Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
6. Sur la circulation du sang, note 41.
Note [41]

Galien, loc. cit., Daremberg, volume 1, pages 419‑420 : {a}

« Ainsi, j’ai voulu relever les erreurs d’Asclépiade {b} au sujet des vaisseaux du poumon, et prouver que personne ne peut échapper à la loi d’Adastrée : {c} fût-on doué d’une certaine éloquence pleine d’astuce, on confessera soi-même sa mauvaise foi, on rendra hommage à la vérité, on aura alors un témoin d’autant plus digne de confiance qu’il témoigne malgré lui. »


  1. Chapitre xiii du livre vi dans Kühn, volume 3, page 466.

  2. Asclépiade de Pruse, v. note [30], première Responsio de Jean ii Riolan, 4e partie.

  3. Daremberg cite en note des extraits d’un commentaire très érudit de Caspar Hofmann sur ce passage de Galien : {i}

    Hæc lex (meminit ejus paulò post iterum, quemadmodum etiam 2. Diff. puls. 10. et 2. Sem.4. ubi Deam ipsam nominat) qualis fuerit, valdè obscurum est. Erasmus Chil. 2. Cent. 6. Adagio 38. laudans hæc loca, Miniatur (inquit) Galen. Medicis, qui falsa pro veris docent. Sed hoc dicere contextus non permittit. Docet enim, τον αδραστειας θεσμον esse lumen et splendorem veritatis : quo perstricti adversarij cogantur tandem veritati palmam dare. Et hæc est Adrastéa Platonica, in Phædro, 5. item de Rep. non procul initio, cujus Plotinus etiam meminit, l. de uniuscujusque Dæmone, et quam adumbrare voluisse videtur Homerus, Iliad. θ. initio, (ubi vide Spondanum) figmento aureæ catenæ, quæ à cælo dependens, terram contingit. Est autem (ut Ficinus apud Platonem interpretatur, ex Macrobio, ni fallor, l. i. in Somn. Scip. 14) ordo causarum fatalium (vide Gellium l. 6. cap. 2. Marcum Imper. in vitâ suâ lib. 10.) seu naturalium, à providentiâ divinâ institutus, et ob id αναποδραστον αιτια, ut in fine l. de Mundo Aristot. loquitur, caussa prima, caussa caussarum ην ουδεις αποδρασειε, (quæ Etymologia est, vide Nat. Comitem 10. Mythol. 19.) hoc est, cujus vim et efficaciam nemo hominum, imò nihil in his sublunaribus, possit effugere aut evitare. Hoc igitur velit Galen. In Naturâ omnia tam benè sunt apta suis causis, ut qui studio velit premere veram alicujus rei causam, non possit id facere perpetuò, sed vel denuò cogatur dicere, quod ipsa Natura disceret, si voce posset uti. Hoc Philosophus diceret, ειτω αυτης της αληθειας εκβιασθηναι, ab ipsa veritate cogi. Hunc Galen. sensum esse, persuadet mihi, quod in vestigio loqui incipit de causis, quarum numerum etiam texit. Tamen, si quis velit ex Philopono, 1. Post. et Plutarcho l. de Fato, hoc intelligere de demonstrationibus, quæ non minus cogunt, quam ipsa Adrasteas lex, quod video velle Budæum, Comm. Græcæ linguæ, et Langium 1. Epistol. 78. cum illo ego non pugnabo. Quia enim demonstrationes nectuntur ex causis, de verbis potius lis esset, quàm de rebus. Tu, si per otium licet, circumspice in his libris, et deposito amore, qui vetat te cernere verum, considera. An non Galen. sæpiculè ab hâc Deâ superatus, seipsum refutaverit ?

