Texte : Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
Responsio ad Pecquetianos
1re de 6 parties, note 26.
Note [26]

Jean ii Riolan légitimait la dureté de ses « animadversions » (remarques) contre les anatomistes modernes en s’appuyant sur quatre passages de ses œuvres récentes, qui méritaient sans doute d’avoir été lus par ses détracteurs.

  1. Anthropographie (1649), {a} Ad Lectorem antiqua Præfatio [Ancienne Préface au lecteur] (avant-dernière page), sur les vertus de la dissection cadavérique :

    Sed ista inspectio debet esse accurata, propriis manibus oculatis administrata, ductu alicuius peritissimi Anatomici, in lectione authorum, et arte secandi exercitati. Nam miserè cæcutiunt in rebus Anatomicis, qui alieno ex ore sapiunt, et ex alienis oculis vident, et alienis manibus palpant. Proinde nemo vnquam peritus euadet Anatomicus, nisi peritissimos Anatomicos in lectione authorum, et praxi Anatomica versatissimos sectetur. Vel ab aliis rudem aliquam cognitionem adeptus, tandem lectione, et assidua secandi exercitatione eam perficiat. Nisi enim manum Operi Anatomico adhibuissem, aliorum oculis et manibus confisus, nunquam ea quæ à Columbo, Fallopio, Eustachio, Arantio, Coitero, Fabricio ab Aquapendente, supra Galenum, Vesalium reperta sunt, cognouissem, nec eorum quosdam errores, et posteriorum Anatomicorum animaduertissem, neque plurima supra illos Anatomicos vnquam obseruassem.

    [Cette inspection doit néanmoins être soigneuse, menée par des mains clairvoyantes et sous la conduite d’un anatomiste parfaitement adroit, aguerri par la lecture des auteurs et rompu à la pratique de la dissection. Sont misérablement aveugles en anatomie ceux qui tirent leur savoir d’une bouche autre que la leur, voient avec des yeux et palpent avec des mains autres que les leurs. Nul n’est donc jamais devenu expert en anatomie s’il n’a pas suivi l’enseignement d’anatomistes parfaitement entraînés à la lecture des auteurs et à l’autopsie. Si d’autres ne lui ont donné qu’un savoir grossier, il le perfectionnera en lisant et disséquant assidûment. Si je n’avais pas mis moi-même la main à l’ouvrage, ne faisant confiance qu’aux yeux et aux mains des autres, jamais je n’aurais compris ce que Colombo, Fallope, Eustachi, Arantius, Coiter, {b} Fabrice d’Aquapendente, Vésale ont ajouté à Galien, et je n’aurais pas remarqué certaines erreurs qu’eux et ceux qui les ont suivis ont commises ; et jamais non plus je n’aurais vu certaines choses qui leur ont échappé].

  2. Opera anatomica vetera, {a} In Librum Galeni de Ossibus, ad tyrones Commentarius didacticus, et Apologeticus, pro Galeno, adversus Nouitios et Nouatores Anatomicos [Commentaire didactique, à l’intention des débutants, sur le livre des Os de Galien, avec son apologie contre les novices et novateurs en anatomie], chapitre iiii, Quod Galenus in rebus anatomicis, cæteris præferendus est, et quid in eius lectione Anatomica sit obseruandum [Galien doit être préféré aux autres en anatomie, et ce qu’il faut observer dans la lecture de ses livres anatomiques], page 435 :

    Cùm autem Anatomen ex purissimis Galeni fontibus repetendam esse dixi, non tamen Recentiorum riuos sicco pede transeundos esse, neque posteritatis ingenia contemnenda puto. Nam in omni genere scientiarum, et summis admiratio veneratioque, et inferioribus merita laus contigit. Cum Alexandro persuaderent nonnnulli, vt Græcis sicut amicis, barbaris velut hostibus vteretur, prudenter respondit, hostes et amicos fidelitate et perfidiâ discernendos esse : Complures enim Græcos barbaris deteriores existere, vicissimque barbaros plures fidelitate Græcos superare ; Similiter quidquid à Græcis proditum est, velut ab oraculo profectum semper amplectendum esse neutiquam existimo.

