Texte : Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre i, note 8.
Note [8]

Apparaissent ici pour la première fois dans notre édition :

Pour son modeste intérêt historique, je cite l’Examen opinionis Cartesii [Examen de l’opinion de Descartes] en exemple des assauts de Jean ii Riolan contre les autres anatomistes de son siècle : {a}

Renatus Cartesius, Philosophus in Batauia non ignobilis, sanguinis circulationem necessariam esse iudicat ad motum Cordis, qui excitatur et continuatur appulsu sanguinis ad Cor, focum caloris natiui, ibi sanguis cauitatibus Cordis intrusus et feruefactus, statim Cor intumescere, ac dilatare facit, atque in dextro ventriculo rarefactus, et quasi in vapores mutatus decurrit ad pulmones aêris plenos, ibi crassescit, et denuo in sanguinem mutatur, priusquam in sinistrum ventriculum confluat : præterea statuit sanguinem totum qui continetur arteriis, transiisse per Cor, et in venas, postea refluere, quæ cum Hepate considerandæ sunt instar vnius vasis. Attamen in ipsas venas, ab intestinis semper humoris aliquid illabi fatetur, atque asserit sinistrum Cordis ventriculum ampliorem et latiorem dextro.

Noua est ac inaudita, et prorsus absurda hæc opinio de circulatione sanguinis, quamuis iteratas circulationes per Cor in die non adstruat, et à Medico Professore Vltrajectino Henrico Regio proposita et propugnata fuerit, in suis Thesibus, qui distributionem sanguinis per guttas fieri scribit : talem mecum agnoscent, qui in rebus Anatomicis mediocriter versati fuerint : ipsam patefacere refutare est, quia per se destruitur, quod Medicorum est, promittant Medici.

Attamen ne videatur hæc opinio nimis imperiosè damnata, rationes quasdam adiungam. Cartesius αναστοιχειωσιν in sanguine, ut in elementis introducit. At si sanguis in aërem mutatus fuerit, quomodo permixtus aëri intra pulmones momento potest pristinam naturam recuperare ? Cur potius ad sinistrum ventriculum labitur spiritus, quàm in ambitum pulmonum, qui sunt spongiosi, perspirabiles, et foraminulenti ? Spiritibus faciliorem exitum præbere possunt in continua sua agitatione et flabellatione : Falsum est sinistrum ventriculum latiorem et ampliorem esse dextro, longior quidem est, sed non latior, imò angustior semper observatur.

[René Descartes, philosophe qui jouit de quelque renom en Hollande, juge que la circulation est nécessaire au mouvement du cœur car elle anime un afflux continu de sang dans cet organe, qui est le foyer de la chaleur innée : {b} le sang échauffé qui pénètre dans les cavités cardiaques en provoque aussitôt le gonflement et l’expansion ; une fois dilaté dans le ventricule droit et comme transformé en vapeurs, il s’écoule dans les poumons qui sont remplis d’air, où il s’épaissit et se change de nouveau en sang avant de gagner le ventricule gauche. Descartes estime en outre que tout le sang qui est contenu dans les artères est passé par le cœur, puis est recueilli dans les veines, qui sont à considérer comme formant un seul vaisseau avec le foie ; il croit toutefois que quelque humeur venue des intestins s’écoule toujours dans les veines, et ajoute que le ventricule cardiaque gauche est plus volumineux et large que le droit.

Cette opinion est nouvelle, inouïe et parfaitement absurde : elle n’établit pas que la circulation fait passer le sang dans le cœur plusieurs fois par jour, et elle a été proposée et défendue par Henricus Regius, professeur de médecine à Utrecht, dans ses thèses, où il a écrit que le sang s’écoule goutte à goutte. {c} Voilà des gens qui conviennent, comme je fais, de leur médiocre compétence en anatomie : leur opinion se réfute à l’évidence car elle se contredit d’elle-même ; quod Medicorum est, promittant Medici. {d}

Toutefois, pour ne pas sembler condamner trop autoritairement cette opinion, j’ajouterai quelques arguments : Descartes introduit la notion de régénération {e} dans le sang comme en toute matière, mais si le sang a été transformé en vapeurs, comment peut-il en un instant, après s’être mélangé à l’air dans les poumons, retrouver son ancienne nature ? et pourquoi l’esprit vital s’écoule-t-il plutôt vers le ventricule gauche que vers l’enceinte des poumons, qui sont spongieux, perméables et troués de toutes parts ? Étant donné leur perpétuel mouvement de soufflet, ils peuvent offrir une sortie plus facile aux esprits. Il est faux de dire que le ventricule gauche est plus large et volumineux que le droit, car il est certes plus long, mais n’est pas plus large ; on observe même souvent qu’il est plus étroit].


  1. Liber de Circulatione sanguinis (1649, v. note [4], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie), chapitre ix, pages 566‑567.

  2. Production des esprits vitaux.

  3. Je n’ai pas vu les thèses de Regius, mais il a résumé et illustré ces points de vue (sans dire exactement ce qu’en rapportait Riolan) dans ses Fundamenta Physices [Fondements de l’Histoire naturelle] (Amsterdam, 1646, vnote Patin 8/9091), chapitre x, pages 175‑196.

  4. « les médecins répondent de ce qui concerne la médecine » (« à chacun son métier… ») : Horace, vnote Patin 44/8007.

  5. Anastoïkheïôsis : détruire pour reconstruire est une base du doute cartésien.

  6. En médecine, il reste fort hasardeux de fonder les avis sur le raisonnement plutôt que sur l’observation des faits. Quant au ventricule gauche, il possède incontestablement une paroi musculaire bien plus épaisse que le droit, comme le montre le dessin de Regius ; mais quant à lui, Riolan n’illustrait pas ses ouvrages anatomiques.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre i, note 8.

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(Consulté le 13/06/2024)

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