L. 749.  >
À Hugues II de Salins,
le 7 mai 1663

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre et y fais réponse un peu à la hâte tant je suis pressé d’affaires. Error primæ coctionis emendari non potest in secunda, quoi qu’en ait dit Primerose, [2] lequel mourut en Angleterre il y a trois ans. [1] Hoc postulat ordo Naturæ supra proprias vires numquam agentes ; et est axioma therapeuticum, illudque verissimum. Protuberantia illa clitoridis non est magnus morbus ; si tamen impediat, debet ferro præscindi, sed nihil urendum[2][3] Un bon chirurgien peut en venir à bout en coupant ; il n’y a que l’hémorragie à craindre, mais on peut en venir à bout. Je voudrais bien que cette fille qui vous a consulté [4] là-dessus m’eût appris quam noxam illi inferat, quia vix aliquod impedimentum potest adferre, nisi forsan in partu, vix in coïtu[3]

Decoctum veteris galli minus prodest, quia nitrosum, quam decoctum pullorum, aut carnis vitulinæ. Morbis a te denominatis convenit frequens purgatio ex foliis Orient. cum rheo et syr. diarhodon, vel de floribus mali persicæ. In capitis doloribus, etc. galli exenterati aut pulmones vervecini magis nocent quam prosunt ; sunt inventum muliercularum, et remedium empiricum ; attrahunt ad partem affectam, et causa morbi nihil demunt. Omnia frigida nocent oculis, quibus sola tepida sunt admonvenda, propter partis mollitiam atque præstantiam[4][5][6][7][8][9][10] Il fait bon laver ses yeux souvent, et principalement les matins, mais ce ne doit jamais être qu’avec de bonne eau tiède. [11] Je vous envoie deux de mes portraits [12] et deux de mes jetons d’argent, [13][14] pour vous et pro uxore tua, quam saluto[5] Mes deux fils vous saluent, ut et ego fratrem tuum amantissimum[6]

La reine mère [15] se porte mieux. [7] M. de Longueville [16] est fort malade à Rouen. Le Cardan [17] est achevé à Lyon et s’y vend chez M. Huguetan. [8][18] Sam. Bochart de Animantibus Sacræ Scripturæ [19] est aussi achevé, il y en a en chemin. [9] Vale, et me, quod facis, amare perge.

Tuus ex animo, Guido Patin[10]

De Paris, ce 7e de mai 1663.

Nous avons ici perdu M. Merlet, [20] qui était l’ancien [21] de notre Compagnie, âgé de 82 ans, le 10e de février dernier, aussi bien que Lopès [22] le Gascon et Maurin [23] le Provençal. Utinam servet Deus quæ supersunt[11]


a.

Ms BnF no 9357, fo 357, « À Monsieur/ Monsieur Hugues ii de Salins,/ Docteur en médecine,/ À Beaune ».

1.

À la première interrogation médicale de Hugues ii de Salins, Guy Patin répondait « Un défaut de la première coction ne peut être corrigé lors de la seconde », et blâmait un propos de James Primerose (mort en 1659) que son correspondant avait dû lui citer. Il s’agissait sans doute du chapitre xxxix, De quelle manière on doit entendre que le défaut de la première coction ne se corrige point dans la seconde, dans le troisième de ses quatre livres « sur les Erreurs vulgaires de la médecine », {a} avec cette conclusion (édition française de Lyon, 1689, pages 482‑483) :

« Il faut donc distinguer, et dire que le défaut de la coction est ou grand, ou petit, qu’elle est complète ou incomplète, diminuée ou dépravée, et que les aliments sont de facile ou de difficile digestion. Ceux qui sont faciles à se cuire, comme le lait, le vin, les bouillons, le miel, etc., quand ils cesseraient de se cuire dans l’estomac, ils pourraient se cuire parfaitement dans le foie. {b} De là vient aussi que certaines gens n’ont pas plus tôt pris quelque nourriture qu’ils se sentent aussitôt et plus forts et plus gais, à cause qu’un foie épuisé a coutume d’attirer aussitôt les parties subtiles des aliments qu’il achève de cuire par sa chaleur, sans les laisser plus longtemps dans l’estomac. Quant aux petites fautes {c} qui se font dans les aliments plus grossiers et dans la première qualité, {d} et dont la coction ne soit que diminuée, elles se peuvent corriger dans la coction suivante, < étant > supposé que les parties dont l’office est d’achever cette coction soient bien saines, pourvu aussi que les choses externes n’y mettent aucun empêchement. Que si la < première > coction est dépravée et l’aliment corrompu, elle ne saurait être rendue meilleure par la suivante, à moins que le vice ne fût fort petit ; en ce cas, elle pourrait recevoir quelque amendement selon le degré de corruption plus grand ou plus petit. En voici la raison : c’est que tout ce qui s’engendre retient la nature de la cause matérielle ; et que tout agent agit sur un objet proportionné, sans que jamais la forme puisse être introduite que dans une matière disposée ; le ventricule {d} et le foie étant des parties différentes et agissant sur divers objets, y introduisent différentes formes ; mais si le défaut n’était qu’à l’égard de la qualité, une coction pourrait suppléer au défaut de l’autre ; ainsi voit-on le miel se tourner en bile dans le corps des jeunes gens, et en très bon sang dans les vieillards ; et pour l’ordinaire, il se fait un plus grand amas d’excréments si les laiments qui se présentent à la seconde coction, pour s’y achever, ne sont pas bien cuits. »


  1. V. note [41], lettre 104.

  2. Telles étaient ce qu’on appelait alors « la première » et « la seconde coctions », en ignorant la digestion principale des aliments qui se fait dans l’intestin grêle : la première édition du livre de Primerose a paru en 1639, avant que la circulation du sang eût acquis partout ses lettres de noblesse et que Jean Pecquet eût montré toute l’importance nutritive du chyle.

