Suzanne de Baudéan de Neuillant, duchesse de Navailles (1626-1700), faisait partie des filles d’honneur d’Anne d’Autriche et avait su mériter la confiance de Mazarin, qui lui avait fait épouser le duc de Navailles (v. note [7], lettre 343) en 1651. En 1660, elle avait été nommée dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse.
Saint-Simon (Mémoires, tome i, pages 693‑694) :
« C’était une femme d’esprit et qui avait conservé beaucoup de monde {a} malgré ses longs séjours en province, et d’autant de vertu que son mari. La reine eut des filles d’honneur, et les filles d’honneur, avec leur gouvernante et sous-gouvernante, sont dans l’entière dépendance de la dame d’honneur. Le roi était jeune et galant. Tant qu’il n’en voulut point à la chambre des filles, Mme de Navailles ne s’en mit pas en peine ; mais elle avait l’œil ouvert sur ce qui la regardait : elle s’aperçut que le roi commençait à s’y amuser et bientôt après, elle apprit qu’on avait secrètement percé une porte dans leur chambre, qui donne sur un petit degré {b} par lequel le roi y montait la nuit, et que, le jour, cette porte était cachée par le dossier d’un lit. Elle tint sur cela conseil avec son mari : ils mirent la vertu et l’honneur d’un côté, la colère du roi, la disgrâce, le dépouillement, l’exil de l’autre ; ils ne balancèrent pas. Mme de Navailles prit si bien son temps pendant le jeu et le souper de la reine, que la porte fut exactement murée et qu’il n’y parut pas. La nuit, le roi, pensant entrer par ce petit degré, fut bien étonné de ne trouver plus de porte : il tâte, il cherche, il ne comprend pas comment il s’est mépris et découvre enfin qu’elle est devenue muraille. La colère le saisit ; il ne doute point que ce ne soit un trait de Mme de Navailles et qu’elle ne l’a pas fait sans la participation de son mari. Du dernier, il ne put l’éclaircir que par la connaissance qu’il avait d’eux ; mais pour la porte, il s’en informa si bien qu’il sut que c’était Mme de Navailles qui l’avait fait murer. Aussitôt, il leur envoie demander la démission de toutes leurs charges, et ordre de s’en aller chez eux en Guyenne, c’était en juin 1664, et en va faire des plaintes à la reine mère dont il les savait fort protégés. La reine mère, qui avait un grand crédit sur le roi, l’employa tout entier pour parer ce coup : tout ce qu’elle put obtenir, ce fut de leur sauver le gouvernement de La Rochelle et du pays d’Aunis, et de les y faire envoyer ; mais tout le reste sauta. […] et Mme de Montausier fut dame d’honneur sans quitter sa place de gouvernante de Mgr le Dauphin. Les suites ont fait voir que le roi se connaissait bien en gens et qu’il ne pouvait choisir une plus commode, malgré toute la morale et la vertu de l’hôtel de Rambouillet et l’austérité de M. de Montausier. L’exil ne fut pas long : la reine mourut tout au commencement de 1666 et en mourant, elle demanda au roi son fils le retour et le pardon de M. et de Mme de Navailles, qui ne put la refuser. {c} Le mari est devenu, neuf ans depuis, maréchal de France, et quoique simple duc à brevet, n’a jamais porté le titre de maréchal, ni sa femme de maréchale. Elle parut le reste de sa vie fort rarement, et des moments, à la cour. »
- Relations mondaines, entregent.
- Escalier.
- Lui dire non.
L’anecdote de l’escalier secret qui permettait au roi de visiter Mlle de La Vallière a été largement exploitée par Alexandre Dumas dans Le vicomte de Bragelonne, mais Mme de Motteville (Mémoires, pages 536‑537) a fourni une version moins romanesque de la disgrâce des Navailles :
« Peu après, le roi, suivi des reines et de toute la cour, alla s’établir à Fontainebleau, pour y passer une partie de l’été. Ce fut là que le roi, sur une parole que lui répondit le duc de Navailles, en parlant d’une chose de peu de conséquence qui regardait les chevau-légers, parut publiquement se fâcher contre lui, et leur perte fut résolue, de lui et de sa femme. Ils reçurent commandement, en juin, de donner leur démission du gouvernement du Havre-de-Grâce, de la lieutenance des chevau-légers et de la charge de dame d’honneur. Le roi qui, en les éloignant de la cour, ne les voulut pas priver des biens qu’ils y avaient reçus et achetés, par justice et par bonté, leur fit donner, pour récompense de leurs charges, neuf cent mille livres.
La reine mère, qui ne jetait pas souvent des larmes, quand le duc et la duchesse de Navailles partirent, pleura leur disgrâce, qui arriva malgré elle et malgré les prières qu’elle fit au roi en leur faveur. Elle sentit leur infortune de toute manière ; car, outre leur malheur, elle eut de la peine d’avoir vu trop clairement, en cette occasion, qu’elle n’avait pas alors un grand crédit auprès du roi. La reine en parut fâchée autant qu’en effet elle le devait être : elle pleura et malgré sa timidité ordinaire, elle en parla au roi, à ce qu’elle nous fit l’honneur de nous dire, avec des sentiments dignes de l’affection et de la fidélité de ceux qu’elle perdait. Elle embrassa la duchesse de Navailles, et l’assura, en la quittant, qu’elle ne l’oublierait jamais.
La duchesse de Montausier, jusqu’alors gouvernante des enfants de France, fut mise aussitôt à la place de la duchesse de Navailles. Selon ce que j’ai écrit de cette dame, il est aisé de juger qu’elle devait être agréable au roi, non seulement parce qu’elle avait de belles qualités, mais à cause que le mérite qui était en elle était entièrement tourné à la mode du monde, et que son esprit était plus occupé du désir de plaire et de jouir ici-bas de la faveur que des austères douceurs qui, par des maximes chrétiennes, nous permettent les félicités éternelles. »
L’affaire de la lettre espagnole, où la duchesse de Montausier avait été injustement incriminée (v. note [4], lettre 803), paraît avoir été le véritable motif de la disgrâce des Navailles. |