Paris, 1701, pages 1‑30 [1]
- Bodin [2] avait été carme [3] dans son jeune âge, le libertinage [4] l’en fit sortir pour vivre dans le monde : il fréquenta d’abord le Palais, mais il s’en dégoûta et s’appliqua uniquement à faire des livres. Sur la fin de ses jours, il en fit un fort dangereux sous le titre de Colloquium επταπλομερες de abditis rerum sublimium arcanis. Il disait à ses amis qu’il avait un démon familier. Je m’éclaircirai plus particulièrement de cela. [1]
- Notre ami Gassendi [5] ne l’était guère d’Aristote. [6] Il m’a dit fort souvent, en plaisantant, que ce philosophe avait un nez de cire, qu’on faisait tourner comme on voulait avec une chiquenaude. [2][7]
- Le Père Joseph [8] trouvait tout facile. M. Bruslart, [9] qui avait conclu un traité de Ratisbonne [3][10] conjointement avec ce capucin, disait qu’il n’avait rien de son Ordre [11] que l’habit.
- Urbain viii [12] ne fera pas de cardinaux jésuites car il n’en a pas envie : [4] les jésuites sont craints et haïs en Italie, mais il faut être bien avec eux pour être pape. Voilà pourquoi ils ont plusieurs cardinaux pour amis. [13]
Le pape Urbain viii a eu un médecin nommé Giulio Mancini, [14] qui était moralement honnête homme, grand astrologue, [15] fort savant dans les bonnes lettres, bénéficier, et qui est mort à Rome suspect d’avoir peu de religion. [5]
- M. Gaffarel, [16] prêchant à Grenoble, laissa échapper quelques mots touchant la réunion des deux religions ; il en fut repris par arrêt du parlement, [17] condamné de se rétracter. [6]
- Stephanus Pignatellus Perusinus [18] avait été fort vicieux dans sa jeunesse. Il avait été au service du cardinal Borghese ; [19] cela lui procura le chapeau de cardinal. Il mourut bientôt après. Le pape Paul v [20] eut un tel regret de l’avoir fait cardinal qu’il en mourut de déplaisir. [7]
- Le Père Hilaire de Grenoble, capucin, autrement nommé du Travail, [21] accusa si hardiment et si puissamment, en plein conclave, le cardinal Monopoli [22] de plusieurs crimes atroces, que ce cardinal, tout honteux, se retira de Rome et s’en alla mourir à la campagne. Feu M. le cardinal Bagni [23] me l’a dit ainsi. Ciaconius [24] dit qu’il mourut en l’année 1607 repentina morte. [8][25] Il était moine lorsqu’il fut fait cardinal par Clément viii, [26] en 1604. Vide Thuan. Hist. t. 5, p. 1117. [9][27] Voyez ce que dit l’historien Mathieu [28] dans la Vie de Henri iv, [29] où il parle de ce cardinal comme d’un saint. [10] Ce même du Travail avait été officier, puis il se fit capucin pour servir l’État, disait-il. Depuis huguenot [30] et enfin prêtre séculier, il avait entrepris de faire mourir la reine Marie de Médicis, [31] par poison ou d’un coup de pistolet. On lui fit son procès et, par arrêt de la Cour du 11 mai 1617, il fut condamné à la roue. [32] Voyez la relation de la mort du maréchal d’Ancre, [33] qui est à la fin de l’Histoire des favoris de M. Dupuy. [11][34][35][36]
