Texte
Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre i  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Hyginus Thalassius (1654), alias Pierre De Mercenne, Brevis Destructio de la première Responsio (1652) de Jean ii Riolan : chapitre i

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=0050

(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 181 | LAT | IMG]

Brève Démolition,
ou Ratures de la Responsio de Riolan
aux Experimenta nova anatomica.

Écrite à Iatrophilus Pecquetianus,
par Hyginus Thalassius Sangermanus
[1][1][2]

Chapitre premier.

Riolan a obscurci la gloire qu’il s’est acquise en anatomie par le style injurieux de la plume qu’il a utilisée pour pérorer non seulement contre Pecquet [3] et les pecquétiens [4] qui louent sa découverte, mais aussi contre tous les médecins de son siècle.

Déjà trois ans se sont écoulés, mon très cher Iatrophilus, depuis qu’a été publié le petit livre de Jean Pecquet sur le réservoir du chyle[5] qui était jusqu’alors inconnu, et sur les lactifères qu’il a récemment découverts dans le thorax. [2][6] Puisque cela ne s’est fondé que sur ses expériences, dont nul esprit sensé ne méprise les preuves, il pouvait espérer son entrée dans le cercle des savants, même sans leurs applaudissements unanimes ; et puisque ce qu’il a simplement découvert n’est sans utilité, ni pour la physique ni pour la médecine, [Page 182 | LAT | IMG] et qu’il l’a publiquement démontré, il semblait s’être prémuni contre toutes les calomnies. Nul n’aurait donc pu présager qu’il se trouverait aujourd’hui des gens qui ne le jugent pas favorablement et équitablement, à moins qu’ils ne fussent rebelles à la lumière qu’il a projetée, ou qu’il ne s’agît de téméraires aveugles, ou de jaloux et orgueilleux Zoïles. [3][7] Le très docte M. Jean Riolan, anatomiste de très grand renom, n’en a pas moins dégainé le glaive de sa plume contre ces vaisseaux chylifères et ceux qui les ont vus, et il n’aurait pu les attaquer avec plus de colère et d’hostilité s’il s’était agi d’ignobles charlatans, d’assassins et de pendards qui attentent fort insidieusement à la fortune et à la vie des citoyens.

Tu t’émerveilleras, cher Iatrophilus, qu’un si grand homme, dont la remarquable ingéniosité des ouvrages a toujours gagné le respect de la république savante, et dont la propre gloire et celle de ses aïeux [8] n’ont jamais eu un tel éclat parmi les héros des belles-lettres, pourchasse l’honneur de la science par des médisances qui lui sont étrangères. Pour un homme qui est toute la journée en butte aux disputes et ne peut faire régner le calme dans sa famille, [4][9] il est pourtant difficile de surmonter sa nature, et bien tard pour devenir affable. Riolan, comme s’il était né pour le pentathle, [5] a en effet la coutume invétérée de défier au combat et de harceler avec ardeur tous ceux qui, par toute l’Europe, ont écrit sur l’anatomie, ac Romanorum more bella < ex > bellis serendo[6][10] au point de briguer si possible la primauté sur tous. Grâce à Dieu !, cher Iatrophile, ce n’est ni ici ni ailleurs que tu me verras de mauvaise foi. Regarde simplement, s’il te plaît, dans le gros volume de son Anthropographia[11] les titres des livres et de leurs chapitres : tu y verras aussitôt, au premier coup d’œil, comment, tout à fait sûr de son fait, il s’est attaqué à Du Laurens[12] Bauhin[13] Spiegel[14] Bartholin[15] Hofmann[16] Vesling[17] Parisano ; [7][18] il s’est aussi âprement battu contre Harvey[19] Wale[20] Conring[21] Descartes[22] Plempius[23] Leichnerum[24] Cornelius [Page 183 | LAT | IMG] Van Hoghelande[25] Regius[26] Liceti[8][27] sans parler de ses très sévères jugements sur les ouvrages d’autres anatomistes in quo pauci et quos æquus amavit Iupiter Theoninum dentem effugêre [9][28][29][30] Le désir d’en découdre ne s’est pas éteint chez notre septuagénaire dans ses divers Opuscula anatomica varia et nova[31] où il poursuit Harvey pour la troisième fois, puis s’en prend à Highmore[32] Gassendi[33] Pecquet, Guiffart[34] Schlegel[35] Bartholin[10][36] Ainsi, dit Sénèque, Hannibal non desiit senex omnibus angulis bellum, adeò sine hoste esse non poterat[11][37][38] Riolan écrit que unusquisque bene judicat ea quæ novit, et il use hac fiduciâ in libros et Authores anatomicos censuræ et animadversionis authoritatem[12][39] Riolan est donc le seul à bien raisonner et sainement juger, le seul aussi à avoir attaqué tous ses contemporains ; comme s’il présidait un tribunal, il a fait remarquer à tant de si célèbres anatomistes qu’ils étaient ignorants ; à la manière de l’homme dont a parlé saint Jérôme : qui cum mensâ posita librorum exposuisset struem, adducto supercilio, contractisque naribus ac fronte, rugatâ adversum singulos declamabat ; diceres criticum esse Longinum, Censorémque Romanæ facundiæ notare quem vellet et de Senatu Doctorum excludere[13][40][41]

