Texte
Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
5. Discours contre la nouvelle
doctrine des veines lactées
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan, Première Responsio (1652) aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (1651). 5. Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées

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(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 175 | LAT | IMG]

« Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées,
tiré de la Réponse faite par le sieur Riolan
[1][1]

Les temps, disait Tacite, sont rarement assez heureux, pour permettre à chacun d’avoir les sentiments tels que bon lui semble, et de dire hardiment ce qui lui vient en la pensée ; [2][2] mais nous pouvons dire aujourd’hui que notre siècle est trop rempli de ce bonheur puisqu’au grand détriment de la république, il est permis à chacun, sans que les lois y pourvoient, de produire et mettre au jour toutes les nouvelles opinions erronées et pernicieuses que son caprice lui fournit, tant en matière de religion que de médecine : aussi voyons-nous que la véritable et primitive religion de nos ancêtres se détruit journellement, que l’ancienne et véritable médecine, confirmée par les expériences de tant de siècles, se corrompt et pervertit entièrement, tant par l’introduction de nouveaux monstres d’opinions chimériques que par l’exhibition de mille sortes de médicaments venimeux, inventés pour tuer les hommes impunément. [3][3] Chacun invente à présent et fait la médecine comme il la veut et l’entend ; chacun a la liberté de faire prendre aux autres tout ce qu’il a pour médicament. Maintenant ce n’est plus la médecine qui guérit les malades, mais tout ce qui semble avoir guéri est médecine. En un mot, la plus grande partie de la science d’aujourd’hui est de ne savoir guérir [Page 176 | LAT | IMG] les malades ; ce qui arrive par l’ignorance de la vraie médecine, et le mépris qu’on fait des médecins doctes et experts. Il ne se faut donc pas étonner si la médecine est devenue aujourd’hui si défaite et difforme par tant de fausses opinions qu’à peine lui est-il demeurée aucune marque de sa première splendeur. Pecquet a bien fait davantage, il a commencé à bouleverser la structure et composition du corps humain par sa doctrine nouvelle et inouïe, qui renverse entièrement la médecine ancienne et moderne, ou la nôtre, tant en la physiologie qu’en la pathologie et thérapeutique. Car si le foie, suivant son opinion, n’est plus au rang des parties principales, n’est plus le siège de la faculté naturelle, n’est plus celui qui produit le sang dans nos corps, [4] mais seulement dédié à un emploi beaucoup plus vil et abject, à savoir à purger et séparer l’excrément de la bile [5] contenue dedans le sang de la veine porte, [6] il s’ensuivra que les maladies que nous attribuons au foie, à cause de son action blessée, à savoir lorsque l’attraction ou rétention du chyle est diminuée ou abolie, ou que la sanguification ne se fait pas, [7] telles que sont la diarrhée chyleuse, [8] la diarrhée hépatique, [9] la cachexie, [10] l’atrophie, [11] l’hydropisie, [12] il s’ensuivra, dis-je, que ces maladies ne dépendront plus du foie, mais seulement de ces veines lactées nouvellement découvertes, ou bien du cœur même et des poumons. [13] Et par conséquent que, pour la cure des maladies susdites, il ne faudra plus avoir égard au foie, ni lui adresser [Page 177 | LAT | IMG] des remèdes. C’est pourquoi il faudra dorénavant trouver ou forger une nouvelle méthode de guérir. Car si le foie n’est point le lieu où se forme le sang, en vain recherchera-t-on les corruptions de la masse du sang dans le foie ; en vain lui en attribuera-t-on les causes ; en vain travaillera-t-on à le corriger et purger ; en vain accusera-t-on le foie comme auteur de l’hydropisie, à cause de la sanguification frustrée ; en vain aura-t-on recours au foie comme à la source du sang et lui appliquera-t-on des remèdes pour arrêter les grandes hémorragies et flux de sang. Il faudra dire qu’Hippocrate s’est abusé bien lourdement quand il a écrit qu’on devait attribuer au foie bien disposé et fleurissant, la santé et la perfection de toutes les parties du corps. [4][14][15] Aristote même se sera trompé et aura écrit contre son opinion, puisqu’il dit que le foie contribue beaucoup au tempérament et à la santé du corps, à cause qu’il est la fin et le but des choses contenues dans le sang, et que de tous les viscères excepté le cœur, il en est le plus rempli et le plus important. Il fallait qu’il fût encore bien ignorant quand il a dit que la nature avait placé près du foie les réceptacles des excréments [16] afin que le sang, qui s’y forme, fût épuré et séparé des excréments qui, autrement, ne se pouvaient point porter au cœur sans l’infecter. [5][17] Arétée était démonté d’esprit quand il a écrit que le foie apporte d’autant plus d’incommodités et de mal, quand il est malade, qu’il cause de bien au corps, quand il est sain. [6][18] Si la rate a un pareil usage et le même office que le foie pour purifier la masse du sang lorsqu’elle en attire et suce l’humeur acide, elle ne travaillera en façon quelconque à la sanguification. [19] [Page 178 | LAT | IMG] Il faudra avouer que tous les médecins et les anatomistes ont eu bien peu de jugement quand ils ont traité de l’action de la rate, ayant dit qu’elle servait à séparer du sang et à recevoir l’humeur mélancolique, [20] et même à préparer le sang, suppléant au défaut du foie quand il est malade ou corrompu, ou bien à tirer et à boire les humidités superflues du chyle, ainsi que veut Aristote[7] Tous les péripatétiques qui défendent la doctrine d’Aristote [5][21] disent que le sang se prépare dedans le foie, se perfectionne dedans le cœur, où il reçoit la vertu nutritive et vitale, et sa chaleur, [22] se recuisant encore dedans les ventricules, pour devenir vital. [8][23] Les médecins sont bien abusés tous les jours, et abusent encore plus leurs malades, quand ils établissent l’origine et le fondement de presque toutes les maladies dans les obstructions du foie, de la rate, du mésentère et du pancréas, et qu’ils ordonnent des remèdes apéritifs [9][24] pour déboucher ces parties. Galien dit qu’il n’y a point de viscère plus sujet aux obstructions que le foie, à raison de la diversité et du mélange des aliments, desquels le chyle est formé, et de la petitesse des vaisseaux qui sont parsemés dans la substance du foie : [10][25] or, si le foie ne reçoit plus le chyle, cette cause de maladie cessera entièrement, et il ne faudra plus rechercher dans les obstructions des parties susdites les causes des maladies chroniques et rebelles.