    [J’ai dit qu’il faut chercher l’anatomie dans les très pures sources de Galien, mais pense qu’il ne faut pas traverser les ruisseaux des plus récents auteurs à pied sec ni mépriser les beaux esprits qui l’ont suivi. Dans toutes les sortes de science, admiration et vénération sont dues aux plus grands, mais une gloire méritée peut aussi échoir à de moindres esprits. Quand certaines gens voulurent persuader Alexandre le Grand de traiter les Grecs en amis, et les barbares {c} en ennemis, il répondit sagement qu’il faut distinguer les amis des ennemis sur la fidélité des uns et la perfidie des autres. Bien des Grecs en effet étaient pires que les barbares, tandis que maints barbares surpassaient les Grecs en fidélité. J’estime de même qu’il ne faut en aucune façon accepter, comme un oracle, tout ce que les Grecs ont dit].

  3. Opera anatomica vetera et nova, {a} préface des Animadversiones in Theatrum Anatomicum Caspari Bauhini [Remarques sur le Theatrum Anatomicum de Caspar Bauhin], page 686 :

    Propterea Medicos Germanos oro, atque obtestor, vt nostram scribendi philosophicam libertatem, et Anatomicorum modestam censuram benignè et humaniter excipiant : neque existiment me ex inuidia et contemptu nationis Germanicæ istas Animaduersiones edidisse, quam in omni genere scientiarum excultam, ingeniosam et admodum laboriosam agnosco, atque libenter et candidè profiteor. Nec dubito quin artis Anatomicæ gloriam cæteris nationibus præripuisset, si parem habuisset opportunitatem administrandi Anatomen, qualem Parisiis, vrbe populosissima habemus, vbi singulis mensibus quatuor vel sex, interdum plures homines suspendio plectuntur, quorum cadauera Medicis et Chirurgis ad vsum Anatomicum postulantibus non denegantur.

    Proinde non mirum, si eam secandi cadauera humana nactus opportunitatem, et ad id stipendio Regio honorifico inuitatus, me totum addixerim rebus Anatomicis diligenter inuestigandis, scripta ueterum et recentiorum cum subiecto accuratè comparando, vnde cognoui recentiores Antomicos grauiter errasse, dum inopia cadauerum, aut neglecta Encheirisi Anatomica, quam nonnnulli indicant sordidam, quia laboriosa est, alieno ex ore sapiant, et quæ ab aliis tradita sunt fideliter exscribunt : sic errandi consuetudo parit erroribus patrocinium.

    Non ignoro tamen humani ingenij conditionem erroribus obnoxiam, imò erroribus interdum delectari, nec fieri posse, vt opere in magno non hallucinemur, aut rerum veram naturam semper assequamur. Propterea condonandum est aliquid aliorum erroribus, ut apud alios nostrum parem gratiam inueniamus. Proinde memor nostræ conditionis, meæque tenuitatis conscius, cum omni modestia et humanitate me gessit, parem ab aliis modestiam expectans, si meos labores Anatomicos examinare velint, quos rogo, vt postremam editionem anni 1649. velint relegere, tanquam vltima manu fictam et emendatam.

    [Je prie donc et conjure les médecins allemands {d} de recevoir avec bienveillance et gentillesse la liberté philosophique de nos écrits et notre humble censure de leurs anatomistes. Qu’ils ne pensent pas que j’ai publié ces Animadversiones par jalousie et mépris de la nation germanique, car je reconnais et vante en toute bonne foi qu’elle est brillante, ingénieuse et productive en toutes les sciences. Je ne doute pas qu’elle aurait surpassé les autres pays en gloire anatomique si elle les avait égalés en occasions de pratiquer la dissection, telles qu’elles se présentent à Paris, la ville la plus peuplée d’Europe, où il ne se passe pas de mois sans que l’on pende quatre à six condamnés, voire plus, dont les corps sont confiés aux médecins et aux chirurgiens qui les réclament pour les disséquer.

    Il n’est donc pas étonnant qu’ayant ainsi l’occasion d’anatomiser et mon honorable charge royale m’invitant à le faire, je me sois tout entier et diligemment consacré aux recherches anatomiques. En comparant soigneusement les écrits des anciens et des modernes avec ce que montre le cadavre, j’ai appris que les anatomistes récents se sont gravement égarés : le manque de corps à ouvrir, ou le mépris de la pratique anatomique, que certains jugent répugnante, car pénible, les instruisent par la bouche d’un autre et ils recopient fidèlement ce que ceux-là leur ont appris : ainsi l’habitude de s’égarer fait-elle le lit de leurs erreurs.