Riolan dit que le jeune orgueilleux Pecquet s’est égaré dans une impasse quand il a eu l’audace de s’engager inconsidérément sur l’abrupt chemin de la nature, et donc periti anatomici censuram meruit [14] (c’est-à-dire de lui seul) ; mais qui lui montre la voie où l’on se perd à mordre et à dénigrer ? Cela n’est-il pas contraire aux mœurs chrétiennes, à toute philosophie et aux devoirs qu’on doit à la société humaine ? N’eût-il pas été plus glorieux pour le triomphant vieillard, siégeant sur la spina du cirque, d’encourager d’un signe ou d’un mot ceux qui se lancent dans la course et, quand l’un d’eux est [Page 184 | LAT | IMG] épuisé, aliis lampadem tradere de la main à la main, comme on aimait faire au cours des jeux de Prométhée, [42] que de railler et injurier les nouveaux champions pour les dissuader de courir ? [15][43] Quand on a atteint le faîte de la gloire en anatomie, il est plus honorable d’aider les vaillants efforts de ceux qui s’acharnent à progresser, que de les repousser dans l’abîme, si leur élan a quelque force, en les accablant d’insultes, qui sont comme autant de pierres qu’on fait dévaler du haut de la pente. Nemo per se satis valet ut emergat, dit Sénèque, lettre lii[44] oportet manum aliquis porrigat, aliquis educat. Quosdam ait Epicurus ad veritatem sine ullius adjutorio contendere, ex iis se fecisse sibi ipsum viam, quosdam indigere ope alienâ, non ituros si nemo præcesserit, sed bene secuturos, ex his Metrodorum ait esse[16][45][46] Nous n’appartenons pas à la première de ces deux catégories, et serons bien aise d’être admis dans la seconde. Riolan offre-t-il jamais de tendre la main pour aider Pecquet dans ses recherches ? Hé non ! car non seulement il blâme falsissimam et insolentissimam doctrinam, et remplie infinitos errores, mais il la fait passer pour folle, ennemie du genre humain et Medicinæ eversorem, insolentiorem libris Helmontij[47] dont l’auteur énonce un paradoxe pernicieux et détestable ; et il accuse deux de ses collègues, docteurs de la Faculté de Paris, [48][49] d’être ses défenseurs et approbateurs, et mettrait tout son pouvoir à les accabler de si rudes injures qu’ils seraient voués à la haine éternelle du genre humain. [17] Voilà Pecquet tenu pour un ignoble monstre, un prodige de scélératesse et de perversité, mais à quelle pire peine aurait-on pu le condamner s’il avait pissé sur les cendres de ses pères, s’il avait enseigné comment empoisonner les fontaines ou fabriquer la peste ?

En vérité, dit Hippocrate, les vieillards souffrent d’irascibilité[18] [Page 185 | LAT | IMG] comme le vin devient aigre quand il se mêle à la lie au fond du tonneau ; et Sénèque appelle fœx ætatis la vieillesse, [19] dont on peut aussi dire, non sans raison, qu’elle est une piquette, rendue d’autant plus amère que cet âge est plus impuissant. Notre vieux professeur aurait pourtant plus scrupuleusement modéré la virulence et l’atrocité de son discours en méditant assidûment sur son très prochain départ pour les cieux, puisque, dans son opuscule contre Schlegel, page 231, il a écrit se compter parmi les Cælicoli ; [20][50] et puisque le voilà maintenant penché sur les Saintes Écritures, en ayant examiné de plus près ce précepte du Christ, notre Seigneur : « Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal, mais s’il le traite de fou, il sera condamné aux feux de l’enfer » (Matthieu 5:22). [51] Aurait-il ensuite voulu marquer au fer rouge de l’infamie, en les flétrissant si ignoblement, des hommes innocents, tout en parlant si glorieusement de sa propre personne ? Pourquoi ne leur aurait-il pas appliqué les paroles de saint Jérôme, disant que la Gaule s’honore d’être seule à ne pas avoir eu de monstres, quand il invectivait l’impie et sacrilège hérétique Vigilantius ? [21][52]