- Aonius Palearius [37] qui a écrit un poème latin de Animorum immortalitate, [38] et de qui nous avons aussi des épîtres et oraisons latines en beau style, fut brûlé à Rome l’an 1566 parce qu’il était luthérien. [39] M. de Thou, tome 2, dit que ce fut pour avoir dit inquisitionem esse sicam distractam in literatos. [12][40][41] Ce n’était pas là son vrai nom, il se l’était fait à plaisir, aussi bien que Marcellus Palingenius Stellatus, autre poète. [13][42]
- M. de Saumaise [43] fait imprimer un livre de Primatu Petri, dans lequel il soutient deux paradoxes qu’il aura grande peine à prouver : l’un est que saint Pierre n’a jamais été à Rome ; [44] l’autre, qu’il y a eu une papesse Jeanne. [45] J’ai peur que ces deux opinions ne fassent perdre crédit à son livre. M. de Saumaise est peut-être le plus savant de l’Europe pour son âge, car il n’a que cinquante ans. Pour être si savant, plusieurs choses l’ont aidé : 1. un père fort savant ; [46] 2. assiduum studium ; [14] 3. les cinq années qu’il a étudié à Heidelberg [47] avec Gruterus [48] et autres savants, dans cette belle Bibliothèque Palatine, [49] qui a été détruite après la bataille de Prague ; [50] 4. la mémoire, qu’il a prodigieuse. Casaubon [51] lui dit un jour, comme il était encore fort jeune : « Monsieur, ne méprisez pas les dons que vous tenez de Dieu, ils sont grands et beaux. Vous en savez déjà plus à votre âge que Scaliger et moi n’en savons tous deux ensemble. » Scaliger [52] écrivait à M. de Saumaise lorsqu’il n’avait encore que seize ans, et faisait déjà grand état de lui. Pour moi, je crois, mais je n’oserais le dire, dicam tamen sed tibi, [15] que Saumaise est le plus savant homme d’Europe, et qu’il en sait plus, lui tout seul, que jamais n’en ont su Scaliger et Casaubon tous deux ensemble.
- De Christi deformitate. Plusieurs en ont écrit, entre autres Tertullien [53] en trois endroits. [16] Aliqui veteres dixerunt Christum fuisse Lentiginosum : [17][54][55][56][57] donc, il n’était pas beau (saint Irénée). [58] Idem scripsit Cardinalis de Alliaco, Cardanus in genitura Chrsiti. Alii dicunt fuisse facie et aspectu tetricum et morosum, ergo formosus esse non potuit. [18][59][60] Un certain Arabe a fait l’horoscope de Jésus-Christ, et a dit qu’il était laid. [61]
- François Bacon, [62] chancelier d’Angleterre, était un des grands esprits de son temps, un excellent homme qui avait de fort bons et louables desseins pour l’avancement des bonnes lettres ; c’est dommage qu’il n’a<it> pas été secondé. Il mourut l’an 1626, âgé de soixante et six ans, et si pauvre que, quelque temps auparavant, il écrivait au roi [63] une lettre dans laquelle il le priait de le secourir, de peur qu’il ne fût réduit en ses derniers jours à porter la besace, et que lui, qui ne souhaitait de vivre que pour étudier, ne fût contraint d’étudier pour vivre. [19] Il était entré dans le droit chemin pour profiter aux autres. Dans les lettres, il ne faut pas innover, il faut réformer. [20]
- Fra Paolo [64] de Venise était un grand esprit, sublime et vraiment métaphysique, comme l’a nommé Orasius Tubero, c’est-à-dire M. de La Mothe Le Vayer. [21][65] Il était savant en tout.
