Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 8 manuscrit, note 10.
Note [10]

Joseph Scaliger, Ép. lat. livre i, début de la longue lettre iii, adressée à Mamert Patisson, {a} datée du 12 avril [1582], sans lieu (Leyde, 1627, pages 69‑86) : {b}

« [Voici de nouveau que vous me pressez en réclamant mes sept livres de Emendatione temporum : {c} cet ouvrage est déjà presque achevé, et attend que vous y appliquiez bientôt tout votre soin. Je me consacre désormais tout entier à en établir la copie définitive ; mais pendant une heure et demie, mon élan a été interrompu par cette Apologia de je ne sais quel misérable petit homme, {d} que vous m’avez envoyée. Grands dieux, comme ce libelle, que vous avez, bien entendu, transmis à votre ami, est étonnant et saint ! Dans cette boulangerie, {e} maints hauts personnages ont rogné mon nom ; mais jusqu’à ce jour, nul n’en était sorti à qui répondre eût moins importé à mon honneur et à mon rang.] Si on m’avait ordonné de me pendre, j’aurais < vraiment > déploré apo axiou xulou. {f} Tel qu’il se présente aujourd’hui, je n’ai certes pas à me plaindre de mon destin : hormis cet ignorant, je n’ai pas d’ennemi, et celui-là tombe à point ; {g} mais je me demande s’il est plus digne de raillerie que de pitié. Du reste, je serais étonné qu’à lui tout seul, ce modeste esprit parvînt à troubler la république des lettres, etc. » {h}


  1. Mamert Patisson (Mamertus Patissonius), imprimeur parisien natif d’Orléans, mort en 1600 ou 1602, était lié à la famille des Estienne : il avait débuté (de 1569 à 1574) comme correcteur dans l’imprimerie de Robert ii Estienne, frère aîné de Henri ii, le Grand Estienne (v. note [31], lettre 406), qui portait le même prénom que leur père (v. note [37], lettre 659) ; trois ans après la mort de son patron (1571), Patisson avait épousé sa veuve, Denise Barbé, et dirigé l’imprimerie familiale. Fin connaisseur des lettres grecques et latines, il a mis au jour plusieurs ouvrages de Scaliger.

  2. J’ai ajouté le début de la lettre (entre crochets) pour éclairer l’extrait transcrit dans le Borboniana :

    Ecce iterum urges me, et libros meos septem de Emendatione temporum flagitas : quod opus jam affectum propediem diligentiam tuam exspectat. Itaque adeo totus nunc sum in describendo. Sed impetum meum sesquihora repressit Apologia homuncionis nescio cujus, quam ad me misisti. Dii magni, horribilem et sacrum libellum, quem tu scilicet ad tuum sodalem misisti ! Multi in eo pistrino alti meum nomen arroserunt. Nemo tamen hactenus exstitit, cui respondere minus intersit et existimationis et loci mei.

  3. Ouvrage chronologique de Joseph Scaliger « sur la Correction des temps » (Paris, Mamert Patisson, 1583, v. note [53] du Borboniana 3 manuscrit), dont le nombre final n’a pas été de sept, mais de huit livres (achevé d’imprimer daté du 1er août 1583).

  4. Mathematica pro Lucano Apologia adversus Iosephum Scaligerum. Francisco Insulano Authore. Ad Renatum Biragum cardinalem illustrissimum Galliarum cancellarium.

    [Apologie mathématique {i} pour Lucain {ii} contre Joseph Scaliger. Par Franciscus Insulanus. Adressée au cardinal René de Birague, {iii} illustrissime chancelier de France]. {iv}

    François de l’Isle (Franciscus Insulanus) n’est connu que pour sa querelle avec Scaliger. Je n’ai trouvé d’autres renseignements sur lui que dans le court article que lui ont consacré Les Bibliothèques françaises de La Croix du Maine… {v} (tome premier, pages 227‑228), avec cette note de Bernard de La Monnoye : {vi}

    « Lorsqu’en 1579, le commentaire de Joseph Scaliger sur Manile vint à paraître, {vii} et où il relève avec hauteur l’ignorance de Lucain {vii} en astronomie, François de l’Isle, procureur au Parlement de Paris, homme qu’on n’aurait cru ni poète ni astronome, entreprit de se montrer l’un et l’autre dans une Apologie en vers latins, qu’en 1582 il publia pour Lucain contre Scaliger. La vérité est que les vers en étaient misérables, que les fautes contre la quantité {ix} et la diction y fourmillaient. Les intelligents néanmoins prétendent que, du côté de l’astronomie, Scaliger y était fortement poussé ; {x} ce qui est si vrai que celui-ci, nonobstant la réponse méprisante qu’il y fit dans son épître à Mamert Patisson, ne laissa pas sur la fin de passer condamnation {xi} en quelques endroits. »

    1. C’est-à-dire astronomique (et astrologique).

    2. Auteur du poème historique intitulé La Pharsale, sur la guerre civile entre César et Pompée (v. note [33], lettre 104).

