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Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
Responsio ad Pecquetianos
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan Responsiones duæ (1655), Responsio ad Pecquetianos, 1re de 6 parties

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=1054

(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 51 | LAT | IMG]

Réfutation du Panégyrique apologétique
en faveur de Pecquet, écrit par deux médecins
de Paris,
contre Jean Riolan,
plus ancien maître de la Faculté de Paris, qu’ils ont diffamé. [1][1]

Sicut fortis equus spatio qui sæpe supremo
Vicit Olympia, nunc senio confectus quiescit
[2][2]

Riolan, en l’âge avancé qu’il a atteint par la grâce de Dieu, devrait maintenant prendre du repos et jouir d’une honnête oisiveté, en récompense de tant de travaux qu’il a endurés

Nullius addictus iurare in verba Magistri[3][3]

Il se soumet néanmoins volontiers au conseil d’Aristote, qui écrit au chapitre xi, livre iii des Politiques : « Le médecin doit rendre compte de sa charge aux autres. » [4][4] Deux docteurs en médecine de Paris, sectateurs et partisans de Pecquet (ainsi se proclament-ils en effet dans le titre et à la fin de ce livre diffamatoire) m’ont lancé ce défi. [5][6][7] J’ai donc décidé que mon rôle était de préserver ma réputation saine et sauve, et de repousser les insultes et calomnies qu’ils ont hardiment et malicieusement répandues contre moi. [Page 52 | LAT | IMG]

« Qui ne protège pas sa bonne réputation commet la même faute que celui qui abandonnerait sa patrie et ses parents. Chacun est tenu de défendre son propre renom », dit la sainte Écriture. Les jurisconsultes tiennent pour cruel « celui qui néglige sa renommée ». [5][8] Ceux qui rédigent des libelles diffamatoires sous un nom inventé ou sous celui d’un autre le font soit par honte d’écrire des faussetés ou des insolences, soit par crainte de l’infamie et des représailles ; tandis que celui qui écrit et expose la vérité ne craint rien, il donne le témoignage de sa sincérité et de sa bonne conscience.

————— hic murus aheneus esto,
Nil conscire sibi, nullâ pallescere culpâ
[6]

Et il proclamera hardiment :

Me me adsum qui feci, in me conuertite ferrum[7][9]

Les empereurs ont désapprouvé ce genre d’écrits et ont condamné leurs auteurs à de très lourdes peines, tant dans l’Antiquité que de nos jours, comme a fait Charles Quint. [10] Ulpien a déclaré que l’auteur ou le divulgateur d’un libelle diffamatoire ne peut témoigner en justice, [11] et Horace avait remarqué avant lui que :

Pœnáque lata fuit, quæ nollet carmine quemquam
Describi
.

L’empereur Auguste[12] selon Dion Cassius, [13] livre lvi, « instruit que des libelles diffamatoires avaient été composés contre quelques citoyens, les fit rechercher et fit brûler par les édiles ceux qui furent trouvés dans Rome, et par les magistrats de chaque endroit ceux qu’on trouva au dehors ; il punit même quelques-uns de leurs auteurs ». [8]

« Hyginus Thalassius écrit à Iatrophilus Pecquetianus » : ce sont deux médecins de Paris qui défendent et approuvent le livre sur les Veines lactées ; ils ne veulent pas faire connaître leur nom, pensant que sous [Page 53 | LAT | IMG] le masque d’un autre, ils ont sagement cousu une peau de lion sur leur peau de renard pour mordre et déchirer Riolan, comme fait le lion, et exécutent furtivement ce méfait comme fait le renard,

Astutam vapido seruant sub pectore Vulpem[9][14]

Ils disent Riolan ténébreux, décrépit, un cadavre ambulant qui a un pied dans la tombe, et croient qu’il reste silencieux parce que son intelligence va s’émoussant et chancelle ; qu’ils sachent pourtant bien que s’ils ont une épée à la maison, je ne manquerai pas d’une longue javeline, [10]

————nam charta parata est,
et calamus, nec scribenti [grata] otia desunt
 ; [11][15]

et si vous me lancez que vous avez bien des épées, je vous répondrai, comme fit Castricius de Plaisance dans Valère Maxime, et ego annos ! [12][16] Ni mes années de sagesse ni l’infirmité de mon corps ne mettront un frein aux forces de mon esprit, qui sont encore robustes, « car lorsque je faiblis, je deviens plus fort, dit saint Paul, ma puissance se déploie dans la faiblesse », [17] Nec recusabo, quamuis spectatus satis, et iam rude donatus, iterum me antiquo includere ludo[13]

