Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 19.
Note [19]

Chapitre xxxviii, De Peponibus, melopeponibus, et cucumeribus [Les pastèques (melons d’eau), les melons et les courges], livre ii du Hieronymi Cardani… Opus novum cunctis de sanitate tuenda, ac vita producenda studiosis apprime necessarium : in quatuor libris digestum. A Rodulpho Sylvestrio Bononiensi Medico, recens in lucem editum [Ouvrage nouveau de Jérôme Cardan… extrêmement nécessaire à tous ceux qui ont soin de protéger la santé et de prolonger l’existence, divisé en quatre livres ; récemment mis en lumière par Rodolfo Silvestri, médecin de Bologne] (Rome, 1580, Franciscus Zanettus, in‑4o, pages 147‑148) :

Thomas Philologus refert Paulum Secundum eius nominis Pontificem Maximum, devoratis duobus melonibus statim concidisse ex attonito morbo, et extinctum. Id ut facile credam, recordanti mihi quod Paulus Canobius cum esitasset lactucas, et cucumeres, (Erat autem sexagenario maior) in morbum attonito similem incidit : sed ego causam cum quæsissem, et illi retulissent calido in loco moderate continens, absque cibo per biduum sanavi : quem alius vel medicamento, vel sectione venæ volens aliquid videri facere, argumentis speciosis inixus peremisset, nec deessent exempla si referre opus esset, qui in manifestum periculum adducti sunt solo horum esu, orta statim in ventriculo corruptela, corruptisque inde insimul eodem modo humoribus alijs. In summa melones proprie generant febres pernitiosas cum exanthematibus, et alios exitiales morbos, maxime si carnibus, aut ovis, aut vino generoso, aut piscibus, aut farciminibus, aut lacti, vel his quæ lacte constant, socientur. At si cum panis modico quis eos sumat, sitque panis levis, potus aqua vino levi conspersa, maxime albo, vicem persæpe medicamenti subeunt, sicuti etiam post eorum assumptionem aliquod melioris succi edulium ingeratur, ut puta iusculum, quo malitia peponum retundatur, attemperaturque, nam qui alvum lubricam habent, ijs deorsum promptiores feruntur, nec in bilem, alium ve pravum succum, tam facile vertuntur ; qui vero duram, ac difficilem, eos prorsus dimittere debent : nam si cito non transmittantur, in ventre corrumpuntur, et præsertim nisi ratione assumantur. Nec consuetudo illa nobis arridet eorum, qui cum pepones commederint, vinum meracum statim superbibunt, dum enim vomitum coerceri putant, aliud longe deterius periculum subeunt, dum scilicet pravus illorum succus facilius, ac citius in venas deferatur, ad corque devehetur, quicquid dicant contrarium sentientes, adducentesque asperitatem leniri, et obtundi pernitiales succos, atque concoqui a vino, quod nisi copia et quantitate vini fieri potest.

