Autres écrits : Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : xi, note 9.
Note [9]

Ce chapitre du traité de Galien « sur les Différences des pouls » contient un beau discours sur la langue des savants ; tout mérite d’être lu, mais je n’en ai extrait que cet éloquent passage (Kühn, volume 8, pages 586‑587, traduit du grec) :

Quid tu non vis bone vir addiscere linguam Græcam ? Barbare, ut velis, sonaveris. Tantum ut ego permitto pro tuo tibi arbitrio loqui, sic mihi, ut doctus sum, concede, ut dicam. Patrem habui, qui adamussim teneret Græcam linguam, essetque doctor et pædagogus Græcus ; in hic altus vocabulis sum, nescio tua. Nec mercatorum mihi, aut cauponum, aut publicanorum usum nominum adducas. Non usus sum istorum hominum consuetudine, a puero in veterum versatus sum libris. Atque hæc dico, nec ulli dixi tamen unquam, vel heus tu barbare sonas, vel solœcismum commitis, vel parum bene et proprie appellasti. Imo loqui, ut volunt, omnibus per me quidem licet, ut etiam gubernator dicat : Adducas pes, nil laboro. Phavorinus hæc et Dion, non ego reprehendo ; tantum sermonem volo intellegere. Qui si me quando perplexum habet, ibi necessum quærere mihi est, qui interpretari nomen velit. Si aperit sensum, taceo : neque incuso, vel exprobro, quod a consuetudine desciverit Græcorum. Una duntaxat mihi cura, capiendi sensum sermonis. Istis hoc, ut videtur, non satis est ; sed quum nos utamur Græcorum nominibus, tum nos illi primum accusant, atque nunc dialecticos agunt, nunc physicos quosdam, alias oratores, nonnunquam grammaticos. Variis enim modis nos divexant. Deinde quum quis in longiorem cum iis disputationem necessario deductus, imperitiam detegat omnium quæ quasi nossent, jactabant, statim sui ipsi obliti, quæ initio esse utilia defendebant, hæc ipsa accusant. Quis est de istis audacibus, qui nobis non insultet, quando differentias dicamus pulsuum generum tot esse, male differentias contendens nos dixisse, et multo etiam pejus generum. Nos autem ut inanem contumeliam istorum vitemus, age qualitates, dicimus, eas vocaveris, aut quomodocunque cordi tibi sit ; neque enim de nominibus nos, sed de rebus disputamus.

[Toi qui es honnête homme, pourquoi ne veux-tu pas apprendre la langue grecque ? Parle donc comme un barbare, si tu veux, je te permets de faire à ta guise, mais autorise-moi à parler comme j’ai appris. J’ai eu un père fidèlement attaché au grec, langue qu’il maîtrisait et enseignait régulièrement, et c’est celle que je connais parfaitement, mais j’ignore la tienne. Tu ne me convaincras pas d’employer le vocabulaire des boutiquiers, des cabaretiers ou des extorqueurs. {a} Je n’ai pas les mœurs de ces gens car, dès l’enfance, je me suis plongé dans les livres des vieux auteurs. Je te dis ce que je n’ai encore jamais dit à personne : exprime-toi donc comme un barbare, commets des solécismes, emploie des mots fautifs et impropres ! Et même plus, je laisse à chacun la liberté de parler comme il veut, suivant en cela la volonté du gouverneur : « Là où tu mets le pied, je ne m’en soucie pas. » Pour ma part, je ne critique ni la langue de Favorinus ni celle de Dion, {b} je veux seulement comprendre leurs discours. Quand un auteur me plonge dans la perplexité, alors je me mets à chercher pour savoir ce qu’il a voulu dire ; si je trouve, je me tais, je ne l’accuse ni ne le blâme pour s’être écarté de la bonne langue grecque. Mon unique souci est de comprendre le sens du texte. Cela, semble-t-il, ne leur suffit pas : quand nous employons les mots des Grecs, ils nous en font reproche, agissant alors tantôt en raisonneurs, tantôt en naturalistes, tantôt en donneurs de leçons, {c} car ils savent nous tourmenter de bien des façons. À la fin, quand celui qu’ils ont nécessairement emmené à une trop longue supputation met au jour leur ignorance de tout ce qu’ils font mine de connaître, alors, aussitôt oublieux de leurs propres mots, ils mettent en cause ce qu’ils affirmaient et défendaient initialement comme étant d’utiles vérités. Quand nous enseignons qu’il existe quantité de genres de pouls, aucun de ces insolents ne nous ferait injure en contestant, ou en faisant bien pis encore, les différences que nous avons énoncées ; mais pour nous garder de leurs affronts, eh bien soit ! nous nommons ces qualités. Appelle-les comme nous ou comme le cœur t’en dira, car nous ne discutons pas des noms, mais bien des faits].


