Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
6. Sur la circulation du sang, note 31.
Note [31]

La critique de Jean ii Riolan reprenait fidèlement le dernier paragraphe, page 41, chapitre v de la Dissertatio anatomica, et se référait au second Exercitatio [Essai] de William Harvey (page 209‑212, traduction de Charles Richet, 1879, v. supra note [27]) :

« Si vous remplissez deux vases de même dimension, l’un de sang artériel jaillissant, l’autre de sang veineux extrait de la veine du même animal, vous pourrez vous rendre compte, lorsque tous les deux se seront refroidis et coagulés, qu’il n’existe pas de différence entre les deux. Cependant, il est des gens qui croient qu’il y a dans les artères un autre sang que dans les veines, que le sang artériel est plus bouillant et, je ne sais comment, agité par des esprits abondants et tumultueux, et remplissant un plus grand espace, comme le lait et le miel bouillonnent et entrent en effervescence lorsqu’on les met sur le feu.

Si le sang lancé dans les artères par le ventricule gauche du cœur était en bouillonnement et en effervescence, de sorte qu’une ou deux gouttes suffiraient à remplir toute la cavité de l’aorte, il devrait, lorsque toute cette fermentation aurait cessé, se réduire à quelques gouttes (c’est ce qu’on allègue quelquefois pour expliquer comment les artères sont vides de sang après la mort), et nous verrions le même fait se produire dans le vase rempli de sang artériel. C’est en effet ce que nous voyons quand le lait ou le miel chauffés se refroidissent. Mais si, dans les deux vases, le sang garde la même couleur, si le caillot a à peu près la même consistance et exprime de la même manière son sérum, s’il occupe le même espace à chaud qu’à froid, je pense que tout le monde trouvera là des raisons suffisantes pour rejeter les rêves de ces auteurs, et pour penser que le sang du ventricule droit et le sang du ventricule gauche du cœur sont semblables (comme nos sens et le raisonnement le démontrent). Ou bien il faudrait affirmer que l’artère pulmonaire est dilatée par quelques gouttes de sang spumeux, et que le sang est aussi tumultueux et effervescent dans le ventricule droit que dans le ventricule gauche, puisque celui qui entre dans l’artère pulmonaire et celui qui sort de l’aorte ont la même apparence et occupent le même volume.

Il y a trois principales raisons pour admettre cette opinion de la diversité du sang : 1o en ouvrant les artères, on voit s’écouler un sang plus vermeil ; 2o dans les dissections de cadavres, on trouve le ventricule gauche du cœur et toutes les artères complètement vides ; 3o on regarde le sang artériel comme plus animé et plus rempli d’esprits, on pense donc qu’il occupe plus d’espace. Un examen attentif montre les causes et les raisons de tous ces faits.

D’abord, pour ce qui concerne la couleur, toutes les fois que le sang sort par une étroite ouverture, il est comme filtré et plus ténu ; et c’est la partie la plus légère, celle qui surnage et qui est plus subtile, qui sort de la plaie. Ainsi dans la phlébotomie, le sang qui jaillit au loin, par un large orifice, en abondance et avec force, est plus épais, plus dense et plus foncé. Mais s’il s’écoule au contraire goutte à goutte, par une ouverture mince et étroite, comme lorsqu’il sort des veines quand la bande de compression est enlevée, il est vraiment vermeil et comme filtré ; c’est la partie la plus subtile et ténue qui sort seule, comme dans les hémorragies nasales ou lorsqu’on l’extrait par des sangsues, des ventouses, ou lorsqu’il sort par diapédèse. {a} C’est que l’épaisseur et la consistance des tuniques artérielles augmentent, et l’ouverture devient plus étroite et plus difficile pour le sang qui cherche à trouver une issue. Le même fait arrive chez les gens obèses. La graisse qui est sous la peau comprimant l’orifice de la veine, le sang paraît plus ténu, plus vermeil et presque artériel. Si, au contraire, on ouvre largement une artère, le sang reçu dans un vase aura l’apparence du sang veineux. {b} Le sang des poumons semble bien plus vermeil, lorsqu’on l’exprime, que celui qu’on trouve dans les artères. […]

En troisième lieu, pour ce qui concerne les esprits, leur nature, leur corps, leur consistance, leur union ou leur séparation avec le sang et les parties solides, il y a tant d’opinions, et elles sont si variées, qu’il ne faut s’étonner que, par un subterfuge de commune ignorance, on explique tout par les esprits dont on ne connaît nullement la nature. En effet, les ignorants, lorsqu’ils ne savent pas expliquer un phénomène, disent aussitôt qu’il est produit par les esprits et introduisent partout les esprits comme agents universels. Ils font comme les mauvais poètes qui, pour le dénouement et la catastrophe finale de leurs pièces, font venir en scène le Deus ex machina. {c} »


  1. Extravasation spontanée de sang dans les tissus (ecchymose).

  2. On a vu ailleurs Harvey beaucoup mieux inspiré qu’ici, confronté à l’enjeu de l’hématose (v. note [11], Dissertatio anatomica, chapitre v).

  3. Les gaz du sang sont aujourd’hui ce Deus ex machina (vnote Patin 33/152) et ont établi la distinction entre les sangs artériel (saturé en oxygène) et veineux (désaturé) qu’Harvey niait avec vigueur.

Riolan reprochait à Pecquet d’avoir suivi Harvey sur l’identité des sangs artériel et veineux (en disant néanmoins le premier plus rouge que le second), à la fin du chapitre vi des Experimenta nova anatomica (v. sa note [9]).

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
6. Sur la circulation du sang, note 31.

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(Consulté le 14/06/2024)

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