Deux docteurs de Paris conspirent contre Riolan, mais le plus jeune, en tant que plus impudent, s’est chargé d’écrire et d’injurier, assisté du travail de l’autre. Étant plus jeune et à l’instar d’une souris, la trace qu’il laisse le perd : [14][18] « Moi, dit-il, qui ne suis qu’un pauvre petit homme de piètre instruction et inconnu des savants, face au plus célèbre des anatomistes, “ j’ai résisté parce qu’il s’était mis en tort. ” » [15][19][20] Vous écrivez le vrai, car si non aliquâ nocuisses, mortuus esses comme David, vous croyez avoir accompli un haut fait pour y avoir vu plus clair qu’un vieillard, et pour vous gagner quelque renom, vous vous êtes insolemment lancé aux trousses de Riolan.

Nouimus, et qui me transuersa tuentibus hirquis
Respiciat
[16][21]

[Page 54 | LAT | IMG] Vous pourriez bien vous vanter à la manière des Italiens en disant gli ho fatto la fica sotto il Mantello car vous vous êtes adjoint Mentel pour alimenter vos fourberies et vos tromperies, pour parler comme Plaute : [22] sic Dares Entellum prouocat, Troïlus Achillem[17][23][24] Les invectives qu’on dédaigne se fanent pourtant, mais vous semblez les reconnaître en vous en irritant : je me serais donc abstenu de répondre ici à un si niais et puéril règlement de compte si ne devaient être balayées les charretées d’injures qu’ont lancées contre moi et dont m’ont éclaboussé deux médecins pecquétiens, hélas docteurs de Paris !

Serpentum maior concordia, quo nemore vnquam
Expirauit aper maioris dentibus apri,
Indica trigris agit rabida cul tigride pacem
Perpetuam, sæuis iter se conuenit vrsis
[18][25]

Deux anatomistes de ladite Faculté insultent pourtant impudemment Riolan, leur plus ancien maître[26] qui leur est bien supérieur en âge et en savoir, et entreprennent un panégyrique apologique en faveur de Pecquet.

Ainsi la jalousie règne-t-elle parmi les médecins, car elle n’est nulle part plus vive que parmi les oisifs de notre Compagnie ; comme l’Espagnol Andreas Lacuna, élève de Tagault, l’avait remarqué dans la Méthode anatomique qu’il a publiée à Paris en 1535, où il dit que parmi les médecins tanta dominatur inuidia, tantus liuor, tantaque libido, quod maximè dolendum est, quanta non fuerit inter sutores, aut alterius magis seruilis artis artifices[19][27][28] C’est ce que Démocrite [29] avait prêché à Hippocrate, comme il en a lui-même témoigné dans sa lettre à Damagète, où il lui dit : [30] Valde timeo, neque Medicinam [Page 55 | LAT | IMG] nam tuam ipsis placere. Nam præ intemperantia omnia ipsis displicent, et insaniam sapientiam putant. Profecto suspicor pleraque in scientia tua palam contumelia affici, aut propter inuidiam, aut propter ingratitudinem. Ægrotantes enim simul vt seruantur, causam Diis aut Fortunæ attribuunt. Plerique verò suæ naturæ hoc adscribentes, benefactorem odio habent, et parum abest, vt indignè ferant, vt se debitores esse putentur, vt et plerique artis ignorantiam in se habentes, et imperiti existentes, id quod melius purgant, inter stupidos enim fiunt suffragia, et neque ægroti attestari volunt, neque eiusdem artus artifices testimonium præbere, inuidia enim obstat[20]

Dans sa septième Différence, Petrus Aponensis, docteur en médecine de Paris natif de Padoue, attribue des raisons astrologiques et morales au fait que certains médecins ont l’habitude de médire, et voici ses mots : Est autem sciendum quod Medici meritò vt plurimum malorum extant morum, quia ex vili stipite et sterili originem contraxerunt, intumescentes demum, et contumeliosi facti, cùm fuerint aliqualiter incrassati, tum etiam quia Medicinæ scientia, et simpliciter curatiua, maximè Scorpioni attributa est et Marti, quorum proprietates in malum tendentes iam sunt tactæ[21][31]

