À André Falconet, le 20 août 1660, note 9.
Note [9]

« Personne au monde n’est indemne de faute ; nous sommes des hommes, non des dieux » : Pétrone, Satyricon, lxxv, paroles d’Habinnas pour calmer Trimalcion qui se dispute avec sa femme. V. note [40‑2] du Faux Patiniana II‑2 pour un commentaire aussi insipide que douteux de ce passage dans L’Esprit de Guy Patin.

Mme de Motteville (Mémoires, page 499) :

« Toutes les compagnies souveraines allèrent {a} saluer ce ministre, {b} avec des sentiments contraires à ceux qu’ils avaient eus par le passé. Le Parlement députa un président, deux conseillers de la Grand’Chambre et un de chaque Chambre des enquêtes pour le remercier de la paix qu’il venait de faire : honneur qui jusqu’alors n’avait été fait à aucun ministre ni favori et n’avait point encore d’exemple. Cette Compagnie avait mis sa tête à prix, mais en cette occasion, leurs harangues furent toutes remplies de ses louanges ; et sans avoir honte de leur injustice passée ou de leur légèreté présente, ils témoignèrent avoir pour lui une vénération extrême. Le cardinal dut être sans doute sensible à cette gloire, et véritablement elle fut grande ; mais pour la mitiger, Dieu le mettait en état, par les approches de la mort, d’éprouver en lui-même que les biens de la vie ne sont jamais purs. Il leur répondit à tous selon ce qu’il devait sentir et leur parla éloquemment. Peu de jours après il se porta mieux et son amendement fit espérer que son mal ne serait rien. »


  1. Fin juillet 1660.

  2. Mazarin malade.

Les Mémoires pour servir à la vie de M. Ménage, au début du premier tome des Menagiana (Paris, 1715, pages [Hx ro‑Iij vo]), ont commenté cette affaire.

  • La députation prêtait à sourire car, du début à la fin de la Fronde (1648-1653), le Parlement de Paris ne s’était jamais privé de malmener le cardinal Mazarin sans le moindre ménagement. Dans une élégie latine de Gilles Ménage adressée au ministre, qui commençait par ces mots Rerum certa parens… [Mère véritable des affaires…], on trouva quelques vers « parlant des lâches courtisans qui, après avoir attendu longtemps à la porte du cardinal, suivent sa chaise ou son carrosse pour l’accompagner partout où il va, ce qui est une action indigne d’un homme libre » :
    Egrederis densa Procerum comitante caterva,
    Nosque tuis oculis æmula turba rapit.
    Quid facerem ? sequerer ? mihi nunc et pectus anhelum,
    Infirmique pedes, invalidumque latus.
    Sed neque amicitiæ sunt hæc certissima signa,
    Et, puto tam viles despicis ipse togas
    .

    [Tu t’extrais du dense bataillon qui accompagne l’Éminence, et la troupe des rivaux nous soustrait à tes yeux. Que ferais-je ? devrais-je suivre ? et me voici maintenant hors d’haleine, les jambes exténuées et le flanc sans force. Mais ce ne sont pas là des marques très certaines d’affection, et tu méprises, je pense, des robes aussi viles].

  • Le mot togas, dans le dernier vers, excita la curiosité de certains malveillants.

  • « Ils firent entendre dans le monde que M. Ménage avait prétendu par ce vers désigner Messieurs du Parlement et ils gagnèrent quelques conseillers qui, suggérés par d’autres, les allèrent porter à la Grand’Chambre ; mais M. Ménage fit connaître à M. le premier président de Lamoignon que, bien loin d’avoir prétendu parler de Messieurs du Parlement, il n’en avait pas même eu la pensée, puisqu’il avait composé cette élégie trois mois avant cette députation, qu’il ne pouvait pas deviner se devoir faire. »

  • En excellent philologue qu’il était, le poète ajoutait :

    « Viles togæ en cet endroit ne peut donc signifier autre chose que “ de lâches courtisans ”. Il est assez commun que ce mot de togæ se prend pour des courtisans ; néanmoins, puisque je vois que cela est révoqué en doute par quelques personnes, j’en apporterai ici quelques exemples, tirés de Martial, qui est un auteur qui est dans les mains de tout le monde.

    Nec vocat ad cœnam Marius, nec munera mittit,
    Nec spondet, nec vult credere ; sed nec habet.
    Turba tamen non deest, sterilem quæ curet amicum.
    Eheu quam fatuæ, sunt tibi, Roma, togæ !
     » {a}


    1. Martial, épigramme 18 du livre x :

      « Marius n’invite pas à dîner, n’envoie pas de cadeaux, n’est garant de personne, ne veut pas prêter. C’est qu’il n’a rien. Néanmoins il ne manque pas de gens pour soigner sa stérile amitié. Hélas, pauvre Rome, que tu as de sots courtisans ! »


  • Les Mémoires du Menagiana donnent cet épilogue :

    « Après cela, il ne resta aucun doute à M. de Lamoignon de la vérité de la chose et de l’innocence de M. Ménage ; et dans la suite, il ne fit aucune attention à tout ce qu’on lui pût dire contre lui. Cela n’empêcha pas les ennemis de M. Ménage de continuer leurs discours injurieux contre sa personne et contre ses écrits ; et de donner à quelques vers de son élégie le tour et l’explication la plus maligne qu’ils pouvaient, et ils ne cessèrent leur médisance qu’en disant malicieusement, comme on l’a dit encore après sa mort, que M. Ménage ne s’était tiré de ce mauvais pas qu’en avouant sa faute. […] Il avait alors, comme il a toujours eu, des jaloux et des envieux de sa gloire, qui ne cherchaient que les occasions de la ternir ou de la diminuer : Ingrati erunt, disait-il, invidi, malefici, maledici, donec homines ; illorum igitur ingratum animum, invidias, iniurias, maledicta, dicteria, scommata, immotus, ut Philosophum et Christianum decet, sino præterfluere. Qui me ament, qui mihi faveant, qui mea tueantur, non deerunt viri honesti, quorum amicitia et studiis delectabor potius, quam illorum iniuriis et maledictis laborabo. » {a}


    1. « Tant qu’il y aura des hommes ingrats, envieux, malveillants, médisants, comme doit être un philosophe et un chrétien, je resterai insensible à l’esprit mauvais, à la haine, aux insultes, aux calomnies, aux sarcasmes, aux railleries qui s’épanchent de leur sein. Il ne manquera pas d’hommes honnêtes pour m’aimer, me favoriser, me protéger. Je me délecterai plus de leur amitié et de leurs attentions que je ne souffrirai des insultes et des médisances des autres. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 août 1660, note 9.

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(Consulté le 30/04/2024)

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