- Je crois qu’il n’y a ni sorciers ni magiciens, [66] et nugas reputo meraque figmenta quæcumque de his scribuntur. [22] Pour les diables, je pense qu’ils nous poussent à mal faire, et rien < de > plus. La Démonomanie de Bodin ne vaut rien du tout, c’est une pure badinerie. Ce grand esprit se moquait du monde et se rendait ridicule quand il fit ce livre. Pour les spectres de Loyer, [67] et tout ce qu’en a dit L’Ancre, [68] et tant d’autres, ce sont pures bagatelles de gens oiseux et superstitieux. [23]
- Le maréchal de Gassion [69] était fils d’un président de Pau ; [70][71] c’était un guerrier qui savait faire autre chose que tuer des hommes. Il pensait aussi fort sentencieusement ; comme on lui disait qu’il devait se marier, quand ce ne serait que pour aider des héritiers de sa valeur et de son courage, il répondit admirablement : « Je n’estime pas assez la vie pour en vouloir faire part à quelqu’un. » [24][72]
- Josephus Maria Suaresius Vasionensis Episcopus [73] a été premièrement secrétaire du cardinal Bagni lorsqu’il était nonce en Flandres, puis a été bibliothécaire du cardinal Barberin, [74][75] lequel il a servi sept ans, et en a eu pour récompense l’évêché de Vaison en son pays, [76] et douze cents écus de rente. Il n’a guère que quarante ans ; il était fort savant dans l’histoire ecclésiastique. [25]
- Fortunius Licetus [77] a soixante et quatre ans. Il est natif de Rocca, qui est dans la République de Gênes. [78] Il est marié et est aujourd’hui le premier péripatéticien de l’Italie, et même du monde. C’est l’homme le plus laborieux que je connaisse : il a fait plusieurs livres et n’en a jamais fait imprimer aucun qu’il ne l’ait relu quatre ou cinq fois lui-même ; il a enseigné premièrement à Pise, [79] puis vingt-quatre ans à Padoue [80] et à Crémone ; [81] il enseigne maintenant à Bologne [82] avec quinze cents livres de gages. Il a encore quantité de traités à mettre au jour, outre ce que nous avons déjà de lui. [26]
- Je fais grand état d’un livre intitulé Religio Medici, qu’on pourrait intituler aussi bien Medicus Religionis. Il est d’un médecin anglais qui est fort habile dans sa profession ; [83] il a écrit de la vérole, [84] de Lue venerea. Il cherche maître en fait de religion, et peut-être n’en trouvera-t-il aucun. On peut dire de lui ce que Philippe de Commynes [85] a dit de saint François de Paule : [86] « Il est encore en vie, il peut aussi bien empirer qu’amender. » [27]
- Wolfgang, duc de Deux-Ponts, [87] qui vint en France avec une armée pour secourir les protestants sous le règne de Charles ix, [88] était un franc ivrogne, c’est-à-dire un vrai Allemand. Il mourut à La Charité-sur-Loire, [89] d’avoir trop bu, l’an 1569. Ce fut sur sa mort qu’on fit ce distique :
Pons superavit aquas, superarunt pocula Ponto,
Febre tremens periit, qui tremor orbis erat. [28]
- Andreas Alciatus [90] était un des savants hommes de son temps ; il enseigna le droit à Bourges, [91] où il fut appelé par François ier [92] l’an 1529, à douze cents francs de gages. Après y avoir demeuré cinq ans, il s’en retourna en Italie et enseigna à Pavie, [93] à Ferrare, [94] à Avignon [95] et à Bologne. Il est mort à Pavie l’an 1550, âgé de cinquante-neuf ans. Voyez sa vie et ses éloges au commencement des Emblèmes, avec le commentaire de Minos. [96] Le cardinal Franciscus Alciatus [97] était son parent ; il était de Milan, saint Charles [98] le fit faire cardinal par son oncle Pie iv ; [99] il mourut à Rome l’an 1580, âgé de cinquante-huit ans. [29]
