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Jean Pecquet
Experimenta nova anatomica (1651)
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Experimenta nova anatomica (1651) : Chapitre vi

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=0016

(Consulté le 20/05/2024)

 
[Page 17 | LAT | IMG]

Conclusion. [1]

Non seulement le chien, mais maints animaux domestiques possèdent des lactifères et un réservoir, et il ne fait pas défaut chez l’homme. Les auteurs les plus sérieux ont attesté de la vérité de ce petit livre.

Tu disposes ainsi (mon cher lecteur) d’une description exacte des veines lactées. En trois dissections, [2] j’ai résumé le travail assidu que j’ai mené pendant environ trois ans, car je t’ai épargné le peu de temps que j’ai perdu à m’égarer. Les trois chiens dont j’expose ici le sacrifice te donneront donc une idée approximative des plus de cent animaux vivants que j’ai éviscérés.

Ne crois pas que j’aie fondé ma conviction sur la seule preuve que m’a procurée l’examen des entrailles du chien ; [3] elle revendique l’honneur d’avoir démontré le chyle sur un troupeau presque complet : bœufs, chevaux, [1][4][5][6] porcs, chats, et bon nombre d’autres espèces, de tous âges que tu peux imaginer, ont ensanglanté mon scalpel.

Ainsi ai-je observé que la nature joue à disposer autrement les choses chez les moutons, [7] qui ne sont pas dotés de deux canaux : ils n’en ont qu’un, plus épais, pour conduire leur chyle depuis le réservoir [8] jusqu’à la quatrième vertèbre dorsale, où il se dédouble pour déverser son contenu dans la veine cave [9] après s’être abouché dans chacune des deux subclavières (comme nous l’avons décrit chez le chien). [10] J’ai parfois (mais très rarement) observé une conformation identique en d’autres animaux ; mais, d’une manière ou d’une autre, le chyle recherche le plus court chemin, en évitant de se disperser, pour s’enfuir du réservoir où il est emprisonné, et achever [Page 18 | LAT | IMG] constamment sa course dans les deux confluents jugulaires plus souvent que d’un seul côté (à ce que j’ai constaté). [11]

Je n’ai pas parlé de l’homme parce que j’exècre les rites de Tauride, et me suis nourri de sacrifices moins cruels. [12] Je n’ai guère épargné les bêtes que le Tout-Puissant a créées pour l’usage des hommes. J’ai respecté l’être vivant qui est plus sacré qu’elles, le souvenir de la loi naturelle, que je respecte, m’a tenu loin de lui. Mon but est sa bonne santé, ce qui n’a rien de bien effrayant. Il faut fuir la médecine qu’enseigne la cruauté et avoir en abomination la science qui enfante l’homicide. [2]

Toutefois, je prédis que, chez l’homme aussi, l’officine de la substance chyleuse n’est pas différente, car notre Père commun l’a pourvu de viscères semblables à ceux des bêtes.

Pour que tu n’ailles pas rire de ma sentence en disant que, faute de preuve, elle a fait naufrage avant d’avoir quitté le port, sache que Tulp à Amsterdam, [13] Vesling à Padoue [14][15] et Folli à Venise [16] ont depuis longtemps observé des lactifères sur le cadavre humain. [3] L’éminent témoignage du très célèbre Gassendi [17] le prouve aussi, quand il affirme que l’illustre Peiresc [18] a observé des veines remplies de lait dans le mésentère d’un pendu qu’on avait ouvert peu de temps après son exécution. Il l’a écrit dans le récit qu’il a donné de la vie de cet homme : « À cet effet, Peiresc, dès qu’il eut à prononcer une sentence capitale, prit soin de statuer que le condamné fût tranquillement et abondamment nourri avant d’être pendu, de manière à induire une production de chyle lactescent au moment opportun. Il veilla ensuite à faire porter le cadavre à l’amphithéâtre anatomique dans l’heure et demie qui suivit le supplice. Cela fut accompli avec une telle diligence que des veines blanches apparurent à l’ouverture de l’abdomen, et que l’incision de quelques-unes d’entre elles permit de recueillir du liquide lacté ; ce qu’on tint pour une observation tout à fait admirable. » [4][19] Quand il habitait à Paris, Gassendi m’a confirmé de vive voix avoir lui-même assisté à cette démonstration.

[Page 19 | LAT | IMG] Ce qu’on ne veut pas rendre public étant sans intérêt, j’ai invité plusieurs grands personnages, excellents observateurs et fins connaisseurs de l’anatomie, qui n’étaient certes pas issus de la lie du peuple, à être les témoins de ma bonne fortune, plutôt que de ma science, et je souhaite que leur autorité te convainque d’oser me croire.

Il m’est en outre agréable (s’il t’en faut plus) de placer mon ardeur obstinée sous le patronage de quelques-uns d’entre eux : la parole de deux ou trois, disent les Écritures, établira le fait, [5][20] mais j’en citerai plus que cela. En tout premier, bien sûr, Jacques Mentel, homme de haute lignée et très savant professeur en l’auguste École de médecine de Paris, qui est l’arrière-petit-fils de celui à qui le monde doit l’invention de l’imprimerie ; [6][21] ensuite, Pierre De Mercenne[22] très sage docteur en la même Faculté ; j’y ajouterai Adrien Auzout[23] natif de Rouen, homme profondément doué en tout genre de savoir, qui m’a généreusement procuré son aide, ses conseils et son intime familiarité ; et enfin Louis Gayan[24] remarquable chirurgien, dont j’ai admiré l’exceptionnelle adresse quand il disséquait publiquement sous la noble direction de Mentel dans les Écoles de médecine de Paris, et que j’ai choisi pour être à la fois le censeur de mes erreurs et le défenseur de la vérité qui m’est apparue au cours de la recherche si ardue que j’ai menée. [7] Si une mort prématurée ne l’avait emporté, je n’aurais pas oublié Jacques Du Val, très habile docteur en la même Faculté de médecine de Paris que sa libre bonne foi rendit naguère le chantre de la vérité dévoilée, tout comme son amour pour elle avait fait de lui le spectateur très assidu de mes expériences. [8][25]

Je n’en dirai pas plus d’eux pour ne pas blesser par la barbarie confuse de mon discours. [9][26] J’en ajouterais quantité d’autres, car la fidélité des témoins est certes suspecte quand ils sont peu nombreux, mais quand leur grand nombre n’y suffit pas, le juge ne manquera pas de se montrer injuste s’il veut l’augmenter au delà de ce qu’exige la loi. [5]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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