    3. V. note [35], lettre 327.

    4. Paris, Ioannes Richerius, 1582, in‑4o de 25 pages, texte entièrement rédigé en vers latins.

    5. Paris, 1772, v. notule {e}, note [56] du Borboniana 2 manuscrit.

    6. V. notule {b}, note [7], lettre 977.

    7. Paris, 1579, v. note [39] du Borboniana 3 manuscrit.

    8. Insulanus a exposé (en prose) ses griefs contre Scaliger au début de son Apologia pour Lucain :

      1. Scaliger commentariorum in Manilium pag. 48. Lucanum adeo Mathematices expertem fuisse scripsit, ut sub Tropico perpetuum meridiem, ac proinde illic umbras nunquam converti putavit [À la page 48 de ses commentaires sur Manilius, Scaliger a écrit que l’ignorance de Lucain en mathématiques allait jusqu’à penser que l’heure de midi est perpétuelle sous les tropiques, et que donc la nuit n’y tombe jamais] ;

        Scaliger, à ladite page 48 de son commentaire sur les Astronomiques de Manilius, a en effet étayé sa virulente critique de plusieurs citations tirées de Lucain ;

      2. affingit Lucano Tropicos illum circulos, reliquasque Zodiaci partes ita mobiles fecisse, ut eas ad Planetam, non Planetam ad eas promoverit [il attribue à Lucain d’avoir tenu les tropiques pour tournants et les autres parties du zodiaque pour immobiles, en sorte qu’il les faisait se déplacer vers la planète, et non l’inverse] ;

      3. Lucanum mixta aliquatenus puncta Signorum (ut vel manifestissime sunt) dicentem non perfert, atque inde colligit illum unum eundemque solstitialem diem continuasse per duo Signa, Cancri puta et Leonis [il conteste Lucain disant que les points du zodiaque se chevauchent quelque peu (comme ils le font très manifestement), pour en déduire qu’un seul et même jour solsticial est placé sous deux signes, par exemple ceux du Cancer et du Lion] ;

      4. Lucanum incusat, uno eodemque tempore, in Cancro simul, et Capricorno Solstitium, ac rursus sub utroque puncto Cancri et Capricorni, fontes Nili statuisse [il accuse Lucain d’avoir établi que le solstice est à la fois dans le Cancer et dans le Capricorne, et en même temps que les sources du Nil se situent sous les deux points du Cancer et du Capricorne] ;

      5. Lucanum, stationem aliumque habitum Planetarum solaribus imputantem radiis, irrisit [il se moque de Lucain imputant aux rayons du Soleil l’immobilité et tout autre comportement des planètes] ;

      6. Sextum caput est de conviciis, quibus […] toto commentariorum decursu Scaliger indignius tantæ maiestatis viro insultat [le sixième chapitre touche aux insultes dont Scaliger, tout au long de son discours (…), accable fort indignement un homme d’un si grand renom].

    9. Métrique poétique.

    10. Malmené.

    11. De corriger ses livres de Emendatione temporum.

  5. Au sens de boutique où on pétrit du pain, mais ici avec la farine et le fiel de la jalousie et de la médisance : soit, dans l’esprit vindicatif et mordant de Scaliger, le monde académique et savant qui critiquait amèrement les ouvrages des plus talentueux qu’eux.

  6. Grec pour « le défaut d’arbre qui en fût digne », à rapprocher de l’adage no 921 d’Érasme, Supspendio deligenda arbor [Je dois choisir un arbre pour me pendre], prononcé par qui se trouve dans une situation révoltante et intolérable.

    J’ai ajouté entre chevrons l’adverbe sane [vraiment] qui manque à la transcription du Borboniana. Scaliger feignait bien sûr d’outrer son désespoir.

  7. Volupté du carnassier qui flaire une proie facile à dépecer.

  8. V. infra note [11], pour des informations complémentaires sur Insulanus et ses ouvrages.

Guy Patin a mentionné cette épître de Scaliger et sa querelle avec Insulanus dans sa lettre du 8 décembre 1637 à Claude ii Belin (v. sa note [6]) ; c’est-à-dire sans doute au moment où Nicolas Bourbon lui en a raconté l’histoire.

Scaliger prit la peine de répondre par une Epistola adversus barbarum, ineptum et indoctum poema Insulani, patroniclientis Lucani [Lettre contre le poème barbare, inepte et ignare d’Insulanus, avocat de Lucain] (Paris, Mamertus Patissonius, 1582, in‑8o de 20 pages) et en a parlé dans ses Lettres françaises.

  • De Poitiers, le 21 juin 1582, à Claude Dupuy (pages 125‑126) :

    « Je vous envoie une petite réponse que j’ai faite à la stupidité de l’Isle, procureur en votre Cour de Parlement. Elle ne vaut guère ; aussi le personnage n’en méritait pas de plus exquise. »

  • Du château de Guillot (près d’Agen), le 31 août 1583, au même (pages 145‑146) :

    « Au reste, je sais bien que le vénérable Insulanus a fait et publié un poème diffamatoire contre moi, de quoi j’étais averti il y a un an ; mais c’est la coutume que les putains médisent des femmes de bien. Je m’assure qu’il n’a pas mieux dit en cette dernière badinerie qu’en sa première, par laquelle il a assez découvert sa barbarie. Le médecin Duret {a} l’a fort instigué à publier cette farce, ce qu’il n’eût fait sans la suasion {b} du dit personnage. C’est le moindre de mes soucis. Et à la mienne volonté que jamais ne m’en advînt de pires ! »


    1. Plus probablement Jean Duret (v. note [3], lettre 149) que son père, Louis, car, quoique seulement âgé de 20 ans, il adhérait alors ardemment au parti de la Ligue catholique.

    2. Sans le conseil, la sollicitation.

  • De Guillot, le 31 août 1583, à Pierre i Pithou (page 147) :

    « J’ai ouï parler du poème diffamatoire du procureur de l’Isle contre moi, mais je ne l’ai voulu regarder, me contentant qu’un âne a écrit contre un qui sait plus que lui, et un méchant contre un homme de bien. »

  • Scaliger a encore rangé de l’Isle dans la catégorie des « babouins et souillons » à la fin de sa lettre du 18 décembre 1585 à Claude Dupuy (v. seconde notule {b}, note [13] du Naudæana 2).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 8 manuscrit, note 10.

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(Consulté le 26/04/2024)

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