Bien pire, ils ont commis le crime nouveau, encore jamais ouï, d’avoir, grâce à leurs yeux perçants, diligemment mis au jour certains secrets du chyle que la nature avait enfouis et cachés dans son sanctuaire, et réservés jusqu’à ce siècle aux découvertes du plus brillant et fécond des arts. Comme a dit Sénèque, chapitre xxxi, livre vii des Questions naturelles, Multa venientis ævi populus ignota nobis sciet, multa sæculis tunc futuris cùm memoria nostri exoleverit reservantur. Pusilla res mundus est, nisi in ipso quod quærat omnis mundus habeat, non semel quædam sacra traduntur. Eleusis [53] servat quod ostendat revisentibus, rerum natura sacra sua non semel tradit, initiatos nos credimus, adhuc in vestibulo hæremus ; illa arcana non [Page 186 | LAT | IMG] promiscuè nec omnibus patent, reducta et exteriore sacrario clausa sunt, ex quibus aliud hæc ætas, aliud quæ post nos subibit, aspiciet[22] Ainsi Riolan a-t-il clairement spolié la gloire de ce siècle en attaquant si iniquement la découverte de Pecquet et ses observations. Comme il s’est éloigné de l’admirable esprit des Anciens, dont il a vénéré priscorum in inveniendo curam, in tradendo benignitatem ! Il a pensé, comme écrit Pline, livre xxvii, chapitre i, à propos de ceux qui découvrent des plantes, que haud dubiè superatam hoc modo videri posse rerum naturæ ipsius munificentiam, si humani operis esset inventio : sed eam divinam apparere, etiam cum homo inveniret, eandemque omnium parentem et genuisse hæc et ostendisse nullo vitæ miraculo majore[23][54] Cela s’applique très clairement aux découvertes anatomiques, car il n’est pas moins important de mettre au jour de nouvelles veines que de nouvelles plantes, et si elle ne la dépasse pas, l’utilité de l’anatomie n’est pas moins glorieuse que celle de la botanique. Veneror inventa sapientiæ inventoresque, adire tanquam multorum hæreditatem juvat, dit Sénèque, lettre lxiv. Et singula quosdam inventa deorum numero addidere, omnium utique vitam clariorem fecere cognominibus, tam benigne gratiam memoria referente[24][55]

En vérité, me diras-tu pourtant, Riolan a concédé cette grâce à leur inventeur quand il a qualifié les canaux thoraciques du chyle de pecquétiens ; [25] mais puisqu’il n’a pas reconnu la véritable utilité de sa découverte, ledit vieillard a très rudement réprimandé notre jeune homme, quand il aurait dû apprendre de Sénèque, très rigoureux maître en sagesse, mollioribus verbis ingenia esse curanda, parce qu’il n’y a rien de plus doux et de plus aimable pour l’homme. Le même dit aussi : Illud potiùs cogitabis non esse irascendum erroribus quid enim si quis irascitur in tenebris [Page 187 | LAT | IMG] parum vestigia certa ponentibus ? quid si illis irasci velis qui ægrotant, senescunt, fatigantur ? C’est vraiment par mépris qu’il appelle Pecquet un enfant, num quis autem irascitur pueris, quorum ætas nondum novit rerum discrimina ? Maior est excusatio et justior hominem esse quam puerum[26][56] Castigatio levis lege concessa est docenti, et Paulus [57] dit que Præceptoris enim nimia sævitia culpæ assignatur. Iudex etiam omni affectu carere debet, et si id supra hominem videatur, nunc ne vultu quidem animi motum detegere decet (L. Observandum ff. de offic. præsid.). [27][58] Est donc condamnable celui qui proposerait qu’un juge devienne accusateur et, ce qui est plus indigne encore, viendrait dénoncer un crime dont il est manifestement coupable. Riolan n’est pas à l’abri du blâme puisqu’il se consacre entièrement à réprimander, car il tempête contre des erreurs où il tombe lui-même ; il souhaite tendre des pièges sans craindre de s’y faire lui-même prendre, mais c’est la main tremblante qu’il efface ses propres taches par le fer et le feu. Il s’est imaginé que certaines opinions sont monstrueuses pour ne pas manquer de matière à combattre, afin d’en nourrir son belliqueux esprit, ou pour ne pas sembler avoir sévi contre Pecquet sans quelque apparence de bon droit ; mais rien n’est plus faible ni plus inconséquent que les arguments qu’il emploie pour assaillir les voies du chyle. Étant donné qu’il les a lui-même suffisamment et plus que suffisamment réfutés, je pense qu’aucun des collègues qu’il a attaqués n’y a jusqu’ici répondu. Le très savant Bartholin a certes fort bien défendu les lactifères thoraciques, mais aujourd’hui le très ingénieux Pecquet ne met pas moins d’énergie à défendre leur cause, à tel point qu’il semblerait parfaitement inutile d’y ajouter quoi que ce soit et d’en disserter plus longuement. Toutefois, puisque Pecquet n’a pas réagi à tout ce que contient la Responsio de Riolan, j’ai décidé, dans les quelques chapitres de remarques qui suivent, de la corriger et raturer, non par confiance en moi, mais par confiance en la justice de ma cause ; non pour ternir le très brillant éclat [Page 188 | LAT | IMG] dont cet auteur jouit parmi les anatomistes, mais pour mettre toute la force dont je suis capable à ne pas souffrir que la lumière de la vérité soit étouffée car, dit saint Augustin, son épanouissement fait notre bonheur. [28][59] Le fait est bien que non solem proprium natura nec aëra fecit[29][60] et la vérité n’a pas d’yeux que pour les plus savants : elle est un bien commun à tous les mortels et leur héritage partagé que, toujours et partout, chacun est tenu de protéger car cette capacité lui a été donnée par Dieu le Père des lumières.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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