Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
5. Discours contre la nouvelle
doctrine des veines lactées
, note 17.
Note [17]

  • Thomas Bartholin a critiqué le traité visionnaire de Cecilio Folli (né en 1614) sur la production et l’utilité de la graisse, rédigé en italien (Venise, 1644), {a} dans le livre i, chapitre iii, De Pignuenide [Sur la graisse], de son Anatomia, page 17 : {b}

    Materiam pinguenidis lacteum esse succum, seu chyli pinguiorem nuper scripsit Cæcilius Folius, ex eoque ossa nutriri. Cui oppono 1. Pingues cibos comedentes non statim pinguescere. 2. Crudiorem esse chylum quam pro partium nutritione. 3. Pueros subito debere pinguenide vestiri. (Quod quidem etiam in nuper natis observamus, qui sanguine tantum materno fuerunt nutriti.)

    [Cecilio Folli a récemment écrit que la substance de la graisse est un suc lacté, ou la partie la plus grasse du chyle, et que les os en tirent leur nourriture. {c} J’oppose à cela que : 1. les aliments gras ne se transforment pas en graisse aussitôt après qu’on les a mangés ; 2. le chyle est trop cru pour nourrir les parties ; 3. les enfants doivent immédiatement se couvrir de graisse (comme nous l’avons même observé chez les nouveau-nés, qui n’ont encore été nourris que par le sang maternel)]. {d}


    1. V. notes [33], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (1655), pour ce traité italien de Folli, et [3‑2], Experimenta nova anatomica, chapitre vi, pour la longue discussion de Folli sur les veines lactées dans un livre écrit en latin (Venise, 1639), généralement favorable à la découverte de Gaspare Aselli.

    2. Leyde, 1651, v. note [5], lettre d’Adrien Auzout.

    3. Thèse générale de Folli dans son livre italien de 1644.

    4. En termes plus clairs (mais tout aussi contestables) : si la graisse alimentaire ne servait qu’à former les os, les enfants n’auraient pas dès leur naissance le tissu adipeux dont ils ont besoin pour vivre.

    La référence à Folli et Bartholin ne me semble pas ici de grande pertinence, mais Jean ii Riolan est revenu sur les relations entre le chyle et le tissu gras : v. infra note [25].

  • William Harvey a exprimé son avis sur les veines lactées dans son premier Exercitatio Anatomica de Circulatione Sanguinis, ad J. Riolanum [Essai contre J. Riolan, sur la circulation du sang], {a} pages 16‑19 :

    Præterea addit vir doctissimus (Encheridii libri secundi capite decimo octavo) quartum genus vasorum mesenterio ; quæ venæ lacteæ dicuntur, inventæ ab Asellio : quibus positis, videtur astruere omne alimentum, ab intestinis extractum, per ipsas ad jecur, officinam sanguinis, derivari : quo inibi concocto et in sanguinem transmutato (dicit libri tertii capite octavo) sanguis, ab hepate delatus, ad dextrum cordis ventriculum traducitur. Quibus positis, inquit, omnes difficultates quæ olim movebantur, de distributione chyli et sanguinis per eundem canalem, cessant ; nam venæ lacteæ vehunt chylum ad hepar, et proinde seorsum isti canales sunt, et seorsum obstrui possunt. Verum enimvero quomodo, quæso, lac illud in jecur transfundatur et pertranseat, et inde per cavam ad cordis ventriculum ? (quando sanguinem, in ramis portæ simæ hepatis distributis numerosissimis contentum posse pertransire, ut ita fiat circulatio, negat vir doctissimus) unde hoc verisimile demonstretur, scire velim ; præsertim cum et spirituosior et penetrativus magis sanguis, quam chylus aut lac in illis lacteis vasis contentum, appareat ; et adhuc ab arteriarum pulsu urgeatur, ut alicubi viam inveniat.