[Page 179 | LAT | IMG] Il faut donc croire (au dire de Pecquet) que le chyle tout cru et indigeste, de même qu’il est composé de diverses viandes, [26] se portant dans des veines particulières, par un fort long chemin, à savoir depuis les lombes jusqu’aux rameaux subclaviers de la veine cave [27][28] se rend enfin dedans le cœur : et par conséquent, le cœur sera le chaudron du chyle, ou bien (pour parler en ses termes) il sera la marmite [11][29] destinée à cuire et à préparer le sang, et chassera les ordures par le ventricule droit [30] dans les poumons, ou bien il les entraînera avec soi dans le ventricule gauche du cœur, [31] et de là dans la grande artère, [32] laquelle recevra la première les ordures, avant qu’elles soient parvenues aux veines. Si la bile du sang qui tombe par la veine cave se sépare de celui-ci dans les reins, [33][34][35] si la bile du sang qui coule par la veine porte se sépare dans le foie, il faut de nécessité que toutes ces deux biles soient contenues dans le chyle et que, tout impur qu’il est, il se porte dans le cœur et dans les poumons, la séparation de cet excrément bilieux ne se pouvant faire qu’après plusieurs révolutions du sang par les veines et les artères.

Donc le cœur et les poumons seront plus mal nourris que toutes les autres parties du corps, puisqu’ils sont les premiers à recevoir ce chyle impur. [36] De même, ce sang impur se portant avec l’esprit vital par les artères carotides dedans le cerveau, [37] il en sera nourri et faudra qu’il en forme l’esprit animal (qui néanmoins doit être très pur et très subtil), ce qui nuirait sans doute, et incommoderait extrêmement le cerveau et toutes ses fonctions, tant principales que subalternes. [38] [Page 180 | LAT | IMG] Car la portion du sang artériel qui se porte par le tronc supérieur de la grande artère aux parties supérieures, si vous y comprenez la tête, sera égale à l’autre, qui est envoyée aux parties inférieures ; et partant, le chyle qui est attiré par le cœur en chaque battement qu’il fait, et qui en est chassé avec le sang, y apportera grand détriment.

