À Charles Spon, le 24 avril 1657, note 4.
Note [4]

À la mort d’Auguste, premier empereur romain, en l’an 14 de notre ère (v. note [6], lettre 188), Tibère, son gendre et fils adoptif, lui succéda. Il sut habilement obtenir du sénat qu’il lui confiât la totalité des pouvoirs.

  • Tacite (Annales, livre i, chapitres xixiii) :

    « Sur quoi, les prières se tournèrent vers Tibère. Et lui se répandait en propos divers sur la grandeur de l’Empire et sa propre médiocrité : seul, disait-il, l’esprit du dieu Auguste était capable de soutenir une telle masse ; quant à lui, qui avait été appelé par Auguste à partager ses travaux, il avait appris par expérience à quel point était difficile et à quel point dépendait de la Fortune la charge de tout diriger. Aussi, dans une cité soutenue par tant d’illustres personnages, on ne devait pas tout confier à un seul ; plusieurs, associant leurs efforts, rempliraient plus aisément les fonctions de l’État. Il y avait, en un tel discours, plus de souci des convenances que de sincérité, et Tibère, même sur des choses qu’il ne cherchait pas à dissimuler, usait toujours, soit par nature, soit par habitude, de mots à double entente et obscurs ; et en cette circonstance, en raison de ses efforts pour envelopper profondément sa pensée, ses paroles étaient plus que jamais empreintes d’imprécision et d’ambiguïté. De leur côté les pères, n’ayant qu’une peur, qui était de paraître comprendre, se répandent en gémissements, en pleurs, en vœux, ils élèvent les mains vers les dieux, vers l’image d’Auguste, vers les genoux de Tibère lui-même […].

    À ce moment et comme le sénat s’abaissait aux plus humiliantes supplications, voici que Tibère déclara que s’il n’était pas capable d’assumer la totalité du gouvernement, il accepterait, quelle que fût la part qu’on lui en confierait, d’en prendre la direction. Alors Asinius Gallus dit : “ Je te pose la question, Cæsar, de quelle partie du gouvernement veux-tu que l’on te charge ? ” Déconcerté par cette question imprévue, il resta un moment silencieux, puis, reprenant ses esprits, il répondit qu’il n’était pas séant à sa propre modestie de choisir ou de refuser quoi que ce soit dans ce dont il prétendait être dispensé en totalité. Alors Gallus (qui avait deviné, au visage de Tibère, son mécontentement) répondit qu’il ne lui avait pas posé la question pour diviser ce qui ne pouvait être séparé, mais pour lui montrer que, de son propre aveu, le corps de l’État était un et devait être gouverné par un esprit unique. […]

    Lassé par la clameur générale et les supplications de tel ou tel, Tibère céda peu à peu, n’allant pas jusqu’à avouer qu’il acceptait le pouvoir, mais cessant de le refuser et de se faire prier. »

  • Suétone (Vies des douze Césars, Tibère, chapitre xxiv) :

    « Quoiqu’il n’eût hésité ni à s’emparer de la puissance, ni à l’exercer ; quoiqu’il eût pris une garde, et par conséquent la force et les dehors de la souveraineté, il la refusa longtemps avec une insigne impudence : tantôt répondant à ses amis qui lui conseillaient d’accepter, “ Vous ne savez pas quel monstre est l’Empire ”, tantôt tenant en suspens, par ses réponses ambiguës et une hésitation astucieuse, le sénat qui le suppliait et qui s’était jeté à ses genoux. Quelques personnes perdirent patience et l’une d’elles s’écria dans la foule “ Qu’il accepte ou se désiste ”. Un autre lui dit en face “ Ordinairement ceux qui promettent sont lents à tenir leur promesse, mais vous, vous êtes long à promettre ce que vous avez déjà fait ”. Enfin il accepta l’Empire, comme malgré lui, en déplorant la misérable et lourde servitude qu’on lui imposait et en exprimant l’espoir qu’il s’en délivrerait un jour. Ses paroles expresses furent “ Jusqu’à ce que j’arrive au temps où il pourra vous paraître juste d’accorder quelque repos à ma vieillesse. ” »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 avril 1657, note 4.

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(Consulté le 27/04/2024)

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