Schaffhouse est la capitale du canton suisse de même nom, le plus septentrional et le plus petit de toute la Confédération (24 par 22 kilomètres). Les frères Wepfer, Johann Jakob (v. note [7], lettre 610) et Johann, étaient originaires de cette ville.
De Johann Jakob, Guy Patin mentionnait ici les remarquables :
Observationes anatomicæ ex cadaveribus eorum quos sustulit apoplexia, cum exercitatione de eius loco affecto.
[Observations anatomiques {a} recueillies sur les cadavres de ceux que l’apoplexie {b} a emportés, avec un essai sur le lieu qu’elle affecte]. {c}
- Au modeste mais éloquent nombre de cinq.
- V. note [5], lettre 45.
- Schaffhouse, Johann Kaspar Suter, 1658, in‑8o de 304 pages, avec une description illustrée du siphon de l’artère carotide interne ; Novæ Editioni accessit Auctuarium historiarum et observationum similium, cum scholiis [À cette nouvelle édition a été ajouté un supplément d’histoires et d’observations (au nombre de 18) avec des commentaires] (Schaffhouse, Alexander Reiding, 1675, in‑8o de 464 pages.
Elle a été suivie de nombreuses autres éditions : v. la seconde notule {a} de la note [7], lettre 610, pour la prolifique augmentation qui a été publiée en 1727 par les neveux de Wepfer
Il s’agit du tout premier ouvrage appliquant rigoureusement la méthode anatomo-clinique (confrontation de l’histoire de la maladie aux constats de l’autopsie) à la connaissance des attaques cérébrales (apoplexies). Le début du Benevolo lectori salutem [Salut au bienveillant lecteur] surprendra ceux qui (comme moi) pensaient que ce puissant moteur du progrès médical n’avait conquis ses lettres de noblesse qu’au début du xixe s. (dans le sillage de Xavier Bichat et de René Laennec) :
Venas Lacteas, Circulationem sanguinis, Ductos chyliferos, Vasa Lymphatica, atque alia hujus sæculi inventa, non exiguas in Pathologia turbas excitasse, norunt illi, qui Veterum dogmatibus innutriti, nova quoque addidicerunt. Nam cum de plurimarum partium usu et actionibus necessario aliter quam hactenus sentiendum sit, non pauca immutanda, emendanda, aut aliter explicanda erunt. Quibus tamen difficulter assensus conciliatur, apud eos maxime, qui a puero aliis et diversis opinionibus imbuti fuerunt. Quod cum nonnisi a solidis et firmis argumentis et ipso sensuum testimonio impetrari possit,
postquam ante aliquot annos sanguinis motum agnovissem, plurima humana cadavera, tum apud exteros, tum hic in Patria, et solus, et comitibus ac hujus utilissimi laboris sociis, Viris Clarissimis et Doctissimis D.D. Christophoro Hardero, Friderico Lucio Screta et Emmanuel Hurtero, Collegis meis plurimum colendis, aperui atque ita, aliquot annorum intervallo, plures historias, apoplexia, lethargo, mania, ulcere gulæ in asperam arteriam pervio, pleuritide, phtisi, palpitatione cordis, febribus hecticis, hydrope pectoris, empyemate, ventriculi distensione maxima, cum tunicarum incredibili tenuitate, ejus ulcere, dysenteria, ileo, intestinorum vulnere, hydrope ascite et anasarca, magno liene, renum ulcere, mesenterii apostemate, calculo vesicæ, ejus ruptura, hydrope uteri, difficili partu, suffocatione ab utero, herniæ intestinalis sectione, aliove morborum genere enectorum collegi. Hac vice quatuor, apoplexia mortuorum, historias publicæ lucis, speciminis loco, facio. Addidi exercitationem de loco in apoplexia affecto, incidenter causarum ejus proximarum facta mentione, in qua pro virili, ad leges circularis sanguinis motis, omnia accommodavi. Si rem tetigero, erit de quo mihi gratulari potero : sin aberravero, lubens aliorum candidam censuram perferam, atque si ulteriore talium sectione errorem agnovero, si licuerit, corrigam.
