À Charles Spon, le 26 juillet 1650, note 15.
Note [15]

Journal de la Fronde (volume i, fo 258 ro) :

« De Bordeaux, le 11 juillet 1650. L’argent que l’on attendait est arrivé le 8 du courant au soir dans deux frégates espagnoles, avec un envoyé d’Espagne nommé Don Joseph ou Don George Osorio, qu’on dit n’être pas homme d’importance ; mais ce qui fait croire qu’il n’y a pas beaucoup d’argent est qu’il n’y a que ceux qui l’ont compté qui en savent le nombre. Les uns veulent qu’il y ait 600 mille livres, et les autres 1 300 mille livres. Cet envoyé d’Espagne fut reçu dans un carrosse à six chevaux et conduit au logis de M. Lenet, conseiller de Mme la Princesse. Le lendemain 9, le parlement s’étant assemblé donna arrêt portant que tous les Espagnols qui étaient arrivés seraient pris au corps, et enjoint à toutes personnes de leur courre sus ; mais la publication de cet arrêt a été sursise et cela a fait grand bruit. Les Espagnols l’ayant su en ont témoigné grand ressentiment, et le parlement est contraint de les souffrir, le parti des princes faisant crier les peuples pour cela et pour chasser de la ville tous ceux qui lui sont suspects pour être de la cour. »

Pierre Lenet a lui-même narré et commenté l’événement dans ses Mémoires (tome i, pages 373‑375) :

« La princesse {a} reçut avis que don Joseph Osorio était arrivé avec trois frégates espagnoles près Bacalan. {b} Nous crûmes qu’elles apportaient les quatre cent mille livres que Lartet nous avait dit avoir vu charger ; ce qui donna une grande joie à tout le parti [condéen] et à toute la ville, {c} chacun espérant d’y avoir sa part. Les ducs vinrent incontinent s’en réjouir avec la princesse, qui tint conseil pour aviser avec les commissaires du parlement, les jurats et quelques-uns des principaux bourgeois, si on recevrait ce gentilhomme espagnol publiquement ou incognito. Et comme c’était un pas délicat que nous ne voulions pas faire sans y intéresser tout le corps, en prenant les sentiments de leurs députés, il était plus sûr de le recevoir la nuit et sans bruit, pour ne pas réveiller tous les gens affectionnés à la cour, qui n’attendaient une bonne occasion de nous nuire. Il était plus avantageux de le faire entrer publiquement avec l’approbation d’un chacun, afin qu’il n’y eût plus rien à ménager, pour faire voir aux Espagnols que la princesse était absolument maîtresse de Bordeaux, afin qu’ils ne marchandassent plus à nous secourir, et pour leur faire voir que l’argent qu’ils nous enverraient serait utilement employé. Chacun opina à sa mode. Enfin, il fut résolu qu’on le recevrait en public ; que la princesse lui enverrait un carrosse à six chevaux et quelques gentilshommes pour l’escorter, et qu’il viendrait descendre à mon logis. Cela fut exécuté : elle lui envoya Mazerolles pour le complimenter de sa part, comme un envoyé du roi d’Espagne. Je le régalai du mieux qu’il me fut possible : les ducs mangèrent toujours avec lui, et tous nos principaux officiers. Nous lui donnâmes la musique, des concerts de luths, de violons et de trompettes ; et tout le peuple le suivait en foule avec des acclamations de joie qui me surprirent. Je confesse ingénument ma faiblesse : je souhaitais fort sa venue, par la nécessité en laquelle nous étions d’être secourus d’argent. Je savais bien que les affaires de la nature de la nôtre ne doivent se commencer qu’à toute extrémité ; mais quand elles le sont, il faut les soutenir par toutes les voies ; que quand on y succombe on est châtié comme des rebelles, et que quand on y réussit on fait le service du roi et le bien de l’État. Mais j’étais Français d’inclination autant que de naissance ; j’avais, comme mes pères, été toute la vie attaché au service du roi ; je ne pouvais m’accoutumer au nom espagnol et j’eus toutes les peines du monde à dissimuler je ne sais quelle douleur intérieure qui me faisait condamner en moi-même la joie que je voyais en tout le monde ; et assurément, je n’étais pas seul de ce sentiment. »


  1. De Condé.

  2. Sur la rive gauche de la Garonne, en aval immédiat de Bordeaux.

  3. De Bordeaux.

Une note de bas de page, tirée de l’Histoire véritable de tout ce qui s’est fait et passé en Guyenne pendant la guerre de Bordeaux, ajoute :

« Mais que devint l’argent ? On a cru tout un temps qu’on l’avait débarqué et mis ès mains de Mme la Princesse, suivant le traité fait à Madrid avec le roi d’Espagne par le marquis de Sillery, envoyé par le duc de Bouillon et les autres seigneurs de son parti ; néanmoins, il est très véritable que de quatre cent mille livres (les uns ont dit plus, les autres moins) que ce bon Espagnol avait conduits, il n’en laissa à Mme la Princesse que soixante mille livres, pour l’assurance desquelles cette princesse lui donna des pierreries en gage, et qu’il rapporta le reste en Espagne : ce qui n’a pas accommodé les affaires du duc de Bouillon car faute de finances, il n’a pu mettre sur pied les troupes qu’il avait dessein de lever pour tenir la campagne. »

Imprimer cette note
Citer cette note
x
Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 26 juillet 1650, note 15.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0237&cln=15

(Consulté le 27/04/2024)

Licence Creative Commons