< L. 403.
> À Charles Spon, le 6 juin 1655 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À Charles Spon, le 6 juin 1655
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Pour nouvelles du pays de deçà depuis ma dernière du mardi 11e de mai après souper, un malheureux homme nommé Prévôt, [2] fils d’un procureur de la Cour, a tué sa femme tout froidement à coups de couteau sans querelle ni jalousie. [1] Le corps de la femme a été porté au grand Châtelet, [3] où il est prisonnier, pour lui être confronté. Le maréchal de Turenne [4] est parti ce matin pour s’en aller sur la frontière où il doit joindre son armée, et après on dira quelle ville ils ont dessein d’assiéger. [2][5] 1o M. Sarrasin, [6] est un bon homme, sed qui profitetur artem quam non intelligit ; [3] 2o le sieur Lémonon [7] est un grand homme de 63 ans qui est ou qui se dit médecin de M. de Longueville, [8] qui se connaît au métier dont il se mêle comme moi de faire un coffre ; [4] le troisième est un peu plus spirituel, savoir M. Du Four, [9] médecin de M. de Vendôme ; [10] tous trois réformés, Tantum religio potuit suadere malorum. [5][11] Ce dernier n’a vu mademoiselle votre belle-sœur [12] dans sa maladie qu’une fois, le second assez et trop, et le premier, qui est un hémophobe [13] recuit, aura négligé les commencements d’une fièvre continue [14] avec une diarrhée bilieuse, [15] où il fallait saigner hardiment. Votre M. Sarrasin en a bien fait d’autres en ce pays, maximi et necessarii præsidii vim et dignitatem nunquam intellexit, interea patitur iustus. [6] Paris est trop mal policé, le désordre vient du même endroit d’où nous devrions avoir le remède : ils se disent médecins du roi et des princes, et à cette amorce le peuple y est attrapé qui sæpe vult decipi. [7] Je suis bien aise que M. Chesneau [16] vous ait vu et plu. L’on m’a dit ici, depuis qu’il en est parti, que c’est un fin et rusé personnage ; les Provençaux n’ont pas ici fort bonne réputation et multa vitia illis tribuntur, iure an iniuria nescio, [8] qu’en dites-vous ? Le roi, [17] la reine, [18] le Mazarin [19] et toute la cour sont partis d’ici le mardi 18e de mai pour aller coucher à Chantilly [20] et delà à Compiègne [21] où le roi demeurera quelques semaines. Avant que de partir, il a fait commandement à l’abbé Boisrobert, [22] âgé de 63 ans, de sortir de Paris pour divers jurements qu’il avait proférés du nom de Dieu après avoir perdu son argent à jouer [23] contre les nièces de Son Éminence. [24] On dit que le P. Annat, [25] jésuite et confesseur du roi, duquel il s’était moqué en le contrefaisant, a bien aidé à lui procurer cet exil, qu’il a bien mérité d’ailleurs. C’est un prêtre qui vit en goinfre, fort déréglé et fort dissolu. [9] On a volé au cardinal Mazarin 4 000 pistoles en quatre sacs. Fur ipse nescitur, [10] mais on a emmené prisonnier dans le Châtelet par le commandement de l’Éminence un sien domestique italien qui en est accusé. Le massacre de vos pauvres réformés est ici unanimement abhorré et détesté de tous : venimus ad fæcem sæculorum. [11][26][27] Tous les princes d’Allemagne, tant ecclésiastiques que protestants, arment sans que l’on en sache la vraie cause. On a soupçon que c’est le roi de Suède [28] qui leur fait peur, qui a une grande armée sans que l’on sache à qui il en veut. Le roi a laissé ici 16 compagnies du régiment des gardes, lesquelles volent ici impunément aux bouts des faubourgs ceux qui entrent ou sortent de la ville. Je viens de rencontrer M. Pecquet, [29] lequel m’a dit qu’il avait le brevet de la chaire de Montpellier [30] vacante par la mort de M. Rivière, [31] mais que son maître, l’évêque d’Agde, [32] ne voulait pas qu’il le quittât ni le laissât aller demeurer à Montpellier ; de quoi lui-même n’est point fâché à ce qu’il m’en a témoigné, disant que cela a servi d’occasion à faire parler son maître. [12] N’imprimera-t-on rien à Genève de la mort de tant de pauvres innocents que le prince Thomas [33] a fait massacrer si malheureusement ? Il n’y a personne de deçà qui ne déteste cette cruauté, laquelle me semble tout à fait horrible. On dit même que le pape [34] d’aujourd’hui est si honnête homme, si bon et si modéré, qu’il n’approuvera jamais cette boucherie. Notre M. Le Gagneur [35] est parti pour s’en aller en Languedoc trouver son maître le prince de Conti [36] qui lui a fait toucher 1 000 écus