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Tractatus de natura substantiae energetica, seu de vita naturae ejusque tribus primis facultatibus I. perceptiva, II. appetitiva, et III. motiva... authore Francisco Glissonio

Londini : apud H. Brome. 1672

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Anne-Lise Rey
pour le projet ANR Philomed
Maître de conférences à l’université Lille 1
Anne-Lise.Rey@univ-lille1.fr
03/01/2012

Il est d’usage de faire commencer la longue histoire de l’irritabilité physiologique en mentionnant le nom de Francis Glisson (1597-1677), professeur de Physique (c’est-à-dire de Médecine) à l’Université de Cambridge de 1636 à sa mort, et grand anatomiste au Royal College of Physicians de Londres.

Francis Glisson, influencé par Harvey (au moins pour la perception naturelle), est en effet bien connu pour avoir mis en évidence à la fois dans son ouvrage de 1654 Anatomia Hepatis et surtout dans celui de 1677 le Tractatus de ventriculo et intestinis, la notion d’irritabilité de la fibre entendue comme une force interne d’action et de réaction. Plus précisément, dans le texte de 1654, dans lequel il s’agit, pour Glisson, d’expliquer les sécrétions du foie, il fait encore dépendre l’irritation de la « mise en éveil » (vigoratio) des nerfs. En 1677, il caractérise cette notion d’irritation sans avoir besoin de la faire dépendre du mouvement des nerfs ou de la prise de conscience de l’être humain. De sorte qu’elle est devenue un concept générique pour rendre compte d’une force interne à l’œuvre dans le corps, qui suppose une perception sans conscience. Entre ces deux textes dont la comparaison permet de suivre la conceptualisation de la notion d’irritation, Glisson écrit son traité De Natura Substantiae energetica (et retravaille l’adresse au lecteur du Tractatus de ventriculo de 1677 commencé plusieurs années auparavant.)

Il est inutile de rappeler ici la grande fortune qu’aura cette conceptualisation au XVIIIe siècle en particulier chez Haller pour qui Glisson est le premier à avoir « inventé le terme d’irritabilité » (Dissertation sur les parties sensibles et irritables des animaux), ou chez les médecins de Montpellier. Il est sans doute plus important de mettre l’accent sur les implications philosophiques de la théorie de l’irritabilité avec la place centrale dévolue à la perception naturelle (perceptio naturalis), qui ne présuppose pas de conscience. Elle s’apparente à une réaction, à un stimulus. Elle se distingue par là de la perception perçue (perceptio percepta) qui mobilise les nerfs et la conscience. La perception naturelle est pensée comme le fondement de la vita naturae, puisque c’est proprement l’objet du De Natura Substantiae Energetica. Il s’agit bien de démontrer que « Naturam esse vivam » en s’appuyant sur l’idée que la substance est fondamentalement énergie, c’est-à-dire un « internum principium percipiendi, appetendi, atque se movendi ». Glisson invente alors le néologisme de la bousia, la substance vivante.

Le propos de Glisson dans cet ouvrage est, en effet, de fonder sa conception de l’irritabilité sur une philosophie naturelle cohérente : il s’agit pour le dire schématiquement de produire la philosophie naturelle qui permette de justifier une conception de l’irritation comme propriété vitale inhérente à toute substance matérielle (sans faire de différence de nature entre l’inerte et le vivant, mais en distinguant des niveaux de complexité et d’organisation). Comme le résume Duchesneau : « En définitive, la métaphysique du Tractatus de natura substantiae energetica est une forme de monisme de la puissance perceptive et active inhérente à la réalité matérielle dans son ensemble » (pp. 188-189).

L’ouvrage est composé de 34 chapitres : les six premiers sont consacrés à la caractérisation de la notion de substance, les six suivants à la matière et à la forme, le chapitre XIII développe la thèse de la nature énergétique de la substance. Les chapitres suivants sont consacrés à l’analyse de la « vita naturae substantialis », Glisson réserve l’analyse du mouvement et de ses différentes caractéristiques aux dix derniers chapitres de son ouvrage.

Les enjeux anthropologiques de la conceptualisation de la notion d’irritabilité peuvent sans doute se saisir assez explicitement à partir de la mention de l’évolution des modèles utilisés par Glisson pour rendre raison du fonctionnement des corps. Si dans le traité de 1654 l’organe est une machine, et parfois même une machine chimique, le Tractatus de ventriculo mobilise nettement quant à lui, pour expliquer les corps, le recours au modèle des opérations psychiques. On a souvent perçu l’utilisation de ce modèle, à tort ou à raison, comme le signe d’une influence de l’archée de Van Helmont, même si Glisson lui donne une fonction et donc une signification différente dans son dispositif cognitif. Mais tout l’enjeu de l’incise du De Natura Substantiae Energetica de 1672 est précisément de réduire « l’inadéquation des concepts aux choses ». Il s’agit, en particulier de montrer comment la « décentralisation » de l’irritabilité (elle ne dépend plus du cerveau) conduit à une délocalisation du principe actif qui justifie l’idée d’une perception naturelle ou puissance active à l’œuvre dans toute la matière.

De sorte que la conséquence anthropologique du nécessaire ajustement des concepts aux choses, à savoir de la perception naturelle à l’irritabilité, revient à faire de l’irritabilité de la fibre en l’homme le principe vital à partir duquel s’ordonnent, depuis la matérialité la plus simple, et par degrés croissants de complexité, des degrés de perception.

Éléments de bibliographie :

François Duchesneau, Les modèles du vivant de Descartes à Leibniz, Paris, Vrin, 1998, pp. 183-196.

Guido Giglioni, « Il Tractatus de Natura Substantiae Energetica di F. Glisson »,Annali della Facoltà di lettere e filosofia dell'Università di Macerata, 24 (1991), pp. 137-179.

Guido Giglioni, Latin Manuscripts of Francis Glisson (1) Philosophical Papers. Materials related to De Natura Substantiae Energetica (On the Energetic Nature of Substance), 1672, Cambridge, Cambridge Wellcome Texts and Documents 5, 1996.

John Henry, «Medicine and Pneumatology : Henry More, Richard Baxter, and Francis Glisson’s Treatise on the Energetic Nature of Substance », Medical History 31 (1987), pp. 15-40.

Owsei Temkin, « The classical roots of Glisson’s doctrine of irritation », Bulletin of the History of medicine, volume XXXVIII, n. 4, Juill.-août 1964, pp. 297-328.