    Doctissimus vir mentionem facit tractatus cujusdam sui de circulatione sanguinis : utinam viderem, forsan resipiscerem. Sed enim, vir doctissimus si maluisset, non video quin, posito circulari motu sanguinis (atque in venis, uti dicit libri tertii capite octavo, sanguis perpetuo et naturaliter ascendit ad cor, sive remeat ad cor ; sicut sanguis in omnibus arteriis descendit, sive discedit a corde) hoc, inquam, posito, omnes difficulates, quæ olim movebantur de distributione chyli et sanguinis per esodem canales, æque cessarent ; ut ultra non necesse haberet seorsum vasa chyli inquirere aut ponere. Quandoquidem, sicut venæ umbilicales ab ovi liquoribus succum alimentativum absorbent, deferuntque ad nutriendum et augmentandum pullum, adhuc embronem existentem ; ita venæ mesaraicæ ab intestinis chylum sugunt, et in jecur deferunt ; idemque officinum adulto præstare quid prohibet asseverare ? Cessant enim omnes motæ difficultates, cum in iisdem vasis non duo contrarii simul motus supponuntur, sed eundem continue motum in meseraicis ab intestinis in jecur supponimus.

    De venis lacteis quid sentiendum alibi dicam, cum de lacte tractavero in diversis recens natorum partibus reperto, præsertim humano : reperitur enim in mesenterio et omnibus ejus glandulis, in thymo quoque, axillis etiam et mammis infantum. Lac obstetrices emungunt, ut putant, in salutem. {b}

    « En outre, ce savant ajoute (Enchirid., liv. ii, ch. xviii) : “ Il y a dans le mésentère un quatrième genre de vaisseaux, qu’on appelle veines lactées (découvertes par Aselli). ” {c} Il semble supposer que par ces vaisseaux les aliments sont extraits des intestins et arrivent au foie, qui est l’organe élaborateur du sang, et que là ils sont transformés et changés en sang. Il dit aussi (liv. iii, chap. viii) que ces aliments sont amenés dans le ventricule droit du cœur. {d} “ Tous ces faits, ajoute-t-il, font cesser les difficultés qui existaient autrefois relativement à la distribution du chyle et du sang dans les mêmes canaux, car les veines lactées conduisent le chyle au foie ; et comme ce sont des vaisseaux bien séparés, ils peuvent aussi être obstrués séparément. ” {c} Mais si ce suc lacté peut passer dans le foie et de là, par la veine cave, dans le ventricule du cœur, comment le savant Riolan peut-il nier que le sang contenu dans les innombrables ramifications capillaires du foie passe dans les rameaux de la veine porte ; car ce qu’il dit du chyle ou du suc blanc contenu dans les vaisseaux lactés peut être vraisemblablement dit du sang, liquide plus léger et plus pénétrant, et en outre poussé par les pulsations artérielles.

    Ce savant auteur fait mention d’un traité qu’il a fait sur la circulation du sang ; {e} si j’avais le bonheur de le lire, je me rendrais peut-être à ses raisons. Pourquoi n’a-t-il pas voulu admettre la circulation du sang dans les ramifications de la veine porte et de la veine cave ? Il dit (liv. iii, chap. viii) {d} que le sang des veines remonte toujours et va au cœur, de même que le sang de toutes les artères descend et s’éloigne du cœur. Je ne vois pas pourquoi, s’il a admis ces faits, toutes les difficultés qui existaient jadis sur la distribution du chyle et du sang dans les mêmes vaisseaux ne cessent pas également. {f} Il n’est pas nécessaire de supposer les vaisseaux du chyle distincts des autres. De même que les veines ombilicales absorbent le suc nutritif des humeurs de l’œuf et le portent à l’embryon pour le nourrir et l’accroître, même alors qu’il est déjà tout formé, de même pourquoi ne dirait-on pas que les veines mésaraïques absorbent le chyle des intestins et le portent au foie, remplissant chez l’adulte les mêmes fonctions que les veines ombilicales chez le fœtus ? Toutes les difficultés cesseraient, et l’on n’aurait pas à supposer deux mouvements contraires dans les mêmes vaisseaux, mais un même mouvement continu du sang dans les veines mésaraïques, des intestins au foie.

    Je dirai ailleurs ce que je pense des veines lactées en exposant mes recherches sur le lait dans les différents organes des nouveau-nés. On en trouve en effet, chez l’enfant, dans son mésentère et dans toutes ses glandes, dans le chyme, dans les aisselles et dans les mamelles, et les sages-femmes ôtent ce lait dans l’intérêt, disent-elles, de la santé des enfants. » {g}


    1. Rotterdam, 1649, v. notule {a}, note [14], première Responsio de Riolan, 2e partie.

    2. Traduction française de Charles Richet, 1879, pages 187‑189.

    3. 1649, édition française du Manuel anatomique, 1661, page 165 ; v. note [5], 3e partie de sa première Responsio, pour ce même avis de Riolan dans son Anthropographia de 1649.