[Thomas Philologus {a} raconte qu’aussitôt après avoir dévoré deux pastèques, le pape Paul, deuxième souverain pontife de ce nom, fut frappé d’une maladie subite, dont il mourut. Je le crois aisément, me souvenant que Paulus Canobius {b} fut soudainement atteint d’un mal similaire après avoir mangé des laitues et des courges (il était alors âgé de plus de soixante ans) ; quand je lui en demandai la cause, il me dit avoir conservé ces légumes enfermés dans un endroit assez chaud, et je le guéris en le faisant jeûner pendant deux jours. Un autre, voulant sembler lui faire quelque bien en prescrivant un médicament ou une saignée, l’aurait tué en s’appuyant sur des arguments spécieux ; et s’il était nécessaire d’en donner, les exemples ne manqueraient pas de gens que la seule consommation de tels aliments a mis en péril manifeste : après s’être immédiatement pourris dans l’estomac, ils corrompent aussi et de la même manière les autres humeurs du corps. En somme, les melons engendrent en particulier des fièvres pernicieuses avec éruptions cutanées et d’autres maladies fatales, {c} surtout si on les consomme avec des viandes, des œufs, du vin en abondance, des poissons, de la chair à saucisse, du lait ou des mets qui en contiennent. En revanche, ils tiennent souvent lieu de médication pour qui en mange peu, avec du pain, s’il est bien levé, en buvant de l’eau arrosée d’un vin léger, blanc de préférence ; il en va de même si, après les avoir absorbés, on ingère quelque aliment de meilleur suc, comme, par exemple, un bouillon, qui émousse et empêche la nocivité des pastèques. Ceux qui ont l’intestin prompt à réagir les évacuent ainsi plus rapidement, sans permettre leur transformation en bile ou en autre humeur néfaste ; mais ceux qui l’ont paresseux et lent, doivent s’abstenir tout à fait d’en manger car, s’ils ne sont pas rapidement éliminés, ils pourrissent dans le ventre, et ce particulièrement s’ils ont été consommés sans modération. Je ne saurais approuver ceux qui, ayant mangé des melons, ont coutume, aussitôt après, de boire du vin pur avec l’idée de s’empêcher de vomir, car ils s’exposent alors à un autre danger bien pire : le mauvais suc de ces légumes pénétrera plus aisément et plus vite dans les veines pour gagner le cœur ; diront le contraire ceux qui pensent et veulent faire croire que le vin aide la digestion des melons en atténuant leur âpreté et en adoucissant leurs sucs pernicieux car ni la richesse ni l’abondance du vin n’y peuvent rien changer]. {d}


  1. Nom latin [Thomas le philologue] de Tommaso Giannotti Rangone (Ravenne 1493-1577), humaniste italien qui professa la médecine à Padoue et la pratiqua à Venise.

  2. V. supra note [15] pour l’infortune du pape Paul ii.

    Paulus Canobius (mort en 1557) était un professeur de philosophie et bienfaiteur de l’Université de Milan.

  3. Ces fâcheuses conséquences évoquent une intoxication alimentaire aiguë bactérienne (salmonelle, staphylocoque, colibacille, shigelle, choléra) ou parasitaire (amibiase), mais diarrhée et vomissements manquent à la description du mal, et sa relation avec les pastèques et les melons est énigmatique ; à moins de penser que ces légumes aient pu être contaminés par de l’eau malpropre qu’on aurait employée pour les laver, ou qu’on y aurait injectée pour en augmenter le prix en les alourdissant (comme cela se produit encore parfois dans certaines contrées tropicales).

    L’Histoire naturelle de Pline parle des cucurbitacées aux chapitres xxiii‑xxiv du livre xix, en traitant successivement du concombre (cucumis sativus), du potiron (cucurbita pepo), du mélopépon (cucumis melo), et de la courge (cucurbita pepo) (Littré pli, volume 1, pages 721‑723). Les équivalences franco-latines de ces noms de légume restent néanmoins sujettes à caution.

  4. La condamnation de Cardan est plus implacable encore dans ses De methodo medendi sectiones quatuor [Quatre sections sur la méthode pour remédier] (Paris, Rouille, 1565, in‑8o) avec la conclusion du chapitre vii, Quod melones præponunt multis fructibus [Pourquoi les melons sont préférés à beaucoup de fruits] (page 15) :

    Consilium igitur meum est, ut non solum dimittatur, sed ab usu humano explodatur, etiam principum Decretis. Nam quæ lues est perniciosor, qua quotannis multa millia hominum pereunt ? Mirumque, quod a medicis hæc pernicies consulatur, omissis uvis et ficubus eiusdem temporis fructibus longe minus noxiis.

    [Je conseille donc non seulement de les rejeter, mais de les bannir de la consommation humaine, et ce même par décrets des princes. Existe-t-il une maladie plus pernicieuse, dont chaque année périssent plusieurs milliers d’hommes ? Il est surprenant que des médecins recommandent ce fléau, en laissant de côté les raisins et les figues, qui sont fruits de même saison, mais bien moins nuisibles].


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 19.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8169&cln=19

(Consulté le 02/05/2024)

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