L. 883.  >
À Charles Spon,
le 20 octobre 1666

Monsieur, [a][1]

J’ai rendu votre lettre à M. Moreau. [2] M. Courtois [3] est un homme fort sage et fort habile, doux et accort, adroit et savant, qui entend bien Hippocrate et Galien, et sait fort bien la médecine. Il est âgé de 48 ans et n’est point marié, vivit sine impedimento[1] Je le trouve trop fin pour se charger d’une femme cum omnibus suis armamentis[2] comme dit Lipse [4] en pareil cas. La mort de votre horlogeur, arrivée à Genève, est fort étrange. La vie humaine n’est qu’un bureau de rencontres et un théâtre, sur laquelle domine la Fortune. [5] J’ai connu un homme qui disait que la sagesse de Dieu et la folie des hommes gouvernaient le monde. On parle ici d’un livre qui s’imprimera bientôt touchant les droits de la reine [6] sur le Brabant. [3][7][8][9] Cela a été fait par l’avis des meilleurs jurisconsultes et avocats qui soient ici, mais nos raisons seront bien trouvées meilleures quand on les publiera en Flandres [10] à coups de canon, avec une armée de trente ou quarante mille hommes du côté de deçà et une autre du côté de l’Allemagne pour empêcher le secours que pourrait envoyer contre nous l’empereur, [11] qui est l’autre beau-frère. [4]

J’appris hier par la vôtre la mort de M. Ravaud. [12] Dieu veuille avoir son âme s’il en avait une, erat enim bibliopola [5] et de ces gens-là tout est à craindre. Je me réjouis de l’avancement de monsieur votre fils à Montpellier, [6][13][14] Dieu lui fasse la grâce de bien continuer, tant pour son profit que pour votre contentement ; il ne saurait manquer de bien faire tandis qu’il vous croira. Ah, qu’heureux sont les enfants qui ont de tels pères que vous ! J’espère que la postérité ne nous accusera ni l’un, ni l’autre de charlatanerie. Un médecin de Nuremberg [15] m’a écrit que M. Rolfinck [16] était fort en peine d’une chose, c’est qu’il a ouï dire qu’on voulait imprimer à Lyon un recueil de toutes ses œuvres. Je vous prie pour lui de l’empêcher tant que vous pourrez parce qu’il y veut mettre la dernière main. Il mérite d’être obligé car il est savant et très galant homme, quoiqu’il n’entende pas bien ni la saignée, ni l’antimoine. [7][17] J’apprends que M. Delorme [18] est parti de Lyon et qu’il s’en retourne à Bourbon [19] ou à Moulins, [20] où il a dessein de se remarier. Il fait bien si c’est pour le salut de son âme car, pour son corps, je crois qu’il n’a plus guère besoin de ce meuble de ménage. [21] Adieu, je suis, etc.

De Paris, ce 20e d’octobre 1666.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no cli (pages 421‑423) ; Bulderen, no ccccxxiii (tome iii, pages 194‑195), à Charles Spon ; Reveillé-Parise, no dccxxvi (tome iii, pages 618‑620), à André Falconet.

1.

« il vit sans entraves. » V. note [5], lettre 265, pour Paul Courtois, élève bien-aimé de Guy Patin (qui enviait ici son célibat).

2.

« avec tous son armement ».

Réminiscence d’une allégorie maritime dont Juste Lipse a joué dans une lettre sur les misères du mariage (v. citation 2, note [24] du Naudæana 4) :

Cymbam nostram difficulter gubernamus : ecce navim adiunctam volumus cum tot armamentis ?

[Quand nous peinons à diriger notre propre barque, pourquoi voudrions-nous lui adjoindre un autre navire, avec tout son armement ?]