Pecquet avoue de plus qu’il y a deux sortes de bile contenues dans le foie, l’une subtile, dans la vessie du fiel, l’autre plus grossière, qui coule par le méat ou conduit, et que toutes deux s’écoulent et se purgent par les boyaux[12][39][40][41] Par conséquent, cette bile infectera le chyle qui sera porté au cœur avec ces ordures par les veines lactées dorsales ; [42][43] mais il n’explique point pourquoi on trouve deux sortes de bile dans le sang de la veine porte, qui n’est que d’une même nature, ni pourquoi, étant séparée dans le foie, elle se renferme en divers lieux. Il en devrait bien rendre la raison puisqu’il a tiré cette doctrine de Riolan, qui en montre les causes dans son Anthropographie, au chapitre de la vessie du fiel. [13][44]

Si la diarrhée bilieuse [45] s’écoule incessamment du foie par les boyaux, le chyle sera gâté et rempli de mauvaises humeurs bilieuses, qui monteront au cœur avec le chyle.

Quelquefois les aliments liquides que les valétudinaires et malades [14][46] prennent ne se peuvent convertir en chyle par l’estomac, qui est indisposé. Néanmoins, si ces aliments sont d’un suc louable, le foie, qui pour lors est desséché, les attire et les suce [Page 181 | LAT | IMG] afin de pouvoir fournir la nourriture aux autres parties affamées, et pour lors ils se changent en sang, bon ou mauvais ; or, si ce suc est attiré par les veines lactées et qu’en tant que chyle, il soit porté au cœur, il nuira dangereusement au cœur et aux poumons, à toutes les veines et artères.

Aristote a écrit, et Pline après lui, qu’il n’y a que le cœur dedans le corps qui ne soit point sujet aux maladies et qui soit exempt des supplices de la vie. Et s’il conçoit une fois la pourriture dedans sa substance, il n’y a point de remède, si puissant ou si efficace qu’il soit, qui la puisse ôter et corriger, ainsi que dit Galien[15][47][48] Il n’est donc pas probable que la nature ait voulu accabler d’ordures le cœur, puisque c’est une partie si noble, et la principale de tout le corps ; toutes les autres n’étant faites et formées qu’en sa faveur et pour ses usages. Et étant donné que l’âme, suivant l’opinion de plusieurs, habite et réside au cœur, [49] et que l’on croit le sang artériel animé pour ce sujet, qui sera homme assez insensé pour croire que le cœur, qui est le trône de l’âme, et l’astre du Soleil, fasse la cuisine de tout le corps dans son cabinet, et que toutes les impuretés de la région alvine s’y transportent ? Si cela était, la vie de l’homme serait bien misérable et sujette à une infinité de maladies et d’incommodités, à raison des ordures du chyle qui monteraient incessamment en haut.

Si ces veines lactées sont couchées et fortement attachées le long des vertèbres des lombes [50] et du dos, puisqu’elles sont fort menues [Page 182 | LAT | IMG] et, pour ce sujet, plus faciles à rompre, quand il y aura luxation de plusieurs vertèbres comme quand l’épine des lombes et du dos se recourbe violemment, [51] ou qu’elle fait quelque puissant mouvement aux lombes, ces veines, qui sont le réceptacle du chyle, se briseront.

Et si ce réservoir [52] est placé dessus les lombes, entre les deux reins, et les muscles psoas, [53] qu’est-il besoin ici de l’assistance du foie pour exciter et pousser ces veines lactées, comme un pilon ou battoir, lorsque nous respirons ? [54] Pecquet n’avait que faire de prouver ces choses par des artifices mécaniques, [55] puisque le seul mouvement des lombes suffirait à pousser le chyle en haut ; mais il faut croire qu’il l’ignore.

