[Ms BIU Santé no 2007, fo 133 ro | LAT | IMG]
Pour l’auteur du Campus Elysius.
Très distingué Monsieur, [a][1]
N’allez pas vous étonner si un Français inconnu de vous ose vous écrire, à vous qui êtes un médecin espagnol dont le savoir est vaste, pour ne pas dire universel, à vous qui êtes fort connu dans le monde entier, et si je vous envoie une lettre que vous n’attendiez absolument pas. C’est la reconnaissance [1] qui me l’autorise, car je veux vous exprimer toute la gratitude dont je suis capable pour m’avoir extrêmement honoré en citant mon nom en plusieurs passages de votre grand ouvrage, et pour en louer l’érudition. J’entends votre Campus Elysius, [2][2][3][4][5] et vous savez très bien où je veux en venir : il ne s’agit que de m’épargner le péché d’ingratitude, car il n’y a rien de pire qu’un esprit ingrat pour les hommes de bonnes mœurs. La raison pour laquelle je vous écris, très distingué Monsieur, est donc pour que vous ne croyiez pas que je veuille vivre et mourir sans vous avoir remercié. J’ai lu votre Campus Elysius, j’y ai surtout trouvé quantité d’excellentes et louables choses qui m’ont mis dans une immense joie parce que, par l’érudition peu commune dont vous l’avez enrichi, elles ont heureusement instruit dans la meilleure doctrine mon esprit qui est avide de lecture et de savoir ; mais ce faisant, j’ai été très surpris et presque stupéfié quand j’ai plusieurs fois lu mon nom parmi tant de témoins extrêmement renommés de votre érudition, savoir celui d’un homme banal qui n’a en rien mérité une si grande gloire, et je vous avoue cela en toute sincérité. Pour vous faire connaître, très distingué Monsieur, qui je suis, ou plutôt qui est celui que vous avez loué tant de fois avec tant d’honneur, apprenez-le de moi-même en quelques mots, vraiment sans aucun orgueil, mais plutôt morum fiducia, comme dit Tacite. [3][6][7] Mon nom est Guy Patin, originaire de Beauvais (une cité très ancienne et très bien fortifiée en Flandre française), je suis dans ma 60e année d’âge, docteur en médecine de Paris depuis 40 ans, appartenant à cette très illustre et très antique Compagnie de médecins qui a jadis produit des hommes célèbres en tous mérites et dignes de toute recommandation, tels qu’ont été Fernel, [8] Sylvius, [9] Tagault, [10] de La Ruelle, [11] Houllier, [12] Duret, [13] Baillou, [14] Riolan, [15] Charpentier, [16] Pardoux, [17], René Moreau [18] et une infinité d’autres, magnus erit quos numerare labor. [4][19] Pendant 20 ans, j’ai publiquement enseigné tant la médecine que la chirurgie dans les Écoles de médecine de Paris ; mais voici dix ans, j’ai été nommé professeur royal et, comme successeur du très distingué M. Jean Riolan, premier de tous les anatomistes, j’enseigne publiquement chaque année la médecine dans le Collège royal. [5][20][21][22][23] Les ouvrages de ma plume que vous avez loués sont peu nombreux et ceux d’un tout jeune homme ; mais je ne les renie et ne les rejette en aucune façon puisque je vois que vous les louez et les approuvez, vous qui êtes un homme très sérieux et très docte. Ayant atteint un âge plus mûr, j’aurais sans doute pu écrire des ouvrages meilleurs et plus dignes de louange, si j’en avais eu le loisir et si m’était venue à l’esprit l’idée d’élever mon renom à la recommandation de la postérité. [24][25] Voilà donc pourquoi, très distingué Monsieur, je me sens extrêmement lié par la gentillesse que vous avez mise à louer dans votre ouvrage très estimé mes écrits de jeunesse, si légers et divertissants, et de m’avoir voulu Principibus Achivis permistum. [6][26] La seule raison pour laquelle je vous écris, très distingué Monsieur, est de vous exprimer ma reconnaissance et de vous remercier pour votre bienveillance, que toute ma vie je veillerai fièrement à entretenir, et que je m’évertuerai à mériter de vous et de vos semblables. Vale et aimez-moi.
De Paris ce 2d de février 1662.
Vôtre en toute sincérité, Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal d’anatomie, de botanique et de pharmacie. [7]