  1. Traduction péjorative de publicanus (telônês en grec), percepteur d’impôts.

  2. V. note [40], lettre 99, pour Favorinus, et [3], lettre latine 322, pour Dion de Pruse ; ces deux rhéteurs grecs des ier et iie s. étaient respectivement originaires de Gaule et de Bithynie.

  3. Traduction péjorative de grammaticus, grammairien.

C’est au De optima secta ad Thrasybulum liber [Livre sur la meilleure secte, à l’intention de Thrasybulus] que Galien a le plus explicitement donné un avis sur les médecins adeptes des qualités occultes (kékrumménes, cachées, en grec), c’est-à-dire qui dépassent l’entendement présent (v. note [7], lettre 3), Kühn, volume 1, pages 109‑110 (traduit du grec) :

Apparentium igitur, quæ non ex seipsis comprehenduntur, judicatoria, ut dixi, sunt sensoria : quæ non vero ex se, sed ex aliis cognoscuntur, judicatorium est observatio : dico autem eorum, quæ signis percipiuntur. Rursus occultorum ut plures sunt differentiæ, ita etiam judicatoria diversa. In occultis alia evidentia sunt, exempli causa, fieri non potest, ut idem homo simul Athenis sit et in Ægypto ; alia demonstratione intelliguntur. Jam evidentium sane judicium est communis omnium hominum notitia. Eorum quæ demonstratione comprehenduntur, judicatio consensus est cum iis, quæ in confesso habentur. Scinditur autem rursus confessi judicium multifariam : vel enim consensu, quem eum apparentibus obtinet, confessum judicatur : vel eo, quem cum evidentibus, vel illo, quem cum demonstratis. Quomodo igitur judicare conveniat verum, et quæ ad veri judicium ducunt, exposimus.

[Le jugement porté sur les choses visibles qui ne se comprennent pas d’elles-mêmes, ressortit, comme j’ai dit, aux perceptions sensorielles ; c’est-à-dire à ce qui n’est pas connu en soi, mais par l’intermédiaire d’autres phénomènes, et que la simple observation ne permet pas de discerner ; c’est ce que j’appelle aussi la perception à l’aide des signes. Autant il y a de différences dans les phénomènes occultes, autant il y a de diversité dans la façon de les juger. En cette matière, les preuves sont à établir différemment : par exemple, un même homme ne peut pas être à la fois à Athènes et en Égypte ; il faut recourir à une démonstration illogique pour rendre cela possible. Le savoir commun à tous les hommes se fonde sur les preuves concrètes. Nul ne conteste ce qu’une démonstration factuelle permet d’établir. En revanche les avis divergent sur ce qui n’a été qu’affirmé : les uns tiennent ce postulat pour une illusion des sens, mais d’autres le rangent parmi les faits évidents ou démontrés. Nous avons donc ici exposé comment il convient d’établir la vérité, et ce qui mène au jugement du vrai]. {a}


  1. Ma traduction a pris quelques libertés avec le latin de Kühn (et de ses prédécesseurs), mais elle permet de comprendre que Galien n’était guère partisan des qualités occultes et se fiait plus à l’objectif qu’au subjectif.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Observations de Guy Patin et Charles Guillemeau sur les us et abus des apothicaires (1648) : xi, note 9.

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(Consulté le 05/05/2024)

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