Je vous envoyai ma dernière le mardi 29e de juillet par la voie de M. Paquet [2] avec deux autres incluses, dont l’une était pour M. Garnier, [3] votre collègue, et l’autre pour M. Meyssonnier. [4] Le roi [5] est ici arrivé, de retour de Picardie, le jeudi dernier de juillet. On parle de l’accommodement de Bordeaux, [6] comment ils se veulent rendre au roi et sous quelles conditions prendre l’amnistie ; même, on dit qu’ils envoient exprès en la cour, des députés. [1] L’armée du roi et celle des Espagnols, conduite par le prince de Condé [7] sont à quatre lieues l’une de l’autre, mais la rivière de Somme est entre deux. [2] M. Naudé [8] est si fort malade à Abbeville [9] qu’il y a reçu son dernier sacrement. J’en suis extrêmement en peine et n’y puis que faire. S’il y meurt, ce me sera un regret éternel d’avoir perdu un tel ami si malheureusement. On fait ici les préparatifs pour mener le cardinal de Retz [10] dans la citadelle d’Amiens. [11] Le vieux archevêque de Paris, [12] qui était à Pontoise [13] par commandement du roi, a eu permission de revenir à Paris, comme il y est de présent, fort cassé et fort abattu. Il a la pierre [14] dans la vessie, mais il dit qu’il aime mieux mourir que de permettre qu’on le taille. [15] Il est si vieux que, quoi qu’il fasse, il ne peut pas aller loin. On dit ici que l’on a découvert plusieurs faux monnayeurs [16] à Lyon, c’est une espèce de gens que je hais fort, graviter enim peccant isti nebulones in publica commoda ; [3] je voudrais que le dernier eût été écorché tout vif et que la race en fût morte.
Ce 2d d’août. Je viens d’apprendre la mauvaise nouvelle, dont j’avais grande appréhension, que notre bon ami M. Naudé est mort à Abbeville le mardi, 29e de juillet. J’en suis inconsolablement affligé et ne vous en puis écrire davantage, tant je suis outré et saisi de douleur. Curæ leves loquuntur, ingentens stupent. [4][17] Je plains fort tous ses pauvres parents qui perdent extrêmement après lui. Je le regrette tout de bon, mais ce n’est pas pour mon intérêt, fors celui de l’amitié.
Je viens de mettre dans votre paquet un livre fort curieux que tout le monde admire ici, tant on dit qu’il est bien fait. L’auteur en est un Parisien fort goutteux nommé M. Costar, [18] grand archidiacre du Mans, homme fort poli. Le livre est dédié à M. de Balzac [19] et néanmoins, il est presque tout contre lui. Le titre du livre est Défense des ouvrages de M. de Voiture, etc. [20] On imprime ici l’Aristippe ou de la Cour du dit M. de Balzac in‑8o, il sera dédié à la reine de Suède. [5][21] Mâle peste soit ce pays, je voudrais que Balzac y fût et que mon pauvre ami M. Naudé n’y fût jamais allé. M. Gassendi [22] m’a témoigné qu’il avait grand regret de ne vous avoir point vu en passant à Lyon. [23] On s’en va imprimer la Vie de Tycho Brahe [24] qu’il a faite. Plura alias. [6] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Guy Patin.
De Paris, ce vendredi 8e d’août 1653.
Je vous prie de présenter mes très humbles recommandations à MM. Gras, Falconet et Garnier, nos bons amis. Vous recevrez la présente par M. Guillemin [25] à qui j’ai fait réponse pour celle qu’il m’avait écrite.