Les veines lactées existent véritablement, mais tous les anatomistes qui les admettent ne sont pas d’accord touchant leur usage et office : Gassendi, l’autorité duquel est citée par Pecquet, leur donne d’autres usages, et dit que le chyle est infecté de bile, se trouvant encore jaunâtre dans les veines lactées, laquelle opinion j’ai refusée dans mon Anthropographie[16][56][57]

De ce temps-là Folli, Vénitien[58] fort jeune quand il écrivit, proposa cette même opinion en langue italienne ; et Bartholin le fils lui fit réponse en peu de mots, dans son Anatomie de la seconde édition. [59] Harvey, très expert anatomiste, auteur et inventeur de la circulation du sang par le cœur et les poumons, [Page 183 | LAT | IMG] fait peu de cas de ces veines lactées, croyant et soutenant que le chyle passe par les veines mésaraïques, et que le foie le suce et le tire d’icelles ; de quoi néanmoins je m’étonne fort puisqu’elles existent bel et bien, et que nous les voyons manifestement. Cela me fait douter des expériences qu’il se vante avoir faites dans les animaux vivants. [17][60][61][62][63][64] D’autres croient que le chyle se porte au pancréas par le canal de Wirsung[65] lequel est rempli de suc lacté chez les animaux vivants.

Pour moi, je crois que ces veines lactées ne sont pas inutiles, et qu’elles servent à reporter le chyle des boyaux au foie ; mais il est impossible qu’elles portent ce chyle au cœur, à raison de la distance du travers de huit doigts qu’il y a du cœur à l’insertion de ces veines lactées dans les rameaux subclaviers (qu’il aurait plus proprement appelés axillaires). Car si l’intention de la nature eût été d’envoyer le chyle par la veine cave au cœur, pour y en préparer le sang, elle eût bien plus commodément pu insérer ces veines lactées dans la veine cave, près du diaphragme, où elle n’est éloignée du cœur que du travers de deux doigts, ou plutôt de l’épaisseur du diaphragme, afin que le chyle se mêlant avec le sang qui monte, entrât aussi avec lui dans le cœur.

D’ailleurs, puisque ce réceptacle du chyle est tout contre la veine cave aux lombes, le chyle pouvait dès là se répandre dedans le tronc de la veine cave, vu que suivant la doctrine de la circulation, le sang qui est contenu dans ce tronc de la veine cave inférieure monte continuellement, jour et nuit, vers le cœur.

[Page 184 | LAT | IMG] Conring [66] remarque en son livre de la Génération et du mouvement du sang, page 82, que le chyle ne se porte pas tout au foie, mais qu’il y en a une portion qui parfois se transporte aussi dans la veine cave ; que même tout le chyle lacté n’est pas cuit dedans le foie, etc., parce qu’il y en a une portion qui se porte aussitôt tout droit de la veine cave, page 123 ; ce qui a été premièrement observé par Aselli[67] puis par de Wale [68] dans sa première épître. [18]

Or, si les veines lactées n’ont pas de tronc auquel elles s’unissent et se rendent, comme les mésaraïques, [69] tout au moins doivent-elles avoir un lieu commun, dans lequel elles versent le chyle comme dans un magasin. Telle est cette grosse glande remplie de chyle, qui n’est pas faite en forme de ventre, mais est un corps spongieux, duquel est puisé le chyle que portent au foie les deux canaux qui s’y voient insérer : celui qui est contenu dans les deux autres canaux de Pecquet, qui montent s’unir au tronc supérieur de la veine cave ; et celui que contiennent les autres canaux qui s’insèrent dans le tronc inférieur de la veine cave. [19]

Encore que ces veines lactées se trouvent dedans les animaux bien repus, en leur ouvrant le ventre quatre heures après, il ne s’ensuit pas qu’il s’en puisse trouver d’identiques chez les hommes. Et si par hasard [Page 185 | LAT | IMG] il s’y en rencontre, je crois que ce sont de petites branches du rameau mésaraïque de la veine porte qui, pour lors, sont remplies de chyle, qu’elles portent au foie par le tronc de la veine porte ; et que les autres rameaux dispersés par le mésentère, qui paraissent rouges et pleins de sang, sont des branches de l’artère cœliaque, [70] lesquelles fournissent aussi des aliments aux boyaux lorsque les veines mésaraïques sont remplies de chyle.

Cette traversée ou passage du chyle ne peut être que deux ou trois heures, après quoi le sang retourne aux boyaux par les veines mésaraïques. Or, comme en un animal vivant le foie attire continuellement le chyle par la veine porte, le sang se retire aussi dedans le foie ; et comme les veines mésaraïques sont pour lors remplies de chyle, l’animal étant mort et la faculté attractrice abolie, le sang qui se retenait par icelle dedans le foie retombe dans les veines mésaraïques et, en ce cas, les veines lactées disparaissent à cause du reflux et du mélange de ce sang qui, par sa rougeur, détruit la blancheur du chyle.