Page 182. « Riolan a dégainé le glaive de sa plume contre ceux qui ont salué la découverte de Pecquet, et il n’aurait pu les attaquer avec plus de colère et d’hostilité s’il s’était agi d’ignobles charlatans, d’assassins et de pendards qui attentent très insidieusement à la fortune et à la vie des citoyens » : de quelle folie furieuse êtes-vous donc agité pour mentir si effrontément dès l’introduction de votre livre ? Là-dessus, vous êtes incapable de désigner un passage ou une [Page 56 | LAT | IMG] page, comme vous l’avez fait ailleurs. Qui, sans se laisser abuser, jugerait après cela que votre si calomnieux écrit est de bonne foi ? Je reconnais avoir dit à la page 154 de ma première Responsio que l’expérience pecquétienne, si elle est à tenir pour authentique, montrera que, selon sa médecine fictive et obscure, tous les médecins de Paris sont autant d’imposteurs et de meurtriers. Cette théorie qui place la sanguification dans le cœur [32] est plus effrontée que les livres de Van Helmont[33] lequel dit que jusqu’à ce jour tous les médecins ont tué les hommes avec leur médecine hippocratique et galénique[34][35] mais que Dieu lui a révélé une médecine nouvelle pour qu’il la divulgue dans le monde entier. [22]

Dans ma première Responsio à Pecquet, j’ai clairement admis l’existence d’un ou deux canaux thoraciques, [36] en disant que ma seule plainte touchait à la nouvelle fonction du cœur dans la sanguification, qui laisserait le foie sans ouvrage, et j’ai prouvé que cela était faux et impossible. [37] Les disciples de Pecquet, bien qu’ils aient confirmé ce paradoxe, débattent contre Riolan sur l’existence des lactifères thoraciques, comme s’il y avait là matière à le contredire et à médire de lui ; mais ils n’ont pas osé reprendre le dernier jugement qu’il a émis, ni même le mordre ou l’atteindre de leur langue virulente. Riolan a ouvertement exposé le fondement de la controverse dans sa première Responsio aux Experimenta de Pecquet, page 144 : [38] « J’avoue certes que ce jeune homme, qui ne manque pas de science, a découvert ces deux tubes lactifères qui montent dans le thorax, mais qu’il ignore entièrement à quoi ils servent, et qu’il a maladroitement dépouillé le foie de la fabrication du sang pour l’attribuer à tort au cœur. [39] Dans le présent traité, je contesterai son point de vue sur la fonction de ces veines lactées, et non leur réalité [Page 57 | LAT | IMG] et leur existence. Je loue néanmoins son discernement anatomique et le soin avec lequel il a mené sa recherche sur les lactifères ; mais s’il avait expliqué le comment et non le pourquoi il aurait été digne de plus grande admiration.

De la même façon qu’on appelle wirsungien le canal du pancréas, [40] je donnerai donc légitimement le nom de pecquétiens à ces canaux lactés afin qu’il ne pense pas que je lui fasse injure, ni que je veuille obscurcir sa découverte ou me l’arroger. Je désapprouve seulement la fonction qu’il a attribuée à ces veines lactées et son insolence à l’encontre des anatomistes qui l’ont précédé, en dénonçant leur ignorance, dans son épître dédicatoire. » [23][41] Tel est le fondement de notre controverse, et le très impartial lecteur jugera si les deux docteurs de Paris, disciples pecquétiens, ont bien débattu.

Nul ne peut agir plus modérément que moi envers Pecquet : j’admets ses canaux thoraciques, mais réfute leur fonction ; je vante son savoir, mais blâme l’insolence de son épître dédicatoire. J’ai donné le nom de pecquétiens aux lactifères qu’il a mis au jour, quand j’aurais pu les appeler horniens[42] en référence à van Horne[43] professeur d’anatomie à Leyde, [44] qui a été le premier à les y trouver. [24] J’ai loué deux ou trois fois Pecquet dans mon Jugement nouveau sur les Veines lactées[45] mais n’avoir pas souscrit à celui de deux docteurs parisiens m’a mérité leur indignation. Aussitôt après la parution du livre de Pecquet, alors que je visitais une malade en compagnie du jeune docteur pecquétien, je me rappelle lui avoir parlé de ce paradoxe en disant que leur opinion ne plairait pas à tous les savants. « Je suis disposé à y renoncer et à me rétracter », me répondit-il alors ; mais son collègue l’en a dissuadé et il a persisté dans sa pernicieuse [Page 58 | LAT | IMG] erreur, en lui procurant des armes pour leur défense conjointe. Tous deux ont encouragé Pecquet et uni leurs efforts pour tordre le cou de Riolan, qui pourtant, par la singulière bienveillance de Dieu, vit et se porte bien, méditant et rédigeant tous les jours quelque chose pour favoriser l’essor de la république médicale.

