À André Falconet, le 31 mai 1661, note 3.
Note [3]

L’abbesse de Port-Royal de Paris était Jeanne Arnauld (1593-1671), en religion Jeanne-Catherine de Sainte-Agnès de Saint-Paul, dite Mère Agnès : « Quand le roi fait signifier le 23 avril 1661, par le lieutenant civil, de renvoyer toutes les pensionnaires, la Mère Agnès ne peut opposer de résistance : elle se contente de faire entrer en toute hâte plusieurs postulantes au noviciat. Le 4 mai, le roi ordonne de renvoyer postulantes et novices. Deux jours plus tard, elle adresse une requête au roi : requête habile et respectueuse où elle demande, au nom de sa conscience et des devoirs de sa charge, l’autorisation de garder les religieuses qui ont pris des engagements définitifs. Le roi trouve la lettre très belle, mais reste inflexible. » Le 13 avril 1661, un arrêt du Conseil d’État avait fait obligation à tous les religieux du royaume de signer le Formulaire (v. note [9], lettre 733), texte qui reniait les Cinq Propositions et l’Augustinus de Jansenius qui les professait. La Mère Agnès obtint la signature de ses religieuses puis quitta la direction du couvent à la fin de l’année (Dictionnaire de Port-Royal, pages 98‑102).

Mémoires de Louis xiv (tome 2, page 419, année 1661) :

« Et à l’égard du jansénisme, je travaillais sans cesse à dissiper les communautés et les assemblées où se fomentait cet esprit de nouveauté. ».

Jean Racine a relaté avec émotion ce cruel épisode de l’histoire politique du jansénisme : {a}

« Ainsi une des premières choses à quoi Sa Majesté se crut obligée en prenant l’administration de ses affaires après la mort du cardinal Mazarin, ce fut de délivrer son État de cette prétendue secte.

Il fit donner un arrêt dans son Conseil d’État pour faire exécuter les résolutions de l’Assemblée du Clergé, et écrivit à tous les archevêques et évêques de France à ce qu’ils eussent à s’y conformer, avec ordre à chacun d’eux de lui rendre compte de sa soumission deux mois après qu’ils auraient reçu sa lettre. Mais les jésuites n’eurent rien de plus à cœur que de lui faire ruiner la Maison de Port-Royal. Il y avait longtemps qu’ils la lui représentaient comme le centre et la principale école de la nouvelle hérésie. On ne se donna pas même le temps de faire examiner la foi des religieuses. Le lieutenant civil et le procureur du roi eurent ordre de s’y transporter pour en chasser toutes les pensionnaires et les postulantes, avec défense de n’en plus recevoir à l’avenir ; et un commissaire du Châtelet alla faire la même chose au monastère des Champs. L’abbesse qui était alors la Mère Agnès, sœur de la Mère Angélique, {b} reçut avec un profond respect les ordres du roi et sans faire la moindre plainte de ce qu’on les condamnait ainsi avant que de les entendre, demanda seulement au lieutenant civil si elle ne pourrait pas donner le voile à sept de ces postulantes qui étaient déjà au noviciat et que la Communauté avait admises à la vêture. Il n’en fit point de difficulté et sur la parole de ce magistrat, quatre de ces filles prirent l’habit le lendemain, qui était le jour de Quasimodo, {c} et les trois autres le prirent aussi le lendemain qui était le jour de Saint-Marc. Cette affaire fut rapportée au roi d’une manière si odieuse qu’il renvoya sur-le-champ le lieutenant civil avec une lettre de cachet pour faire ôter l’habit à ces novices. L’abbesse se trouva dans un fort grand embarras, ne croyant pas qu’ayant donné à des filles le saint habit à la face de l’Église, il lui fût permis de le leur ôter sans qu’elles se fussent attiré ce traitement par quelque faute. Elle écrivit au roi une lettre très respectueuse pour lui expliquer ses raisons et pour le supplier aussi de vouloir considérer si Sa Majesté, sans aucun jugement canonique, pouvait en conscience, en leur défendant de recevoir des novices, supprimer et éteindre un monastère et un institut légitimement établis pour donner des servantes à Jésus-Christ dans la suite de tous les siècles. Mais cette lettre ne produisit d’autre fruit que d’attirer une autre lettre de cachet, par laquelle le roi réitérait ses ordres à l’abbesse d’ôter l’habit aux sept novices et de les renvoyer dans les vingt-quatre heures, sous peine de désobéissance et d’encourir son indignation. Du reste, il lui déclarait : Qu’il n’avait pas prétendu supprimer son monastère par une défense absolue d’y recevoir des novices à l’avenir, mais seulement jusques à nouvel ordre ; lequel serait donné par autorité ecclésiastique lorsqu’il aura été pourvu à votre couvent (ce sont les termes de la lettre) d’un supérieur et directeur d’une capacité et piété reconnues, et duquel la doctrine ne sera point soupçonnée de jansénisme ; à l’établissement duquel nous entendons qu’il soit procédé incessamment par les vicaires généraux et l’archevêque de Paris.

Après une telle lettre on n’osa plus garder les sept novices et on les rendit à leurs parents. Mais on ne put jamais les faire résoudre à quitter l’habit. Elles le gardèrent pendant plus de trois ans, attendant toujours qu’il plût à Dieu de rouvrir les portes d’une Maison où elles voyaient que leur salut était attaché. »


  1. Dans son Abrégé de l’Histoire de Port-Royal, par M. Racine, de l’Académie française. Ouvrage servant de supplément aux trois volumes des Œuvres de cet auteur. Nouvelle édition (Paris, Lottin le jeune, 1770, petir in‑fo de 243 pages) : pages 151‑154.

  2. Jacqueline Arnauld (1591-6 août 1661), supérieure de Port-Royal-des-Champs.

  3. Dimanche suivant celui de Pâques, soit le 24 avril 1661.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 mai 1661, note 3.

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(Consulté le 23/04/2024)

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