Et en effet, les veines lactées, au rapport même d’Aselli, qui en est l’inventeur, et suivant l’observation de plusieurs autres après lui, ne sont pas visibles, si ce n’est en un animal encore vivant, car elles disparaissent dès qu’il est mort. Pareillement, suivant l’inventeur même, elles n’ont aucun tronc, et c’est pourquoi plusieurs travaillent en vain à le rechercher. Il ne faut point pour tout cela s’éloigner de l’ancienne doctrine touchant la distribution du chyle, à savoir qu’il se peut faire que diverses humeurs, comme le chyle et le sang, puissent passer ou couler par les mêmes vaisseaux, mais en divers temps [Page 186 | LAT | IMG] et alternativement. Bien davantage, il n’est pas impossible que le chyle reçoive quelque teinture de sang dedans le tronc de la veine porte, ni même que diverses humeurs passent par les mêmes vaisseaux et en même temps, pourvu que les parties qui les attirent soient différentes. Or les boyaux tirent le sang par les veines mésaraïques, et le foie en tire le chyle quand il y en a dans ces vaisseaux-là. Ainsi nous voyons dans un verre, vulgairement appelé montevin, que par ses mêmes tuyaux le vin monte et l’eau descend. [20][71] Nous observons aussi qu’il sort des parties supérieures du pus tout pur, [72] par les veines et les artères, sans aucune teinture de sang, ou du moins fort légère. Nous voyons des fleuves qui, passant au milieu de la mer, y conservent la douceur de leurs eaux, sans qu’elles se mêlent avec celles de la mer, qui est salée, ainsi que témoignent ces vers :

Ac tibi cum fluctus subter labere Sicanos,
Doris amara suam non intermisceat undam
[21][73][74]

Si quelqu’un me demande ce qu’il me semble de ces deux veines lactées nouvellement inventées, comme elles sont décrites par Pecquet, je répondrai, avec Pline, omnium rerum sunt quædam in alto secreta et suo cuique Corde peruidenda[22][75] C’est pourquoi je n’en proposerai mon opinion que fort froidement et tremblant de même que les devins, qui ne disent rien que par les conjectures ; car j’ai [Page 187 | LAT | IMG] appris du Philosophe que φρονημα ταπεινον est une doctrine, [23][76] qu’il y a de certaine ignorance docte, et que ce n’est pas une moindre partie de la science de savoir qu’on ignore beaucoup de choses.

Ces deux veines lactées sont donc ainsi faites et disposées, peut-être afin que le sang qui coule avec trop de violence dans les artères par la circulation se rende plus grossier dans les veines, aux endroits où le tronc de la veine cave se divise, à savoir vers les rameaux axillaires et près des iliaques, [77] car le tronc de la veine cave reçoit ces veines lactées en ces deux lieux-là. [24] Peut-être aussi pour donner la nourriture à diverses parties du corps, qui naturellement requièrent des aliments différents, comme les os et la moelle ; peut-être pour la génération et réparation de la graisse [78] répandue par tout le corps ; peut-être pour produire la matière fibreuse nécessaire au sang, [79] à le rendre plus lent dans ses mouvements trop violents, ce qui est plus vraisemblable. [25][80] Peut-être ce chyle se verse-t-il dans le tronc de la veine cave, près des rameaux axillaires, afin qu’une portion du sang, s’étant épaissie par le mélange de ce chyle, demeure et tarde plus longtemps dans le cœur, pour y servir, comme d’un levain plus chaud et plus acide, à la préparation du nouveau sang artériel ; car le sang ainsi épaissi, s’étant fourré dans les petites fosses et recoins des ventricules, et sous les colonnes charnues ou musculeuses, s’y peut arrêter quelque temps, puisque tout le sang qui est contenu dans le cœur n’en sort point à chaque systole, y en restant [Page 188 | LAT | IMG] quelque petite portion cachée dans les lieux susdits.