- Si M. de Méziriac [100] eût vécu, il eût donné au public une nouvelle version de Plutarque, [101] qui eût été plus nette et plus fidèle que celle d’Amyot. [102] On dit qu’il avait corrigé dans son Amyot huit mille fautes, et qu’Amyot n’avait pas de bons exemplaires, ou qu’il n’avait pas bien entendu le grec de Plutarque. Fuit Jesuita et docuit Mediolani Rhetoricam annum agens 20, tum ægrotans exiit e sodalitate. [30]
- La maréchale de Guébriant [103] vient de mourir à Périgueux. [104] C’était une maîtresse femme qui avait de grands talents par les négociations, comme elle le fit voir à l’égard de Charlevois, [105] qu’elle sut faire sortir de Brisach [106] où il commandait, et qu’elle fit conduire prisonnier à Philippsbourg. [107]
En 1646, elle fut chargée de conduire en Pologne Marie de Gonzague, [108] fille du duc de Nevers, [109] avec titre d’ambassadrice extraordinaire. Elle était fille de René du Bec, marquis de Vardes, [110] gouverneur de La Capelle, [111] et sœur de René du Bec, [112] qui épousa la comtesse de Moret, [31][113] maîtresse de Henri iv et mère du comte de Moret, [114] qui fut tué à Castelnaudary l’an 1632. [115] Cette bonne comtesse n’était pas ennemie de l’humanité : sur la fin de ses jours, elle perdit la vue ; sur quoi l’on fit ce joli distique,
Cum longas noctes Moreta ab amore rogaret,
Favit amor votis, perpetuasque dedit. [32]
Elle était aussi mère du marquis de Vardes [116] d’aujourd’hui, seigneur de beaucoup de mérite, et est fameuse dans l’Euphormion de Barclay, [117] sous le nom de Casina. [33]
- M. le Prince défunt [118] ne fut obligé de lever le siège qu’il avait mis devant Dole [119] que pour avoir voulu ménager la maison des jésuites. [120] Il attaqua la place par un autre endroit, qui était le plus fortifié ; ainsi il échoua. [34]
- Duret de Chevry, [121] président des Comptes, était fils de Louis Duret, médecin. [122] Il mourut en 1637 après avoir été taillé de la pierre. [123] Voici son épitaphe :
Ci-gît qui fuyait le repos
Qui fut nourri dès la mamelle
De tributs, tailles [124] et impôts,
De subsides et de gabelles ; [125]
Qui mêlait dans ses aliments
De l’essence du sol pour livre. [126]
Passant, songe à te mieux nourrir,
Car si la taille l’a fait vivre,
la taille l’a aussi fait mourir. [35]
- Joannes Baptista Susius Mirandulanus [127] était médecin de Mantoue, qui saignait hardiment, et plus que tous les Italiens ; [128] et cela aussi à propos que notre Nation antimoniale donne l’émétique. [36][129]
- Paulus Manutius Venetus typographus, erat vir doctissimus, Aldi pater et Aldi filius. Putant istam Manutiorum familiam periisse et extinctam esse in Italia. [37][130][131] Paul Manuce a divinement travaillé sur Cicéron. [132] Il avait été préfet de la Bibliothèque vaticane, mais il fallut qu’il quittât Rome pour s’en retourner à Venise, d’où il fit sortir une sienne fille de son couvent, quoiqu’elle y fût professe depuis longtemps, puis il la maria ; mais comme elle s’abandonna à la débauche, ce bon homme en devint tout mélancolique ; [133] son mal s’augmenta d’une maladie invétérée qui lui ruina la santé et le fit mourir. Il ne laissa qu’un fils dont on n’a point parlé. Le chemin de la mort est si grand que tout le monde y entre. [134]
Tendimus huc omnes. [38][135]
- Pierius Valerianus Bellunensis [136] était un très savant homme, et ses œuvres le témoignent assez. Il a travaillé sur Virgile, [137] sur la Sphère, [138] et a fait aussi un traité de litteratorum Infelicitate, et un autre livre, qui est extrêmement rare, de fulminum significatione, imprimé l’an 1517. Il refusa plusieurs bénéfices, et aima mieux vivre en son particulier et Musis sacra facere. [39] Il mourut à Padoue l’an 1558, la même année que Fernel [139] et Scaliger. [140]