    Je n’ignore pourtant pas que l’esprit humain est naturellement disposé à se tromper, et qu’il s’y complaît même parfois, ce qui rend impossible qu’en dépit de tous nos efforts nous ne nous trompions pas, ou percevions toujours la véritable nature des choses. Il faut donc pardonner aux autres leurs erreurs pour trouver pareille grâce à leurs yeux. Me souvenant de notre condition et conscient de ma faiblesse, je me suis comporté avec toute l’amabilité et la modestie dont je suis capable, attendant des autres la même humilité s’ils veulent examiner mes travaux anatomiques ; et je leur demande de daigner relire la présente réédition de 1649 comme revue et corrigée pour la dernière fois].


    1. Opera anatomica vetera et nova, Paris, 1649, vBibliographie.

    2. L’Italien Julius Cæsar Arantius et le Hollandais Volcher Coiter ont professé l’anatomie au xvie s.

    3. Ceux qui parlaient une autre langue que les Grecs.

    4. C’est-à-dire de langue germanique, incluant les Scandinaves, les Flamands et les Suisses (comme Caspar Bauhin).

  4. Vnote Patin 25/150 pour deux extraits du Præmonitio ad Lectorem et Auditorem [Avertissement au lecteur et à l’auditeur] du Manuel anatomique et pathologique (Leyde, 1649). Riolan y écrit aussi fièrement (pages 1‑3) :

    Et sicuti bos lassus firmius fingit pedem, sic in hac ætate provecta, maturiore judicio multa deprehendi, ab aliis, qui me præcessere prætermissa, vel ignorata, vel perepram explicata, Artis Anatomicæ lumine illustratus, quam à tenebris didici, et ita memoriæ infixi, ut nisi cum vita aboleri queat. Hac fiducia fretus, quamdiu in aula Serenissimæ Reginæ Matris Medicææ, functus sum officio Primarii Medici, laborioso, quia non licebat à latere Reginæ Valetudinariæ discedere : deinde ab Academia nostra, et Palæstra Anatomica, et Jucundissima mea Bibliotheca adistractus, intermisi quidem exercitium Anatomicum manuale, sed ipsum mente gerens, assidua meditatione repetitum, sic ea recoxi atque correxi quæ Juvenis scripseram, partim ut eleaboratiora exirent in lucem, partim ut memoriæ meæ labanti succurrerem. Quidni pateretur aliquod detrimentum per ætatem, cum fateatur Poëta,

        Nunc oblita mihi tot Carmina.
    Multa ferunt anni venientes commoda secum,
    Multa recedentes adimunt.

    Sic Galenus libros Methodi Medendi conscripsit ad subsidium memoriæ, quod senibus faciendum esse monuit Plato. Ideoque licet ob ætatem, jam Professorum Regii Collegii Decanus in Academia Parisiensi, meruerim privilegium Senectutis, quod militibus emeritis, et veteeranis Professoribus indulgetur in omnibus Academiis ; Non possum adhuc deponere laborem Anatomicum, et quamdiu feret ætas, imitabor Fabricum ab Aquapendente, qui usque ad annum octiagesimum, Anatomem docuit et demonstravit in Academia Patavina. Itaque hoc Encheiridium ex mea Anthropographia decerptum, multis novis cogitationibus, et ivnetis exornatum ; duabus de causis condidi et composui ; Partim veluti Cynosuram et directorium studii Anatomici, ut sciant Auditores mei quid docere et demonstrare debeam in unaquaque lectione : atque in publicis et privatis administrationibus istum parvum librum præ manibus habeant et facilius circumferant, ac proinde exiguo volumine minutisque typis excusus fuit ; Partim ut mihi sit regula et Mnemosynon, sive memoriale eorum, quæ explicaturus sum et ostenturus. Atque ut Auditores mei recognoscant ex inspectione, si contrariam ab aliis doctrinam Anatomicam demonstro, me ipsis aut posteris, nequaquam imponere, nec ad libitum corporis partes dissecare, ut quæ non extant instar prætigiatoris, spectantium oculis apparere faciam, vel quæ ab aliis scripta sunt, artificiose refellam, sine accurata investigatione, ut ipsis gloriam artis Anatomicæ præripiam. Equidem quantum in me situm est,

    Non mihi res, sed me rebus subiicere conor.

