Texte : Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Expérience i, note 16.
Note [16]

Ioannis Riolani Ambiani, Medici Parisiensis, viri clarissimi, Opera omnia… [Œuvres complètes du très brillant M. Jean Riolan, médecin de Paris natif d’Amiens…] (Paris, 1610, page 516), {a} Ex Particulari Methodo Medendi, Sect. iii. Tract. ii. De Morbis et Symptomatis Hepatis [Section iii, tiré de la Méthode particulière de remédier, traité ii sur les Maladies et symptômes du foie], chapitre xlvii (et non xlviii), Fluor cœliacus [Le flux cœliaque] :

Sub hoc affectu chylosa quidem deiiciuntur, sed liquida, quia ventriculi et intestinorum imbecillitate accidit, saltem alimenta exeunt semicocta, non qualia sumpta sunt, ut in lienteria : At chylosæ deiectiones quæ accidunt hepatis attractrice languida, vel mesenterio obstructo, sunt crassæ : Sanè iam confectus chylus à ventriculo et intestinis, quia non potest ditribui, excluditur, sed crassus et coctus, non tenuis et aqueus vt in fluore cœliaco. Itaque si liquidæ et albæ fuerint deiectiones, quia ventriculi et intestinorum imbecillitatem arguunt, curetur hic fluor vt lienteria […].

[Lors de cette affection sont certes expulsées des matières chyleuses, mais liquides, parce qu’elle vient d’une faiblesse de l’estomac et des intestins. N’y sont émis que des aliments à moitié digérés, et non tels qu’ils ont été ingérés, comme dans la lientérie. Les déjections chyleuses sont épaisses quand elles sont le résultat d’une attraction affaiblie du foie ou d’une obstruction du mésentère : le chyle que l’estomac et les intestins ont déjà entièrement élaboré est expulsé car il ne peut être absorbé, mais il est épais et digéré, et non délié et aqueux comme dans le flux cœliaque. Si les déjections ont été liquides et blanches, elles témoignent d’une faiblesse de l’estomac et des intestins, le traitement sera donc le même que celui de la lientérie (…)].

Embarrassé par ce vocabulaire suranné, je suis allé chercher des éclaircissements sur la distinction entre les différentes sortes de diarrhées dans la Pathologie de Jean Fernel {b} sur les diarrhées, mais elle ne dissipe pas entièrement les obscurités de ce discours : {c}

« Le flux de ventre se fait par des causes toutes contraires, savoir est quand la viande {d} est trop liquide, trop coulante ou trop grasse ; quand elle surcharge trop l’estomac et les intestins par le poids de son excessive quantité ; quand ces parties sont irritées et époinçonnées {e} par l’acrimonie de quelque médicament, ou par quelque viande corrompue, ou par quelque excrément bilieux et âcre du corps, qui se jette là, ou qui s’y est engendré. Car ces choses émeuvent le ventre, le font couler et se décharger plus que de coutume. Or il faut établir les différences des flux de ventre par la diversité des matières qui en sortent. Quand sans cesse il sort du ventre des matières crues, c’est-à-dire aqueuses, liquides, humides, blanchâtres ou grises, et très puantes, et ce seulement avec rugissement et murmure du ventre, sans manifester tranchées {f} ni douleur, c’est lientérie ou cœliaque : car si les matières sont unies et comme du chyle ou de la crème, c’est cœliaque ; {g} mais si elles sont inégales et dissemblables, et que la substance de la viande s’y remarque encore entière sans être digérée, c’est lientérie. {h}

L’affection cœliaque n’est point causée de crudité ni de débilité d’indigestion de l’estomac, mais de l’imperfection et mauvaise distribution du chyle, {i} provenant de l’obstruction du mésentère, de la rate ou du foie, ou de l’imbécillité de la vertu attractive ; ou de l’abondance excessive des aliments, et particulièrement des fruits de peu de durée {j} et du breuvage immodéré ; car ce chyle ne se peut tout distribuer, mais la plus grande partie demeure dans le ventre. Il se fait, ensuite de ces causes-là, un grand amas d’ordures, lesquelles s’augmentent peu à peu dans les menus boyaux ou dans le ventricule, {k} ou dans le mésentère, ou bien autour des viscères, < et > se corrompent avec le temps. Et leur quantité venant à surcharger la nature, il s’en fait une évacuation par les selles et quelquefois par le vomissement, ou de leur mouvement propre, ou par l’effort de la nature qui ne les peut souffrir ; quelquefois elles sortent par la moindre émotion d’un lavement ou d’une médecine. […]

On appelle lientérie la lubricité des intestins en laquelle ce qui coule par le fondement est semblable, tant en substance qu’en couleur, aux aliments que l’on a pris. La cause de cela est non l’empêchement de la distribution, mais l’imbécillité de la première digestion, qui fait que les viandes étant encore crues sortent sans être changées, soit parce que l’estomac n’ait pas assez de chaleur pour les digérer, soit qu’étant trop relâché, il ne les retienne pas assez longtemps pour les bien digérer. […]