- Jordanus Brunus Nolanus [141] était un Napolitain, étrange esprit, capricieux et inventif ; il avait voyagé par toute l’Europe, il fut brûlé [142] en Italie à son retour du voyage de France pour hérésie. Scripsit de pluribus ; 1591, de infinito, atomis et vacuo. [40] On dit que Descartes [143] a pris bien des choses de lui. [41]
- Baudius [144] était un gentil esprit, qui écrivait admirablement bien en latin, comme il paraît par l’histoire qu’il a faite de la trêve de 1609 [145] et par ses lettres ; au reste, excessivement débauché, utrumque modo et vino et venere. [42] Il appelait le vin de Beaune [146] vinum deorum ; mais puisqu’il s’adressait toujours à des servantes, c’était un ancillariolus. [43][147]
- Julius Cæsar Bulengerus [148] était natif de Loudun, [149] fils d’un médecin natif de Troyes. Il se fit jésuite à Paris assez jeune. J’ai un petit livre, écrit de la main de mon père, [150] qui sont des leçons qu’il lui a dictées en 1586. Il sortit des jésuites et enseigna dans plusieurs collèges de Paris, à Harcourt, [151] aux Grassins ; [152] puis il devint aumônier du roi, alchimiste, fripon et débauché. Enfin, allant à confesse à un jésuite en un certain jubilé, il fut reconquis et regagné, après une parenthèse de vingt-deux ans ; et il se remit aux jésuites, chez lesquels il est mort environ l’an 1628, à Tournon [153] ou là auprès. Il était savant, mais tout ce qu’il a écrit n’a pas réussi. Les jésuites le voulaient obliger d’écrire contre l’Histoire de M. de Thou et contre Casaubon. [44]
- Angelus Politianus [154] a été un des beaux esprits qui furent jamais et, comme dit Érasme in Ciceroniano : [155] Rarum fuit naturæ miraculum. On dit qu’il était fort débauché. Il se fit nommer Politianus parce qu’il était de Monte Politiano en Toscane ; son vrai nom était Jean Petit. [45]
- La Provence est une petite Barbarie. M. d’Urfé [156] dit que les peuples sont dans ce pays-là riches de peu de biens, glorieux de peu d’honneur et savants de peu de science.
- Les chrétiens se ruinent à plaider, les juifs [157] à faire leur première cène, et les turcs à se marier. [46]
- Étienne Dolet [158] était fort savant, tant en prose qu’en vers, mais il a eu bien des ennemis. Il écrivit contre la ville de Toulouse quelques harangues, pour lesquelles il fit amende honorable. On dit qu’il était bâtard de François ier, mais il n’était pas reconnu tel. C’est chose certaine qu’il fut pendu et brûlé [159] pour sa religion, au temps qu’on faisait mourir les premiers huguenots en France ; sed non mihi constat de anno neque de loco, [47] je crois que ce fut à Lyon ou à Paris. Scaliger l’a appelé athée in suo Hypercritico. [48][160] Buchanan [49][161] et d’autres l’ont fort méprisé. Andreas Frusius [162] dans ses Épigrammes, page 40 :
Mortales animas gaudebas dicere pridem
Nunc immortales esse, Dolete, doles. [50]
Buchanan, lib. i Epig. :
Carmina quod sensu careant mirare Doleti ?
Quando qui scripsit carmina mente caret.
On a dit que l’an 1544, le 23e de février, Étienne Dolet, originaire d’Orléans et imprimeur de Lyon, fut brûlé à la place Maubert [163] à Paris, et qu’allant au supplice, il fit ces vers :
Non dolet ipse Dolet, sed pia turba dolet ;
que le docteur [164] qui l’accompagnait pour le convertir retourna ainsi :
Non pia turba dolet, sed Dolet ipse dolet. [51]
- Marcellus Palingenius Stellatus, qui a fait le poème intitulé Zodiacus vitæ, était un Ferrarais qui fut déterré et brûlé par les inquisiteurs pour les choses qui sont dans ce poème contre les prêtres et les moines. [52][165]
- M. Naudé [166] était un homme fort sage, fort prudent et fort réglé, bon ami, qui ne se fiait qu’à moi et à M. Moreau. [167] Il ne buvait que de l’eau. [168] Quand il avait reconnu la moindre chose dans un homme, il n’en revenait jamais, sentiment qu’il avait pris des Italiens.