Ils vitupèrent surtout contre Riolan pour ce qui l’a rendu digne de louange, quand ils nomment un à un tous les anatomistes, morts comme vivants, contre qui il a écrit des remarques, « pour piéger l’honneur de la science par des médisances qui lui sont étrangères. Pour un homme qui est toute la journée en butte aux disputes et ne peut faire régner le calme dans sa famille, [46] il est pourtant difficile de surmonter sa nature et bien tard pour devenir affable. Riolan, comme s’il était né pour le pentathle, a en effet la coutume invétérée de tous les défier au combat et pourchasser avec ardeur. » Me voilà dépeint comme un fou furieux, cui occursare in via periculosum, Cornu ferit ille, caueto ! [25] Telle est la modération qu’il montre à mon égard. Qui lira la préface de mon Anthropographie, et ses pages 435 et 686, [47] et la préface de mon Manuel anatomique[48] verra à quel pont je suis éloigné de l’ostentation et de la jactance qu’ils me reprochent malicieusement. [26]

Ils citent André Du Laurens [49] en tête de la liste des auteurs que Riolan a critiqués : avant lui, pourtant, quel anatomiste ou quel médecin a protégé la réputation et l’érudition de Du Laurens contre ceux, ou plutôt contre les Zoïles qui ont injustement raillé ses œuvres anatomiques ? [50] Je veux parler de ceux qui l’accusent d’avoir plagié en recopiant la Physiologie de Mercatus. [51] J’ai dénoncé cette imposture en me fondant sur ce que m’en a dit M. Paz, [Page 59 | LAT | IMG] très éminent docteur espagnol, premier médecin des princes d’Espagne qui gouvernent les Pays-Bas : [52] Du Laurens peut donc légitimement se justifier de Mercatus[27]

Una est in nostris tua, mi Mercate, libellis
Pagina, sed certâ Domini signata figurâ,
Quæ tua traducit manifesto carmina furto,
Sic interpositus vitro contaminat vncto.
Iudice non opus est nostris, nec vindice libris,
Stat contrà, dicitque tibi pagina
fur es[28][53]

Qui, avant moi, a dénoncé les impostures de Colladon, médecin de Montpellier[54] et de Peter Lauremberg, professeur de Rostock[55] dirigées contre l’Anatomie de Du Laurens ? J’ai copieusement exposé cela à la page 32 de mon Anthropographie et dans la préface de mes Animadversions sur l’Anatomie de Du Laurens, où j’explique ma manière de faire. [29] Puisque j’y suis maintenant invité et incité, je répète ce que j’ai écrit en toute modestie et avec toute la révérence due aux mânes et à la mémoire du très éminent et savant auteur de ce livre : « Je ne suis pas jaloux de cette fort savante Anatomie d’André Du Laurens, mais l’admire profondément ; élégamment rédigée, c’est le divin témoignage de son savoir. » Voilà exactement ce que j’ai proclamé à la page 31, dont j’ai corrigé la toute dernière édition, afin que vous n’alliez pas penser qu’il s’agit d’une méprise due à l’incurie de l’imprimeur. [30]