[Ceux qui se sont nourris des dogmes des Anciens savent bien que les veines lactées, la circulation du sang, les canaux chylifères, les vaisseaux lymphatiques et d’autres découvertes de ce siècle ne se sont pas faites sans exciter de grandes disputes dans l’étude des maladies, et y ont aussi ajouté de nouvelles connaissances. De fait, puisqu’il convient nécessairement de porter désormais un jugement différent sur l’utilité et les actions de nombreuses parties du corps, il y aura bien des notions à modifier, à corriger ou à expliquer autrement qu’on ne l’a fait jusqu’ici. Cet assentiment est néanmoins difficile à obtenir de ceux qui ont été imprégnés depuis l’enfance d’opinions diverses et divergentes. {a} Il est néanmoins impossible de s’en convaincre sans preuves solides et concrètes et sans le témoignage propre que procurent les organes des sens. Depuis que j’ai eu connaissance, voilà quelques années, du mouvement du sang, j’ai donc ouvert quantité de cadavres humains, tant dans ma ville qu’en d’autres lieux, soit seul, soit en compagnie de confrères, laquelle est fort utile dans ce genre de travail. Ce furent mes très honorables collègues Christophorus Harderus, Fridericus Lucius Screta et Emmanuel Hurterus. {b} Et c’est ainsi qu’en l’espace de quelques années, j’ai colligé de nombreuses observations : sur l’apoplexie, le coma, la folie, l’ulcération de la gorge s’ouvrant dans la trachée-artère, la pleurésie, la phtisie, la palpitation du cœur, {c} les fièvres hectiques, l’hydropisie de poitrine, l’empyème, l’ulcération de l’estomac, sa dilatation extrême avec incroyable amincissement de ses parois, la dysenterie, l’iléus, les plaies des intestins, l’ascite et l’anasarque, l’hypertrophie de la rate, l’ulcération des reins, l’abcès du mésentère, le calcul de vessie, sa rupture, l’hydramnios, l’accouchement compliqué, la suffocation de matrice, l’opération pour hernie intestinale, {d} ou pour toute autre sorte de maladie mortelle. En retour et à titre d’exemple, je publie quatre observations de décès par apoplexie. J’y ai ajouté un essai sur le lieu affecté dans l’apoplexie où, en faisant incidemment mention de ses causes premières, j’ai accommodé à ma façon toutes choses aux lois du mouvement circulaire du sang. Si j’ai atteint mon but, je pourrai avoir de quoi me féliciter ; si j’ai extravagué, je supporterai volontiers la censure loyale des autres ; et si de nouvelles dissections me convainquent de mon erreur, j’en conviendrai et je la corrigerai si l’occasion m’en est donnée].
- Lumineux et émouvant raccourci des révolutions médicales accomplies au xviie s., dont l’influence historique ne saurait être sous-estimée, bien que la caricature Diafoirus ait malencontreusement contribué à laisser croire le contraire.
- Ces trois médecins suisses (Screta étant d’origine tchèque) ont laissé quelques traces dans les bibliographies, mais je n’ai pas trouvé leurs biographies.
- V. note [5] de l’observation viii.
- À l’exception de l’hydramnios, ou hydropisie utérine, qui est une accumulation de liquide dans les membranes fœtales, toutes ces affections sont définies dans les notes de notre édition et peuvent s’y retrouver à l’aide de l’index ou de la recherche plein texte.
En établissant le lien entre l’apoplexie et la circulation du sang, Wepfer est le créateur et le pionnier reconnu de la notion, aujourd’hui parfaitement établie, d’accident vasculaire cérébral : v. la Laudatio intitulée Johann Jacob Wepfer Award 2005 of the ESC [European Society of Cardiology] to Dr. Jean-Claude Baron par M.G. Hennerici et J. Bogousslavsky, Cerebrovasc. Dis. 2005 ; 20 : 152‑253.
Bien qu’il s’agisse d’une réconfortante et hardie décapitation des conceptions de Galien, et surtout de Jean ii Riolan, sur l’anatomie du cerveau et les mécanismes de l’apoplexie, Guy Patin a porté un profond intérêt au livre de Wepfer (v. note [2], lettre latine 270). C’est, à mes yeux, l’une des quatre plus importants œuvres médicales du xviie s., avec celles de William Harvey sur la circulation du sang, de Jean Pecquet sur les voies du chyle, de Théophile Bonet sur l’anatomie pathologique, et n’en déplaise à Patin, de Jan Baptist Van Helmont sur la médecine chimique et la négation des quatre humeurs corporelles. |