gentilhomme lorrain nommé Barradas [61] et de deux hommes, qui ont été pendus. [62] C’étaient trois voleurs qui arrêtaient les carrosses dans les rues et qui tiraient quand on leur faisait tête. Ils avaient volé Mme la comtesse de Brienne, [63] lui avaient pris son mouchoir de cou, ses heures, son chapelet et sa montre, qui les a fait découvrir. [21] Le gentilhomme lorrain a eu la tête coupée. Vale et me ama. [22] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc. De Paris, ce 5e de décembre 1656. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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