Quant à Bauhin, j’ai usé de la même humilité à son égard, aux pages 33 et 686 : « Sans aller jusqu’à la jalousie et au dénigrement de la réputation d’autrui, j’avertirai pourtant le lecteur que l’ultime révision du Theatrum Anatomicum a été faite sur le modèle de mon Anthropographie [Page 60 | LAT | IMG] parue en 1618, mais sans me nommer, comme le remarquera quiconque voudra comparer mon Anthropographie à cette seconde édition du Theatrum Anatomicum. Ma plainte ne porte que sur les découvertes qui m’ont demandé beaucoup de travail et j’accuse Bauhin de péculat pour les propos qu’il a repris sans nommer leur auteur, que certains voire quelques-uns connaissent : sache donc, ami lecteur, que Riolan est auteur de ce qui te déplaira dans le Theatrum Anatomicum. Je loue néanmoins le soin et l’immense labeur que Bauhin a déployés dans la rédaction de son livre, comme il a fait dans son Phytopinax, ouvrage extrêmement travaillé et utile, mais je réclame plus d’adresse et un jugement plus soigneux quand il s’agit d’approuver ou désapprouver les anatomistes. » « Parce qu’ils me croient enflé et poussé par l’amour de moi-même et par l’arrogance, je prévois qu’il ne manquera pas de gens pour dire que j’ai mis au jour ces animadversions afin de sembler plus malin que les autres anatomistes ; et qu’après les avoir mis au pilori et vaincus, je triompherais, tel un dictateur, d’avoir mis la main sur l’anatomie, et exercerais une ingénieuse tyrannie sur cette profession. Pour me mettre à l’abri de leur jalousie, j’aurais pu mettre au jour mes animadversions en changeant le nom de Riolan et prenant celui d’un autre. Beaucoup les auraient alors pourtant méprisées comme publiées par un téméraire ignorant. D’autres, ayant suspecté que j’en serais l’auteur ou tenant cela pour assuré, blâmeraient mon inconstance, mon agitation ou mon ignorance, pour n’avoir pas osé m’exposer au grand jour, et faire connaître mon [Page 61 | LAT | IMG] véritable nom en me cachant ainsi comme Apelle derrière son tableau, [56] bien exposé aux jugements d’autrui dans ce combat où celui qui lance le défi doit être identifié. Confiant dans mon expérience et dans la solidité de ma recherche anatomique, je proclame donc être l’auteur de ces animadversions. » [31][57] Je les puis dire extemporanées, car je les ai écrites sur-le-champ, dans l’ardeur de mes travaux anatomiques, en 1627, tandis que je relisais Du Laurens et Bauhin, M. Gilbert Puilon, alors bachelier de la Faculté, mais aujourd’hui mon collègue, [58] écrivant ce que je lui dictais. Quatre autres anatomistes n’étaient pas encore connus pour leurs écrits, mais les ayant examinés je les avais rapidement annotés, puis ai envoyé le tout à l’imprimeur. [32] Je n’ai pas entrepris cela pour faire insulte à des auteurs morts ou vivants, ni pour recommander et faire valoir mes propres écrits en dédaignant et méprisant les leurs, car l’arrogante, sotte et fâcheuse manie d’écrire et la pernicieuse démangeaison de blâmer ne m’avaient pas encore culbuté et ruiné l’esprit : non, je l’ai fait pour rendre plus vigilants ceux qui lisent des ouvrages d’anatomie, et pour qu’ils appliquent autant de soin et de prudence quand ils consultent les miens. J’ai pourtant agi avec modestie et amitié à l’égard de ces auteurs, et j’attends la même grâce de ceux qui sont encore en vie, en souhaitant qu’ils jouissent de l’aura ætherea[33] Je désire donc que ces animadversions ne soient pas tenues pour des jugements critiques, mais pour des annotations ou interprétations des passages difficiles et fort obscurs, ou pour des compléments de ce qui fait défaut, afin que les philiatres comprennent plus aisément et correctement ces ouvrages anatomiques, et soient incités à approfondir leurs recherches. Je les appellerai donc volontiers chrestomathies, comme le très distingué [Page 62 | LAT | IMG] Isaac Casaubon [59] a fait pour ses annotations sur Laërce[60] à la façon des anciens auteurs qui, en lisant, colligeaient ce dont ils doutaient par un obèle, selon Galien dans son commentaire ii sur le Livre d’Hippocrate de la Nature de l’homme, page 100, ligne 9 ; et je vous souhaite pareille bonne fortune, qui siérait à votre dignité. [34][61] Je produirai patiemment de telles observations sur les matières anatomiques après cette présente édition, que je pense avoir mise au jour dans une forme plus correcte que les précédentes.

J’ai exposé les motifs de mes Animadversions sur Spiegel [62] à la page 34 de mon Anthropographie : « Spiegel, à la manière de Fabrice et Casseri[63][64] n’a coutume de louer ni nommer personne, pour que ses lecteurs croient que tout ce qu’il dit émane de son génie et de ses réflexions, mais quiconque est versé dans la lecture des anatomistes modernes remarquera aisément que Spiegel a emprunté à d’autres auteurs sans leur rendre le profit et l’honneur qu’ils méritaient : ainsi, pour ne pas tarder à en donner un exemple, dans sa description des muscles, a-t-il repris sans me nommer mes avis et les noms que je leur ai donnés, et les a proposés comme émanant de lui. Il est difficile de décrire et d’observer des choses qui ne l’ont pas déjà été, mais je ne puis approuver la manière de ceux qui ambitionnent de décrire toute l’anatomie comme s’ils l’avaient eux-mêmes inventée : sans louer les éminents anatomistes qui ont vraiment découvert quelque chose, ni examiner ceux qui ont soumis des observations ou des opinions contraires, ni désigner vraiment ceux qui semblent avoir mieux vu ou expliqué les choses que les anciens ou les modernes. » [35][65]

