L. 637.  >
À André Falconet,
le 14 septembre 1660

Monsieur, [a][1]

Il est arrivé ici une disgrâce au cardinal Mazarin : [2] l’abbé de Saint-Vaast d’Arras [3] y est mort, [4] c’est une abbaye de 100 000 écus de rente ; on dit que Son Éminence la veut donner au cardinal Mancini [5] qui est à Rome, qui est frère de son beau-frère, mais que les moines s‘y opposent, alléguant que cette abbaye a toujours été régulière, qu’il faut être moine pour en être abbé, et même que ce dernier était encore régulier. [1] Tout cela est beau et bon, mais la force l’emportera, vis maior omnia domat[2] Si le cardinal Mancini est bien avec le pape, [6] il l’aura sans doute : cardinalis est Draco furiosus, animal rubrum, capax et vorax omnium beneficiorum[3][7] Les jésuites ont perdu un de leurs suppôts à Rome, savoir le cardinal de Lugo, [8] qui était fort vieux. Le maréchal de Gramont [9] est fort malade à Bayonne ; [10] c’est dommage car c’est un excellent seigneur, vir antiqui sæculi, aut saltem meliore dignus[4]

On parle à la cour d’un voyage de Notre-Dame-de-Liesse [11] ad impetrandum fœcunditatem[5] je l’espère sans miracle de la bonne constitution de Nos Majestés et je la souhaite de tout mon cœur. La fille du prince de Condé, [12] Mlle de Bourbon, [13][14] âgée de quatre ans, est ici fort malade ; on dit que Guénault [15] y perd son latin, cela lui arrive souvent. [6]

On dit qu’ici lundi prochain (18e de septembre), le roi [16] partira avec Son Éminence pour aller à Compiègne, [17] à La Fère [18] et à Notre-Dame-de-Liesse, et que la reine [19] demeurera à Saint-Germain. [7][20] Il court ici un bruit assez étrange, qui est que le cardinal Mazarin [21] traite avec le roi d’Angleterre [22] pour lui donner en mariage sa nièce Hortense [23] et qu’il y aura liberté de conscience dans les trois royaumes. [8] Christine, [24] reine de Suède, est encore à Hambourg. [25] On dit qu’elle veut retourner en Suède, mais qu’on s’y oppose fortement et qu’on lui a député deux sénateurs pour la prier de n’y point aller. Il y a là-dessous du mystère que nous n’entendons pas. Le temps le découvrira et les grands, pour grands qu’ils soient, ne le sauraient empêcher.

M. Priolo, [26] qui a autrefois été secrétaire de feu M. de Rohan, [27] a fait l’histoire de France en latin depuis la mort du feu roi, in gratiam Mazarini[9] Son livre est intitulé Conatus historici, il y aura bien là-dedans de la flatterie, mais cela est de l’essence du siècle auquel Dieu nous a réservés. [10] On dit que l’empereur [28] veut aller à Notre-Dame de Lorette [29] pour se consoler du regret qu’il a de n’avoir pu avoir pour sa femme notre jeune reine ; et néanmoins, tandis qu’il fait des vœux en Italie, les Turcs sont en Hongrie qui assiègent Varadin [30] et qui la prendront si elle n’est puissamment secourue. [11] On disait autrefois un proverbe Dum deliberunt Romani, Saguntus capitur[12][31] il faudra maintenant dire Dum precatur Cæsar, Hungaria capitur[13] J’ai ce matin été au bureau de Messieurs les gouverneurs de l’Hôtel-Dieu, [32] où j’avais été nommé par M. le premier président [33] et d’autres, pour y examiner les sages-femmes [34] et en choisir celle que l’on trouvera la plus capable pour la faire sage-femme de l’Hôtel-Dieu, tant pour accoucher les femmes grosses que pour enseigner celles qui veulent apprendre ce métier. Monsieur notre doyen [35] et moi en avons examiné deux qui ne sont que médiocrement capables ; la semaine prochaine, nous y retournerons pour en examiner d’autres qui se présenteront. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 14e de septembre 1660.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 14 septembre 1660

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(Consulté le 27/04/2024)

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