    Nec quæ meditatus sum in rebus Anatomicis extare puto, nisi sedula indagatione sæpius spectaverim et comprobaverim : Ac proinde ea duntaxat testamur et scribimus, quævidemus. {a}

    « Et de même que bos lassus firmius fingit pedem, {b} ainsi en cet âge avancé ayant le jugement plus mûr et plus éclairci dans l’anatomie, laquelle j’ai bien apprise dès ma jeunesse, et tellement imprimée dans ma mémoire qu’elle ne s’en effacera qu’en perdant la vie, j’ai trouvé plusieurs choses que tous les auteurs mes prédécesseurs ont ou omises, ou ignorées, ou mal expliquées. Sur cette assurance, tandis que j’ai été à la cour de la reine mère Marie de Médicis, et exercé la charge de son premier médecin {c} (laborieuse parce que je n’osais quitter sa personne, qui était valétudinaire), outre que j’étais éloigné de notre Université de Paris et de ma délectable bibliothèque, j’ai bien pendant ce temps-là quitté l’exercice manuel de l’anatomie ; mais l’ayant dans ma mémoire et la répétant assidûment, j’ai par ce moyen recuit et corrigé ce que j’en avais écrit en ma jeunesse : en partie afin de le mettre au jour plus poli et plus parfait, en partie aussi afin de secourir ma mémoire, en cas qu’elle vînt à manquer. Car comment peut-il se faire qu’elle ne souffre quelque détriment de ma vieillesse, puisque le poète l’avoue lui-même, disant :

        Nunc oblita mihi tot Carmina.
    Multa ferunt anni venientes commoda secum,
    Multa recedentes adimunt
     ? {d}

    Ainsi Galien composa ses livres de la Méthode de remédier pour suppléer au défaut de sa mémoire, Platon disant que les vieillards se devaient servir de ce remède. C’est pourquoi, bien que mon âge, qui a fait de moi le doyen des professeurs du Collège royal en l’Université de Paris, mérite bien le privilège de la vieillesse que l’on octroyait anciennement aux vieux soldats, et encore à présent aux professeurs vétérans de toutes les universités, je ne puis encore quitter l’étude de l’anatomie, voulant, aussi longtemps que mes forces le permettront, imiter en cela Fabrice d’Aquapendente, qui enseigna l’anatomie et en fit la démonstration en l’Université de Padoue jusqu’à l’âge de 80 ans. J’ai donc composé et mis en lumière ce Manuel anatomique, tiré de mon Anthropographie et enrichi de plusieurs belles pensées, et diverses inventions nouvelles, pour deux raisons : l’une, pour servir de conduite et de direction dans l’anatomie, afin que mes auditeurs sachent auparavant ce que je dois enseigner et montrer en chaque leçon, et que chacun d’eux puisse avoir en main ce petit livret, et le porter plus facilement partout avec eux, et pour ce sujet, on l’a imprimé en petit volume et en plus petits caractères ; l’autre raison, afin qu’il me puisse servir de règle et de mémoire des choses que j’expliquerai et montrerai, et afin que mes auditeurs reconnaissent par l’inspection que, si j’enseigne une doctrine anatomique contraire à celle des autres, je ne la leur impose aucunement, non plus qu’à la postérité, ne disséquant point les parties du corps suivant ma fantaisie pour les faire paraître par illusion, et comme un enchanteur, aux yeux des mes auditeurs autrement qu’elles ne sont, ou pour réfuter avec plus d’artifice ce que les autres ont écrit, sans chercher ponctuellement les choses qu’ils ont trouvées, afin de leur ôter la gloire de l’anatomie. Car pour moi, je vous assure que je ne tâche point d’accommoder les choses à mon esprit, mais bien de soumettre mon esprit à la nature des choses, ne croyant jamais que les choses que j’ai préméditées en anatomie puissent être ainsi jusqu’à ce que je les ai vues plusieurs fois confirmées par diverses recherches dans les corps mêmes. C’est pourquoi j’écris et fais foi seulement des choses que j’ai vues. »


    1. La traduction qui suit est inspirée de celle qui figure dans l’édition française du Manuel anatomique (Paris, 1661, pages 2‑4).

    2. « Un bœuf n’a jamais le pied plus ferme que quand il est bien las », saint Jérôme, vnote Patin 7/401.

    3. Du bannissement (1632) à la mort (1642) de la mère de Louis xiii, v. note [3], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie.

    4. Réunion de deux sources :

      • Virgile, Bucoliques, ix,vers 53, « J’ai maintenant oublié tant de poèmes » ;

      • Horace, L’Art poétique, vers 175‑176, « Les années apportent avec elles maints avantages, mais nous en enlèvent beaucoup quand nous vieillissons. »

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
Responsio ad Pecquetianos
1re de 6 parties, note 26.

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(Consulté le 13/06/2024)

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