Dans son Syntagma Anatomicum, Vesling dit que Spiegel a prescrit par testament que vingt-quatre leçons d’anatomie, qu’il avait préparées pour l’impression, ne voient le jour qu’après sa mort. [Page 63 | LAT | IMG] Bucretius, ami et élève de Spiegel, les a tirées des coffrets de l’auteur et s’est chargé, par ses propres moyens, de compléter ce qu’il y manquait, en ajoutant les planches anatomiques de Giulio Casseri[36] Les erreurs n’y doivent pas être imputées à Spiegel, mais à son disciple, qui n’était pas aussi adroit et savant anatomiste que lui. Je ne veux donc ni lutter contre des fantômes, ni me disputer avec des morts, ni tourmenter leurs mânes, ni les faire sortir de leurs sépulcres. Je prie même Dieu pour que leurs os reposent en paix, et fleurirais volontiers leurs tombeaux pour honorer les beaux travaux qu’ils ont accomplis, comme j’ai dit à la page 735 de mon Anthropographie[37]

Pour mes animadversions contre Caspar Bartholin, le père, [66] page 687, j’ai été contraint d’insérer mon jugement quand j’eus observé, dans ses Institutions anatomiques, « certaines observations identiques aux miennes, bien qu’exposées avec des mots différents : nul ne devait en effet penser que, sans m’avoir nommé ni salué, Bartholin m’avait dérobé ces passages ; je le reconnais comme un savant philosophe et médecin, qui a bien mérité de notre profession, même s’il l’a désertée pour se consacrer à la théologie. Qu’il sache donc que mon premier livre d’anatomie a paru en 1607, puis qu’en 1609, j’ai revu et augmenté mes propres travaux et les ai joints à la réédition des livres de mon père, [67] mais que les Institutions anatomiques de Bartholin n’ont été publiées qu’en 1611 ». [38]

« Je ne critique pas le pieux dévouement de son fils Thomas qui, comme son héritier et successeur des biens paternels dans sa profession, a voulu amplifier le patrimoine qu’il lui a laissé, [Page 64 | LAT | IMG] en labourant son champ dans l’intention de l’embellir. [68] J’aurais pourtant désiré que Wale[69] qui figure dans la préface de la nouvelle édition du livre, et dont le soutien lui a procuré éclat et nouvelle lumière, eût averti le fils des erreurs de son père, sans qu’il en ajoutât de nouvelles aux anciennes, que je lui montrerai amicalement. » [39] « Le fils a inséré ce supplément à l’Anatomie de son père, non pour pouvoir corriger, en ajoutant ou retranchant, sa méconnaissance du vrai et du faux, mais pour faire voir, comme il l’a prouvé depuis longtemps, qu’il est incorrigible. Est donc présumé innocent celui qui n’a pas encore été mis en accusation. Mon intention n’est pas de blâmer, tel un sévère Aristarque [70] et un mordant Zoïle, l’ignorance de Bartholin père en anatomie, ni de déchirer le renom qu’il s’est acquis ; mais seulement pour excuser ses égarements anatomiques que j’ai détectés, mais que les autres n’ont pas vus et qui n’ont donc pas été corrigés, de manière que son fils comprenne qu’il a imprudemment réprimandé le très savant M. Primerose[71] pour avoir écrit que son maître Riolan a apporté à l’anatomie le dernier complément qui lui manquait. » [40]

Thomas Bartholin, dans la troisième édition de son Anatomia reformata, n’a pas dédaigné de corriger des erreurs que Riolan y avait relevées ; mais pour l’en récompenser, il a alimenté les élèves de son Collège anatomique en injures dirigées contre lui et l’a blâmé sans le moindre égard pour la vérité.