La diarrhée, bien qu’on puisse appliquer ce mot à toute sorte de flux de ventre, est proprement celui par lequel s’écoulent les humeurs plus sincères, sans faire beaucoup de douleur ; car tantôt la pituite, tantôt la bile jaune, tantôt la mélancolie, paraissent séparément toutes pures. La pituite crasse et morveuse se détache ordinairement des plus gros boyaux, où elle a coutume de s’amasser et s’épaissir. Elle vient aussi bien souvent du mésentère, où étant amassée en grande abondance, elle engendre des ordures et des squirres, et de là viennent d’ordinaire tous les flux pituiteux. […] La diarrhée bilieuse {l} est celle en laquelle la bile jaune ou citrine, fort ardente et souvent écumante, sans causer beaucoup de tranchées au ventre, parce qu’elle trouve le passage libre et ouvert. Cette bile dégorge souvent du foie trop échauffé, ou de la vessie du fiel, dans les intestins ; quelquefois aussi du mésentère, où la nature étant oppressée se décharge d’ordinaire des humeurs superflues ; et quelquefois, mais plus rarement, des plus grandes veines, et même de l’habitude du corps : car c’est ainsi qu’Hippocrate veut que la surdité et les autres maladies qui viennent de bile, se guérissent par la diarrhée. La diarrhée mélancolique procède de la rate ou du mésentère, lorsque la nature oppressée pousse et rejette dans le ventre la mélancolie naturelle ou la bile noire. Or celle-ci arrive moins souvent que toutes les autres. Les déjections paraissent alors quelquefois tellement noires qu’on les pourrait comparer ou à de la poix fondue ou à de la moelle de casse, {m} en laquelle plusieurs ont été trompés par la ressemblance qu’elle a avec la mélancolie. Cela vient assurément du sang, lequel tombant dedans les intestins quand il y a quelque veine des entrailles ouverte, rompue ou mangée, se brûle et noircit tellement dans les longues sinuosités et détours de ces parties, qu’il ressemble entièrement à de la poix. Or on le discerne en ce que les linges qui en sont mouillés deviennent rouges, et qu’il survient devant ou après un vomissement de sang. {n} […]

La dysenterie {o} est une déjection sanglante avec douleur et tranchées : d’où vient que les Latins lui ont donné le nom de tormina. Il sort au commencement une morve des boyaux, puis cette graisse, qui sert à les enduire par le dedans, mêlée d’un peu de sang, et c’est ici la première espèce de dysenterie. L’autre se fait lorsque la tunique intérieure des boyaux est emportée, de laquelle on voit les pellicules et les fibres mêlées parmi les déjections. La troisième est quand l’ulcère pénétrant et rongeant plus avant, la chair même et la propre substance de l’intestin tombe pourrie ou mangée. »


  1. Jean i Riolan, père de Jean ii : vnote Patin 9/22.

  2. V. note [17], Dissertatio anatomica, chapitre xi.

  3. Référence médicale majeure du xvie s., traduite en français en 1655, livre vi, chapitre x, Les symptômes des intestins, leurs causes et leurs signes, pages 448‑453.

  4. « des causes toutes contraires à la constipation, car alors l’aliment… »

  5. Excitées.

  6. Coliques, vnote Patin 2/347

  7. Contrairement à Riolan l’Ancien, Fernel ne semble pas établir de claire distinction entre les diarrhées cœliaque et chyleuse, dont Jean Pecquet traitait ici.

  8. Ainsi définie, la lientérie correspond à la diarrhée qu’on attribue désormais à l’insuffisance pancréatique externe (absence ou insuffisance des enzymes digestives produites par le pancréas). Dans l’ancienne pathologie, elle caractérisait la diarrhée hépatique.
  9. Fruits saisonniers qui se conservent peu de temps, comme les melons, les pêches, etc., si on n’en fait pas des confitures.

  10. Dans l’intestin grêle ou dans l’estomac.

  11. Traduction fidèle du latin d’origine, chyli imperfecta malaque distributio (Medicina, Paris, 1554, page 185), où Fernel n’établissait pas de distinction entre chyle et chyme : v. infra note [17].

  12. V. note [14], première Responsio de Jean ii Riolan, 5e partie.

  13. V. note [16], Historia anatomica, chapitre ix.
  14. Hémorragies digestives avec mælena et hématémèse (vnote Patin 1/8141).

  15. Vnote Patin 8/147.

Pecquet simplifiait ces nuances, désormais difficiles à comprendre, en distinguant seulement les flux chyleux et hépatique (bilieux), respectivement liés à la mauvaise absorption du chyle et à la défaillance du foie.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean Pecquet
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(1654)
Expérience i, note 16.

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(Consulté le 14/06/2024)

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