Aussi d’ailleurs fallait-il que le sang fût composé de diverses substances pour la nourriture de diverses parties, afin que chacune d’icelles trouvât dans le sang, qui se distribue par tout le corps, quelque chose qui lui fût familier et symbolisant à sa nature, et le pût choisir parmi le reste, l’attirer et le convertir en sa substance. [26] De là vient que nous voyons [27] une substance grossière et fibreuse mêlée dans le sang, et une humeur pituiteuse, [81] prise et gelée au-dessus. Or, les fibres du sang semblent plutôt être produites de la portion la plus subtile du chyle qui se jette dedans le tronc de la veine cave, tant en haut qu’en bas, et non pas de celle qui se porte au foie, dans lequel le sang se produit uniforme, ou de même nature. Aussi les fibres du sang ne se peuvent point former et produire dans l’estomac, quoique Fernel l’ait écrit, d’autant que l’estomac, bien que nerveux, ne communique rien de sa substance au chyle, car s’il donnait tous les jours deux ou trois fibres de sa substance, il serait consommé en bref. [28][82] C’est pourquoi il est plus probable que les fibres du sang se forment de la matière grossière et pituiteuse, telle qu’est la portion du chyle la plus subtile, qui se coule par les veines lactées dans le tronc de la veine cave, en ses parties supérieure et inférieure.

Et lorsque nous voyons, environ l’épaisseur d’un petit doigt, une matière blanchâtre, collée et gelée au-dessus du sang que l’on a tiré par la saignée dans une poêlette, [83] elle ne provient pas tant de la pourriture et corruption du sang que de cette [Page 189 | LAT | IMG] portion susdite du chyle, qui sort avec le sang par l’ouverture de la veine et surnage au-dessus du reste dedans la poêlette, comme le moins recuit. [29] Que si elle est corrompue, ses fibres étant dissipées et putréfiées, elle se convertit toute en sérosité, inutile à nourrir le corps qui, pour cette raison, tombe en atrophie et devient tabide. C’est pourquoi les médecins ont accoutumé de rechercher avec un bâton large dedans les chaudrons où l’on a tiré du sang du pied, qu’il y a des fibres en quantité car, lorsqu’elles se trouvent, ils jugent le sang louable ; s’il n’y en a point, ils disent qu’il est fort corrompu. » [30] [Page 368 | LAT | IMG].

Omissions qu’il faut placer
aux endroits indiqués
.

Page 189 Ajoutez à la fin du chapitre, après pronuntiant. « Si ces veines lactées se trouvent en l’homme, peut-être que ce chyle se distribue aux rameaux axillaires et iliaques de la veine cave [Page 369 | LAT | IMG] afin qu’étant mêlé avec le sang d’en haut, elles fournissent un aliment visqueux et gluant à diverses glandes qui en sont voisines, comme aux glandes axillaires, à celles du larynx, du gosier, du dessous du menton, et aux autres du cou, qui sont placées le long de la veine jugulaire externe, [84] aux parotides, [85][86] et même aux mamelles des femmes. [87] Le chyle mêlé avec le sang d’en bas donne nourriture aux glandes des aines situées au-dessus et au-dessous des os pubis ; mais le chyle qui est contenu dans les canaux ou veines lactées du mésentère fournit de < la > nourriture à une infinité de glandes, et même au pancréas, qui est glanduleux. Et d’autant qu’il s’amasse beaucoup de graisse autour des dites parties glanduleuses, comme aux bras et au thorax, et aux parties inférieures, aux fesses et aux cuisses, ce même chyle semble servir à sa production et réparation.

La graisse du ventre répandue partout, et principalement vers les lombes, peut aussi provenir du chyle du mésentère. Cependant, vous remarquerez la sympathie [31][88] admirable qu’il y a du mésentère avec le cou, les aisselles et les mamelles, par le moyen de ces veines lactées : et pour ce sujet, le vice des glandes scrofuleuses, ou en un mot les écrouelles, [32][89] ne paraissent jamais en ces lieux-là que préalablement elles ne soient fondées ou enracinées dans le mésentère. C’est donc avec raison que les médecins, tant anciens que modernes, établissent l’origine des écrouelles dans les glandes du mésentère ; et < il > faut croire qu’elles ne se peuvent parfaitement guérir qu’on n’ait entièrement déraciné la matière grossière et visqueuse entassée en ces lieux-là ; mais pour quelle raison est-ce que ces tumeurs naissent plutôt [Page 370 | LAT | IMG] autour de la jugulaire externe, d’autant qu’elle est plus proche de l’insertion des dites veines lactées et qu’elle nourrit ces parties externes ? » [33][90][91][92][93]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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