3.
Remarques pour servir de Réponse à deux Écrits imprimés à Bruxelles contre les droits de la reine sur le Brabant, {a} et sur divers lieux des Pays-Bas. {b}


  1. V. note [38], lettre 516.

  2. Lyon, Libraires de la Compagnie, 1667, in‑fo de 90 pages.

    Parmi plusieurs éditions contemporaines visant à diffuser largement les prétentions politiques de la Couronne de France, celle de Paris (Sébastien Marbre-Cramoisy, in‑12o de 150 pages) porte le faux-titre de « Réponse à quelques écrits que les Espagnols ont publiés contre les droits de la reine sur les Pays-Bas par Monsieur Joly » (v. note [9], lettre 180, pour Guy Joly).

    Le titre des éditions latines est une fidèle traduction du français : Observationes sive Responsio ad duos Tractatus Bruxellis editos adversus Reginæ Christianissimæ ius in Brabantiam, et in alias quasdam Belgii provincias (sans lieu ni nom, Ad Exemplar Parisiense [conforme à l’exemplaire de Paris], 1667, in‑12 de 112 pages).


Ce livre répliquait à deux ouvrages du même auteur : {a}

4.

Récent époux de Marguerite-Thérèse d’Espagne (née en 1651), fille de Philippe iv et sœur de Marie-Thérèse d’Autriche (née en 1638), l’empereur Léopold ier était beau-frère de Louis xiv et pouvait, comme lui, faire jouer le droit de dévolution sur l’Espagne et les Flandres.

5.

« il était en effet libraire » : sèche et méchante oraison funèbre de Marc-Antoine Ravaud, libraire-imprimeur de Lyon associé à Jean-Antoine ii Huguetan, dont Guy Patin a pourtant maintes fois parlé dans ses lettres en termes habituellement amicaux ; sans doute l’accumulation de ses déboires avec les libraires le rendait-il morose à leur encontre.

6.

Jacob (ou Jacques) Spon (Lyon le 26 janvier 1647-1685) était le troisième des 14 enfants de Charles Spon, et l’aîné des quatre qui restaient alors en vie. Son père avait orienté de bonne heure Jacob vers la médecine. Ayant d’abord étudié à Strasbourg, il était venu à Paris, où il s’était lié d’amitié avec Charles Patin, puis s’était rendu à Montpellier : immatriculation le 25 octobre 1664 ; baccalauréat le 1er septembre 1666 ; licence le 24 décembre suivant ; doctorat le 7 février 1667. Dès 1668, Jacob fut agrégé au Collège des médecins de Lyon. Il se partagea ensuite entre la pratique médicale et l’étude des antiquités. Fidèle au calvinisme, à la révocation de l’édit de Nantes (1685), Jacob quitta la France pour la Suisse avec l’intention de se fixer à Zürich, mais mourut en cours de route à Vevey (Dulieu). Outre plusieurs ouvrages d’érudition, il a laissé un Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant (Lyon, 1678, v. note [28], lettre 433).

Sur le prénom du calviniste Jacob Spon, son grand ami Charles Patin (en exil à Strasbourg) {a} lui écrivait le 22 avril 1671 (Moreau, lettre 40) :

« Le taureau {b} est gravé assez bien, et parti aujourd’hui pour Stutgart avec annotation des soins qu’en a pris notre très cher et très bel ami Jacob Spon, et non Jacques ; je me dois souvenir que les coquilles des pèlerins de Compostelle ne vous sont pas si à cœur que vous en voulussiez quitter le nom d’un patriarche. Damios, Zacharie, Noë, Abraham, Salomon, David, Isaïe ont bien plus d’emphase que Charles, Robert, Pierre ou Christophe. »


  1. Jacob Spon et Charles Patin ont été les premiers éditeurs des Lettres choisies de feu M. Guy Patin (1683).

  2. Animal figurant sur une médaille antique que Charles Patin souhaitait vendre.

7.

À Lyon ni ailleurs, nul ne s’attaqua jamais à une édition complète des œuvres, extrêmement copieuses, de Werner Rolfinck (plus de 120 ouvrages déjà publiés en 1666).

V. note [11], lettre latine 404, pour un avis tout à fait négatif de Rolfinck sur l’antimoine.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 20 octobre 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0883

(Consulté le 08/05/2024)

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