- Conrad Gesnerus [169] mourut l’an 1565 à Zurich, [170] sa patrie, âgé de quarante-neuf ans. Ce grand homme, qui employa toute sa vie à l’étude des bonnes lettres et à travailler pour le public, se sentant pressé d’un charbon de peste, [171] et qu’il allait mourir, se fit porter en son étude où il rendit l’esprit. Je tiens la mémoire de cet homme louable d’avoir voulu mourir en un lieu si noble, et où il avait si généreusement employé la meilleure partie de sa vie à faire les grandes œuvres qu’il a laissées à la postérité, et qui dureront jusques à la fin des siècles. [53]
- Prosper Martianus [172] a fait de grands efforts pour bien expliquer Hippocrate. [173] Il a laissé des enfants à Rome qui, depuis sa mort, ont fait imprimer quelque chose de lui sur les Aphorismes. [54][174]
- Julius Cæsar Scaliger était un illustre imposteur, grand esprit et de bonne trempe. Il ne fut jamais à la guerre, comme il l’a dit, ni à la cour de Maximilien premier, empereur. [175] Il avait étudié dès sa jeunesse sans discontinuation. Il y a un certain Barth. Riccius [176] qui lui écrit en ces termes : Il faut que vous soyez bien savant dorénavant, car il y a trente ans que vous étudiez toujours. Il avait été cordelier, et en sortit pour paraître dans le monde. [55]
- Il y a eu deux Franciscus Patricius en Italie, unus Senensis, alter Dalmata. [56] Senensis a précédé l’autre de cent ans, et était évêque. [177] L’autre était un professeur à Rome ; [178] allant au Levant avec les Vénitiens, il en rapporta la Métaphysique de Philoponus, [179][180] qu’il a fait imprimer en latin à Venise. [57]
- Fabricius ab Aquapendente [181] était un professeur à Padoue, de grande réputation ; quand on l’allait voir, il montrait par parade une grande armoire pleine de vaisselle d’argent qu’on lui avait donnée par présent, pour l’argent qu’il avait refusé, et avait mis pour inscription sur icelle ces trois mots : lucri neglecti lucrum. [58] Les médecins de Paris ne peuvent pas en faire de même car, quand on leur fait un présent, on leur doit ordinairement deux fois davantage ; si bien que ce leur est lucri neglecti jactura, ou bien ex lucro neglecto damnum. [59]
- Nicolaus Francus ou Nicolo Franco [182] a été un des Rabelais de l’Italie, [183] aussi bien que Merlinus Cocaius. [184] Il écrivait excellemment bien, grand satirique. Il fut pendu [185] à Rome pour avoir médit et écrit contre Paul iv. [186] C’était un brave vieillard. On le prit dans son étude avec sa robe fourrée, et delà fut mené au gibet. Multa scripsit. Nicolaus Francus patria Beneventanus [187] Græcis et Latinis litteris peritus Aretinum [188] litterarum expertem juvit, sed cum labori præmia non responderent secessit ab eo, et in eum scripsit, sacris initiatus in male dicendi morbum recidit et in crucem sublatus est. Scripsit Epistolas, Dialogos et Latina Epigrammata. [60][189]
- Marsilius Cagnatus Veronensis [190] était un savant médecin qui pratiquait la médecine à Rome ; fort bon homme qui multa scripsit. [61] Il y a encore quelques manuscrits de lui qui restent à imprimer.
- Boxhornius, [191] hollandais, a fait imprimer à Leyde en 1633 Poetas Satyricos minores de corrupto Reipublicæ statu ; auquel livre, page 15, il a fait mettre Satyra de lite, pensant que ce fût une pièce ancienne, en quoi il se trompe fort, vu que ce poème est de M. le chancelier de L’Hospital, [192] et est imprimé dans son recueil in‑fo, page 78, qui commence ainsi :
O diræ Lites, o jurgia sæva reorum, etc. [62]
- Théodore de Bèze [193] fut surtout de bon triumvir, c’est-à-dire qu’il fut marié trois fois. Il mourut à Genève l’an 1605. Voici les quatre vers qu’Étienne Pasquier [194] fit sur ce sujet :
Uxores ego tres vario sum tempore nactus
Cum juvenis, tum vir factus, et inde senex.
Propter opus prima est validis mihi juncta sub annis,
Altera propter opes, tertia propter opem. [63]
- M. le duc de Chevreuse [195] est fils de M. de Luynes [196] et petit-fils du connétable, [197] qui mourut l’an 1621. M. <Charles d’>Albert de Luynes était un gentilhomme provençal qui fit fortune auprès de Louis xiii [198] par le débris du marquis d’Ancre, l’an 1617. [64]
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