    4. Ibid. supra, page 346.

    5. Ioannis Riolani Tractatus de Motu sanguinis eiusque Circulatione vera, ex doctrina Hippocratis [Traité de Jean ii Riolan sur le Mouvement du sang et sa véritable circulation, selon la doctrine d’Hippocrate] (Paris, Gaspard Meturas, 1652), ouvrage qui contient les réponses de Riolan aux deux essais que Harvey avait publiés contre lui.

    6. V. infra note [20] pour le curieux exemple du montevin auquel Riolan recourait en vue d’expliquer, contre toute évidence, que deux liquides différents (chyle et sang) puissent circuler dans un même vaisseau (veine mésaraïque) à des moments et dans des sens différents.

    7. Sans parler des veines lactées mésentériques, Harvey a plus tard défendu l’idée que la chylification contribue à la nutrition du fœtus {i} en plusieurs endroits de ses Exercitationes [Essais] « sur la Reproduction des animaux » (Amsterdam, 1651), {ii} notamment dans ce passage de l’Exercitatio 57, De Nutritione Pulli in Ovo [Sur la nutrition du poussin dans l’œuf], pages 254‑255 :

      His, aliisque observationibus, verisimile sit, pullum in ovo duplici modo nutriri ; per venas nempe umbilicales, et mesaraicas ; per illas alimentum probe confectum haurit, unde sanguis, et partes primogenitæ constituantur, et crescant ; per has, chylum trahit, in reliquarum fabricam, et augmentum.

      Quomodo autem contingat, ut idem agens, ex eadem materia, diversimode nutritionem instituat, (cum natura nihil agat frustra) ratio forsitan, in occulto latet. Dabimus tamen operam, ut eadem patescat.

      Quæ per umbilicales venas attrahitur, purior et sincerior pars est. Colliquamentum vero reliquum, in quo natat fœtus, est veluti lac crudum, purissima sui parte privatum. Sincerior itaque pars, concoctione ulteriore non indiget, qua reliqua opus habet ; ac propterea in ventriculum porro recepta, in chylum transit. Simile huic est lac crudum et aquosum, quale in mammis statim post partum cernitur. Quippe albumen ovi colliquatum, et lac aquosum sive crudum in uberibus, ejusdem plane caloris, saporis, et consistentiæ apparent. Primus enim lactis proventus, serosus est ; et mulieres aquam prius e mammis exprimunt, quam lac in albedinem coctum, et perfectum.

      [Selon ces observations et d’autres, il est vraisemblable que deux voies nourrissent le poussin dans l’œuf, qui sont les veines ombilicales et mésentériques : des premières il puise l’aliment parfait qui fabrique et augmente le sang et les premières parties embryonnaires ; des secondes lui vient le chyle pour établir et faire croître les autres parties.

      La manière dont il se fait pourtant que le même agent issu de la même matière assure deux modes différents de nutrition (puisque la nature n’exécute rien inutilement) est peut-être cachée dans une cause occulte ; mais nous nous efforcerons de la mettre au jour.

      Les veines ombilicales procurent la partie la plus pure et la moins altérée. Le liquide amniotique, dans lequel nage le fœtus, est comme un lait cru privé de sa fraction la plus pure ; ayant besoin d’être digérée, contrairement à la partie la moins altérée, elle pénètre dans l’estomac et se convertit en chyle, lequel est semblable au lait cru et aqueux, tel qu’il en sort des mamelles après l’accouchement : {iii} le blanc d’œuf liquéfié et le lait aqueux ou cru qui sort des seins ont une chaleur, un goût et une texture identiques ; le premier lait émis est séreux, et les seins des femmes produisent d’abord de l’eau, puis un lait parfaitement cuit et blanc].

      1. Bartholin l’en a blâmé en 1655 : vnote Patin 1/1078.

      2. V. note [10], 4e partie de la première Responsio de Jean ii Riolan.

      3. Le colostrum, vnote Patin 1/440.

    Un avis plus circonstancié se lit dans les Lettres de William Harvey sur la découverte de Jean Pecquet.


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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
5. Discours contre la nouvelle
doctrine des veines lactées
, note 17.

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(Consulté le 13/06/2024)

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