avant que de partir. Je pense qu’il vous aura visité en passant. Notre M. Vacherot [37] est à Rome auprès de son maître, le cardinal de Retz, [38] qu’il ne veut point quitter. On lui a offert la première charge de professeur de Bologne, [39] laquelle il a généreusement refusée ; il en est très capable, mais je pense qu’il espère mieux de son patron et en attendant, se tenir coi et se reposer à Rome qui est une ville dont le séjour est doux et agréable ; joint que le bon seigneur est frère de la papimanie, unde facilius et melius ei conveniet cum monachis totaque Romana colluvie. [13] On ne fait ici que pendre et rompre : avant-hier, fut pendue une femme qui avait tué son enfant ; [40] aujourd’hui, a été rompu dans la Grève [41][42] un méchant voleur de grand chemin entre Chartres [43] et Paris, il avait été clerc n’y a pas longtemps chez un procureur du Châtelet. Un conseiller m’a dit aujourd’hui qu’il y en aura encore deux autres la semaine prochaine, lesquels volaient sur le grand chemin de Rouen. On a fait mettre en prison un mathématicien qui s’est avisé de prédire que le mois prochain il y aura un grand changement dans la fortune du Mazarin. Le cardinal de Retz a mandé à ses amis de deçà qu’ils ne se mêlassent plus en aucune façon de son affaire, que le pape avait pris ses intérêts de si bonne sorte qu’il s’en fallait fier et attendre à lui tout seul. Le pape a refusé de donner les bulles [44] de l’évêché de Langres [45] à l’abbé de La Rivière, [46] et a dit pour cause de son refus ces propres termes : Mutet mores, tollat simoniam. [14][47] Le pape a supprimé trois grandes et éminentes charges de l’État ecclésiastique qui coûtaient trop à entretenir et qui ne servaient de rien. Il a aussi écrit au roi, à la reine et au Mazarin pour la paix générale et leur a mandé comment le roi d’Espagne [48] lui en avait envoyé la carte blanche. [15] Je pense que le Mazarin n’aime point cette nouvelle, et qu’elle est fort contraire à son dessein et à son profit, il gagne plus à la guerre qu’il ne peut faire à la paix. Le roi consent que le pape fasse la paix, mais à la charge qu’auparavant le roi d’Espagne mettra le duc de Lorraine [49] en liberté, que le pape renverra prisonnier dans le Bois de Vincennes [50] le cardinal de Retz et qu’il ne se mêlera pas des affaires du prince de Condé. [51] Nous avons ici tout nouveau un petit livret de M. Le Noble, [52] médecin de Rouen, touchant l’opinion de M. Pecquet, qu’il dédie à M. Riolan, [53] sur la fin duquel le même M. Riolan a ajouté une épître. [16] Hier moururent ici deux hommes fort remarquables en leur sorte : l’un conseiller de la Grand’Chambre, âgé de 81 ans, nommé M. Le Nain ; [54] l’autre est un fameux partisan nommé Launay Gravé. [17][55] Le gouverneur d’Arras, nommé Montdejeu, [18][56] que le Mazarin y a mis, fait le méchant dans la place : il n’a pas voulu y laisser entrer M. Le Tellier ; [57] il a su ou cru qu’on lui voulait ôter le gouvernement ; il menace, même on doute qu’il ne soit d’intelligence avec le prince de Condé ou avec les Espagnols qui voudraient pour grand’chose pouvoir retenir cette place ; cette nouvelle a alarmé la cour. J’apprends que l’on a imprimé depuis peu en Hollande un poème de cinq ou six cents vers contre le Mazarin. Je ne l’ai point encore vu et ne sais pas quand je le verrai ni qui en est l’auteur, mais je tiens qu’il serait dangereux d’être saisi de telle pièce. Il n’est pas même aisé de deviner de quelle part vient ce poème car cet homme possède une place que tant de gens envient que je ne m’étonne point s’il a des ennemis ; outre qu’il oblige fort peu de monde en son ministère, duquel il retient et garde pour soi-même le profit. [58]
M. Guillemeau [59] m’a parlé de son Histoire avec joie. La reine sait bien son dessein, qu’elle a fort approuvé. Le temps viendra qu’il la verra à son retour de la campagne et qu’il conférera de quelques points de très grande importance avec elle, comme de l’affaire de Chalais [60] qui eut la tête coupée à Nantes [61] l’an 1626, [20] et les desseins de Buckingham, [62] pour lesquels il vint à la cour, comment ils furent éludés et lui trompé ; amabat Iunonem [21][63] et fut attrapé. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble, etc. De Paris, ce 6e de juin 1655. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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