J’ai loué Caspar Hofmann [72] à la page 34 de mon Anthropographie ; [41] mais j’ai remarqué qu’il avait inséré une Anatomie dans ses Institutions et qu’il l’a écrite avec tant de faste et d’arrogance qu’il croit avoir emporté la palme sur tous les anatomistes et « qu’il n’a pas [Page 65 | LAT | IMG] ménagé Fernel[73] que toutes les écoles vénèrent, et reconnaissent pour le second après Galien. Je fais en sorte, dit-il, d’inciter au dégoût quand on y mentionne ce grand homme, sans qu’il mérite du tout de l’être ». Chacun peut lire le reste de ses insultes et ce que j’ai entrepris pour la défense de Fernel, à la page 789. Il appelle mon père le singe de Fernel et dédaigne ses Institutions médicales :

« Ipse sapit solus, reliqui velut umbra vagantur[74]

Il reproche à ses précepteurs d’avoir négligé la doctrine anatomique, et ainsi rédigé des institutions médicales incomplètes et imparfaites. Lui-même aurait proposé une anatomie plus exacte que ses prédécesseurs, mais elle est si fautive et absurde qu’il devrait avoir honte de ce qu’il a écrit après avoir vu mes animadversions. Je me serais volontiers abstenu de les rédiger s’il n’avait pas fallu rabattre l’autorité dont il se targue en anatomie, afin qu’il n’abuse pas les médecins avec les erreurs qui l’ont lui-même abusé. Je laisse à d’autres le soin d’attaquer le reste de sa médecine et d’en ôter les fautes qui mettent en danger la vie humaine. Il ne doit pas, comme il en a l’habitude, se moquer de celui qui le met en garde, ni huer mes animadversions en les couvrant de sarcasme parce qu’elles sortent de l’officine d’un vieux professeur d’anatomie que l’exercice du métier a épuisé, ainsi qu’Hofmann s’en arroge le droit (comme il faut bien le remarquer) : “ Qui ne veut pas consacrer son temps et sa peine à l’anatomie ne peut se permettre de porter un jugement sur de si grands auteurs, s’il veut être pris au sérieux. Là où est l’erreur est le mal, et l’anatomie ne mérite pas même son nom si elle apporte quelque chose de faux, et qui nous égare dans la pratique ” (Hofmann à la page 69 de ses Institutions). » [42] Prenez donc bonne note de ce passage, vous qui défendez et suivez Pecquet !

« Johann Vesling est le dernier à avoir bien écrit sur l’anatomie, et ce dans un style élégant. Il remarque avoir puisé à la source commune, mais y avoir puisé dans sa propre coupe, c’est-à-dire qu’il a composé son Anatomie sur la dissection et l’observation du corps humain [Page 66 | LAT | IMG] qu’il a lui-même menées pendant quinze ans pour le profit de ses élèves, et qu’il y a joint des figures pour la distraction des esprits. Son livre atteste qu’il a non seulement médité sur l’anatomie, mais qu’il l’a exercée de ses propres mains, tout comme en témoigne la chaire anatomique qu’il a occupée en la très célèbre Université de Padoue [75] pendant quinze années avec insigne renom. J’avoue, reconnais et proclame librement que, parmi les anatomistes que j’ai examinés, je n’en ai lu aucun qui ait été plus savant et habile que le très brillant Vesling. Je suis fort heureux d’avoir été de même avis que lui sur bien des sujets ; et surtout sur les muscles, dont j’ai été le premier à avoir décrit les origines et insertions, en les recensant et en leur proposant des noms, mieux que les anatomistes qui m’ont précédé et en tirant cela du livre de la nature. Il a comme moi puisé à la source commune, mais de sa propre coupe. Nous ne sommes donc en désaccord sur presque rien, et s’il n’était venu après moi, je croirais que son génie m’a inspiré et que j’ai écrit la même chose que lui en utilisant d’autres mots que les siens. Puissante est la vérité chez les bons anatomistes, et ce sont plutôt des annotations que des animadversions que je vais écrire, et j’attendrai qu’il me gratifie pareillement de remarques amicales s’il s’est senti blessé. » [43]

