Texte
Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Préambule  >

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Nouvelle dissertation sur les lactifères thoraciques. [1]

J’ai reçu enfin l’opuscule de Riolan [2] contre mes Experimenta, dont le brouhaha s’était répandu depuis quelque temps. Le caquetage ininterrompu et favorable à mes ennemis que colportait cette rumeur malveillante ne sonnait certes pas les funérailles de ma sagesse, mais signait misérablement la lassante ratiocination d’un éminent homme qui a jadis tant mérité de la république anatomique. Je suis aussi navré et le serai longtemps par un si flagrant exemple des calamiteux aléas de la destinée humaine, que par [Page 102 | LAT | IMG] le juste choix de Socrate [3] qui aima mieux vider sa coupe d’un trait que continuer de vieillir. [1]

Si j’avais l’esprit aussi prompt à rendre les coups que mon penchant naturel à sévir contre Riolan, comme ses sarcasmes auraient dû attiser les feux de ma juvénile ardeur ! mais il est sot de rivaliser avec l’effronterie d’autrui et j’ai en horreur la faconde insultante. Néanmoins, c’est la nature qui procure les signes de la vérité et la parole qui soude la société, sans que l’une ne nuise à l’autre, et j’ai de l’estime pour les Spartiates [4] et pour les jeunes gens que les blancs sourcils d’un front ridé avaient coutume de faire rougir. [2] Bien froide est pourtant la gloire que l’imitation ne suit pas, et nous imiterons certainement la sienne sans intentions pacifiques, car Néoptolème [5] dégainera entièrement son glaive et vengera de toute la longueur de sa lame la furieuse attaque du vétéran. [3]

Le combat qui m’oppose à Riolan est celui de la vérité et, si différente que la sienne soit de la mienne, l’enjeu est de porter un jugement neutre. Dans la possession d’une chose convoitée, l’homme qui en désire fort le profit ne défend pas de bon cœur les droits du parti adverse, et dans les tumultes des sentiments discordants, il n’est pas ordinaire de prêter une oreille attentive au placide murmure de la raison. Un arbitre qui connaît l’équité et prône ses mérites est donc exigé pour contenir les embrasements des litiges. Pour ma part, je n’en choisis bien sûr pas un qui m’aime, mais quiconque cherche la vérité, et ce dans la nudité où je l’expose aux yeux de qui veut la voir.

Qu’on ne me propose pas de recourir à l’éloquence (comme fait perpétuellement Riolan), qui incite à soupçonner que la cause est titubante, et jusqu’à la haïr, mais de protéger, à l’aide de mots simples, la vérité qui a été injustement attaquée. Je réfuterai les âpres arguties de la logique riolanique en n’en appelant qu’aux preuves fournies par quelques expériences. Je pense que ce bouclier me suffira contre cet homme, dont la vue a été irrémédiablement [Page 103 | LAT | IMG] obscurcie par la décrépitude du grand âge et par l’opiniâtreté de la jalousie. [6] S’il me sent quelque part trop acerbe, qu’il se souvienne alors qu’on ne nie pas toujours impunément l’arbitrage des yeux et que, sans s’y attendre, il lui est plus d’une fois arrivé de regretter ses assauts contre un bouclier dont il méprisait l’attaque.


1.

Vnote Patin 4/500 pour Socrate, que les magistrats d’Athènes condamnèrent à boire une coupe de ciguë.

2.

Dans sa Vie de Lycurgue, Plutarque a donné plusieurs exemples de la considération que les Spartiates (vnote Patin 25/8214) avaient pour les vieillards, qui étaient chargés d’éduquer les enfants, et de veiller au respect des lois et des mœurs.

3.

Encore tout jeune homme, Néoptolème (autrement nommé Pyrrhus), fils d’Achille, participa à la guerre de Troie, où un de ses plus insignes exploits fut de tuer Priam, le vieux roi des Troyens.

a.

Page 101, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.

Proœmium

Accepi tandem, quod loquax du-
dum fama vulgaverat, adversus Ex-
perimenta mea Riolani opusculum :
non quidem meæ sapientiæ funus,
quale irrequieta et hostium amica ma-
ligni rumoris sparserat garrulitas, sed
in tanto viro, támque olim de Anatomica Republi-
câ benemerito miserabile ratiocinij fatiscentis indi-
cium. Doleo equidem longumque dolebo, exemplo
tam illustri sortis humanæ calamitosas vices, et quàm

b.

Page 102, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.

legitimâ electione senectuti Socrates anancæum po-
culum prætulerit.

Si mihi tam velox ad repercutiendum animus,
quàm proclivis ad sæviendum Riolano indoles, proh
juvenilis ardoris ignes, uberem dicteriis materiam !
At stulta est alienæ procacitatis æmulatio et probro-
sam in æternum abominamur facundiam. Index ve-
ritatis à naturâ concessus et societatis vinculum ser-
mo est, non utriusque dispendium : et Spartiatas ju-
venculosque laudavimus erubescere solitos canum
rugosæ frontis umbraculum. Atqui frigida laus est,
quam imitatio non sequitur : et imitabimur certè,
nec imbelles emeriti furoris conatus toto, quem
strinxit, gladio Neoptolemus ulciscetur.

De veritate mihi cum Riolano certamen est, utrius
nostrûm illa sit, neutrius est ferre judicium. Nimi-
rum in individuam delectantis rei possessionem ama-
tor homo commodi alienæ ditionis jura facilè non
sustinet ; nec inter pugnantium affectuum tumultus
placido rationis susurro pendulam aurem solet con-
cedere. Hinc compescendis litigiorum æstibus po-
scitur arbiter, qui cognoscat et pro meritis proferat
æquitatem. Hunc ego quidem eligo, non sanè, qui
me amet, sed quilibet veritatem quærit, qualem ex-
pono nudam oculis volentium.

Neque mihi propositum (quod Riolano perpetuum
est) eloquio uti adusque titubantis causæ suspicio-
nem odium excitante ; sed verbis simplicibus impe-
titam immeritò protegere veritatem. Solâ Experi-
mentorum aliquot evidentiâ asperas Riolanicæ logices
argutias refutabo. Hunc mihi suffectum ire clypeum
existimo adversus eum, cujus oculis immedicabilem

c.

Page 103 , Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.

et senij annositas et livoris pertinacia induxit caligi-
nem. Si me tamen uspiam acerbiorem senserit, me-
minerit ipse tunc non impunè semper arbitratu ocu-
los abdicari, et accidisse non semel, ut temerè ir-
ruentem tentati, quem spreverat, umbonis inspera-
tè pœnituerit.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Nova de thoracicis lacteis Dissertatio (1654) : Préambule

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(Consulté le 14/06/2024)

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