  3. Aux petits défauts.

  4. La chaleur.

  5. L’estomac.

2.

« L’ordre de la Nature exige cela par-dessus les forces propres qui jamais ne l’emportent ; et c’est un axiome thérapeutique qui est profondément vrai. {a} Cette protubérance du clitoris n’est pas une grave maladie ; si pourtant il provoque de la gêne, il doit être réséqué par le fer, mais le cautère n’y vaut rien. » {b}


  1. Guy Patin étayait de manière assez fumeuse son avis sur les coctions.

  2. Patin abordait une autre question posée par Hugues ii de Salins, sur la résection du clitoris. De la « verge féminine », Furetière disait en effet : « on la retranche quelquefois par opération de chirurgie quand elle sort trop en dehors. » V. note [35], lettre latine 154, pour un long développement sur ce sujet.

3.

« quelle gêne elle peut bien en ressentir, parce qu’à peine quelque empêchement peut en résulter, sauf peut-être pour l’accouchement, et à un moindre degré pour le coït. »

4.

« Le bouillon de vieux coq, parce qu’il est nitreux, est moins utile que ceux de poulet ou de viande de veau. Pour les maladies que vous nommez, c’est la fréquente purgation qui convient, à l’aide du séné avec rhubarbe et sirop de roses pâles ou de fleurs de pêcher. Dans les maux de tête etc. les coqs éventrés ou les poumons de mouton sont bien plus nuisibles qu’utiles : {a} ce sont inventions de bonnes femmes et remède d’empiriques ; ils attirent {b} vers la partie affectée et n’ôtent rien à la cause de la maladie. Tout ce qui est froid nuit aux yeux, auxquels il ne faut appliquer que des choses tièdes, en raison de la délicatesse et de la noblesse de cette partie. »


  1. Ces curieux couvre-chefs faisaient partie des remèdes que n’approuvait pas la médecine dogmatique, et la thérapeutique moderne ne la contredit pas sur ce point.

  2. Les humeurs et la chaleur.

5.

« et pour votre épouse que je salue. »

6.

« tout comme moi, [je salue] votre très aimable frère. »

7.

V. note [20], lettre 748, pour le début de la longue fièvre qui frappait Anne d’Autriche.

8.

Hieronymi Cardani Mediolanensis, philosophi ac medici celeberrimi, Opera omnia : tam hactenus excusa ; hic tamen aucta et emendata ; quam nunquam alias visa, ac primum ex autoris ipsius autographis eruta : cura Caroli Sponii, doctoris Medici Collegio Med. Lugdunorum Aggregati.

[Œuvres complètes de Jérôme Cardan, {a} très célèbre philosophe et médecin de Milan, tant déjà publiées, mais ici corrigées et enrichies, qu’inédites et tirées pour la première fois des manuscrits du dit auteur ; par les soins de Charles Spon, docteur en médecine, agrégé au Collège des médecins de Lyon]. {b}


  1. Mort en 1576, v. note [30], lettre 6.

  2. Lyon, Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1663, 10 tomes in‑fo, achevé d’imprimer le 17 avril.

Les domaines qu’englobait la vaste érudition de Cardan se répartissent comme suit dans ces dix tomes :

L’épître dédicatoire, en tête du tome i est adressée à Guillaume de Lamoignon, premier président du Parlement. Longue de 10 pages, elle est datée et signée :

Scribebamus Lugduno ad Ararim, Calendis Ianuariis, anno seculi climacterico m. dc. lxiii. qui utinam hydræ palatinæ, sub Hercule Ludovico, sit exitialis. i.h.
Illustrissimæ Dignitatis Tuæ
Addictissimi et devotissimi,
Ioannes Antonius Huguetan,
et Marcus Antonius Ravaud
.

[Nous écrivions de Lyon sur la Saône, le 1er janvier 1663, année climatérique de ce siècle, que Dieu veuille rendre funeste pour l’hydre palatine (le pape), sous la conduite de Louis Hercule (Louis xiv). Veuillez voir ici Jean-Antoine Huguetan et Marc-Antoine Ravaud parfaitement dévoués au service de votre très illustre mérite].

Vantant les mérites de Cardan, elle est suivie d’une courte préface (2 pages), Bibliopolarum ad lectorem humanissimum [des libraires au très aimable lecteur], où apparaissent les noms de Cardan, Spon et Gabriel Naudé (mort en 1653), auteur de la Vita Cardani ac de eodem iudicium [Vie de Cardan et jugement sur sa personne]. Vient enfin une suite de Testimonia præcipua de Cardano a Gabriele Naudeo collecta [Témoignages particuliers sur Cardan, recueillis par Gabriel Naudé], avec notamment des textes de Jacques-Auguste i de Thou et de Jules-César Scaliger.

9.

V. note [14], lettre 585, pour le livre de « Samuel Bochart, des Animaux de la Sainte Écriture » (Hierozoïcon, Londres 1663).

10.

« Vale et continuez de m’aimer, comme vous faites. Votre Guy Patin de tout cœur. »

11.

« Puisse Dieu conserver ce qui subsiste » : vœu étrange auquel je n’ai pas trouvé de source.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 7 mai 1663

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(Consulté le 06/05/2024)

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