Pour Parisano[76] « je me serais volontiers abstenu de lui faire cette réponse, en le laissant paisiblement jouir de son contentement de lui-même, s’il ne m’avait provoqué au combat sur le diaphragme, parce qu’il me défie en duel singulier, sans cacher mon nom ni le sien, et qu’il s’attribue le [Page 67 | LAT | IMG] triomphe sans avoir remporté la victoire, mais en se glorifiant d’avoir gagné sur tous les anatomistes, et principalement sur Riolan qu’il a mis à terre ». Qui voudra en savoir plus sur l’impudence et l’insolence de cet homme lira la réponse de Riolan à son essai sur le diaphragme, [44] et trouvera à la page 553 les jugements de Primerose, Conring [77] et Sinibaldus [78] sur les écrits de Parisano[45] Hofmann lui-même, dans l’épître dédicatoire qu’il a adressée à Guy Patin, docteur de Paris, [79] déplore l’ignorance de Parisano et des basses flatteries de celui qui a écrit des vers au début de son livre, dont il se plaint en ces termes : « Celui dont les poèmes ont recommandé le livre de Parisano a en vérité mérité autant de gifles qu’il a écrit de vers. » [46]

Que nos deux docteurs pecquétiens de Paris voient donc comment Riolan s’est attaqué à Du Laurens, Bauhin, Spiegel, Bartholin et Hofmann, et si Parisano n’a pas mérité d’être fustigé.

Riolan s’est pourtant très rudement battu contre Harvey[80] Wale, Plempius, [81] Leichner, [82] Cornelius Van Hoghelande, [83] Regius, [84] Liceti[85] Ils les ont tous nommés, comme pour inciter quelque adversaire à entrer en lice,

—————non est præstantior alter
Ære ciere viros, Martémque accendere cantu

     tubæ chartaceæ. [47]

Riolan, quand il a écrit sur la circulation du sang, a nommé tous ces auteurs, et quand il y a trouvé de quoi les reprendre, il l’a exposé en peu de mots, à la manière d’Aristote, qui n’a jamais prononcé de jugement sans avoir d’abord recensé et réfuté [Page 68 | LAT | IMG] les opinions de ceux contre qui il débattait, tels qu’ont été Parménide, [86] Zénon, [87] Démocrite, Platon, [88] Empédocle, [89] Anaxagore, [90] Léophanès, [91] Alcméon de Crotone, [92] le médecin Syennesis de Chypre, [93] Diogène d’Apollonia, [94] Polybe. [48] Plus tard, dans son livre sur la Respiration[95] il a écrit que les anciens auteurs avaient proféré bien des jugements faux, contraires à l’expérience et à la vérité des faits, en ajoutant : « Pour ne pas sembler accuser injustement des absents, j’examinerai leurs opinions, à savoir celles de Démocrite, Diogène, Anaxagore et Platon. » [49]

Personne n’a parlé plus louablement d’Harvey que Riolan : « Quant à moi, en vérité, je reconnais et proclame franchement et sincèrement que M. Harvey, auteur et inventeur de la circulation du sang, est un très docte Anglais, professeur d’anatomie au Collège des médecins de Londres, à qui le chœur des savants est aujourd’hui profondément redevable et la postérité sera reconnaissante pour cette découverte, parce qu’il a éveillé l’intelligence des médecins et des philosophes à examiner et fouiller la vérité de cette question, et qu’il a ouvert la voie au progrès de la vraie médecine. » Quand j’ai mis en avant les opinions des médecins d’avis contraires au sien, j’ai suivi le conseil d’Artaban, premier ministre du royaume des Perses, [96] qu’on lit dans Xénophon : « Quand on débat sur une question difficile, si des avis contraires au sien n’ont pas été mis en avant, il est impossible de recourir à celui qui est le meilleur car on doit s’en tenir à celui qui a été adopté ; mais quand il n’y a pas unanimité, il s’offre un choix en sachant qu’on ne peut reconnaître l’or pur sans le comparer à l’or absolument pur. » [50][97] Prié de donner son avis devant le Sénat, Sénèque dit avec élégance : « On rira de moi si je n’examine pas ce qui a été dit, car suivre la sentence d’un seul [Page 69 | LAT | IMG] n’est pas le propre de l’art, mais d’une faction. » [51][98]

S’il était encore en vie, Wale ne se croirait pas offensé par Riolan qui a honorablement parlé de lui : « Suivant mon habitude, je serai humble envers ce très savant homme, que je juge digne, comme Harvey, d’être éternellement loué et recommandé pour son ouvrage d’anatomie, bien qu’il soit de petit volume. » [52] Et comme je l’ai appris d’un homme absolument digne de foi, il a bien voulu orner l’édition de mon Manuel anatomique d’une préface louangeuse sous le nom de l’imprimeur de Leyde, où il a été publié in‑8o, enrichi de planches gravées. [53]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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