    [Ce qu’était cette loi (que Galien mentionne à nouveau un peu plus loin, ainsi que dans le livre ii sur la Différence des pouls, chapitre x, et au livre ii sur la Semence, chapitre iv, où il nomme ladite divinité) {ii} est fort obscur. Louant ce passage, Érasme (Adages, 38, 2e chiliade, 6e centurie) dit que « Galien en menace les médecins qui font prendre le faux pour le vrai » ; {iii} mais le contexte ne le permet pas, car Galien déclare que la loi d’Adrastée est la lumière et l’éclat de la vérité, qui force ses adversaires vaincus à la faire enfin triompher. Telle est l’Adrastée de Platon, dans Phèdre et dans le 5e livre de la République. {iv} C’est elle que Plotin a aussi citée dans son livre Du Démon qui est propre à chacun de nous, {v} et qu’Homère semble avoir voulu dissimuler dans L’Iliade, au début du chant viii (voyez Sponde sur ce passage), sous l’image d’une chaîne d’or qui atteint la terre en descendant du ciel. {vi} Elle est encore (comme l’interprète Ficin dans son Platon, d’après Macrobe, si je ne me trompe, au livre i sur le Songe de Scipion) {vii} l’ordre des causes fatidiques (voyez Aulu-Gelle, livre vi, chapitre ii, et l’empereur Marc-Aurèle, au livre x de ses Pensées), {viii} ou naturelles, que la providence divine a institué, qui est donc la cause inévitable, comme dit Aristote à la fin de sa lettre sur le Monde, {ix} soit la cause première, la cause des causes, qu’on ne peut fuir (à l’origine de son nom, voyez la Mythologie de Natalis Comes, livre x, chapitre xix) : {x} pour dire que nul être humain, et même rien en ce monde sublunaire, {xi} ne peut se soustraire ni échapper à sa force et à sa puissance. Voilà donc ce qu’a voulu dire Galien : toutes choses dans la Nature sont si intimement liées à ses causes que quiconque voudrait s’acharner à connaître la véritable cause de quoi que ce soit ne pourrait le faire indéfiniment, mais serait contraint de répéter ce que la Nature enseignerait elle-même si elle pouvait parler. Le Philosophe dirait que c’est être poussé de force par la vérité. {xii} Je suis persuadé que c’est le sens entendu par Galien, car il poursuit en parlant des causes, dont il tisse une liste. {xiii} Néanmoins, je n’irai pas me battre avec celui qui veut interpréter cela à la manière de Philopon, au premier livre des Posteriora, et de Plutarque, dans son livre sur le Destin, quant aux démonstrations qui ne sont pas moins convaincantes que la loi d’Adrastée elle-même, comme je vois qu’ont voulu faire Budé dans ses Commentaires de la langue grecque, et Langius, livre i, lettre lxxviii. {xiv} Les démonstrations, en effet, sont nouées aux causes, et on y débat plutôt sur les mots que sur les faits. Quant à toi, si tu en as le loisir, parcours ces ouvrages et, sans cette passion qui t’empêche de discerner le vrai, demande-toi si Galien aurait nié n’avoir pas assez souvent été surpassé par cette déesse]. {xv}

    1. Kühn : 1. volume 8, pages 625‑635, mais sans claire allusion à Adrastée dans une discussion sémantique sur les divers dialectes grecs (doriens et attique) ; et 2. volume 4, pages 621‑622, où la déesse est nommée à propos des médecins étreints par le doute scientifique (latin traduit du grec) :

      Quare hujus rei gratia non expectant externum accusatorem, sed ipsi seipsos dejiciunt ab Adrastea victi.

      [Pour résoudre une telle question, qu’ils n’attendent donc pas un accusateur extérieur, mais qu’ils s’en débarrassent l’esprit, vaincus par Adrastée].

    2. Commentarii in Galeni de Usu partium corporis humani lib. xvii [Commentaires sur les 17 livres de Galien concernant l’Utilité des parties du corps humain] (Francfort, 1625, vnote Patin 11/9062), livre vi, chapitres xii‑xiii, pages 113‑114.

    3. Fin du long commentaire sur l’adage no 1538, Adrastia Nemesis. Rhamusia Nemesis (pour dire qu’Adrastée et Rhamnusie sont deux autres noms de Némésis), dont Érasme écrit :

      Licebit uti vel in eos, quibus ob insolentiam arrogantiamque fortunæ commutationem minamur vel qui a rebus florentibus ad calamitosam fortunam redacti sunt. Hanc quidam Nemesim deam esse putant insolentiæ et arrogantiæ vindicem quæque spes immoderatas et vetet et puniat, Αδρστεια dicta απο του α στερητικου μοριου και δρασμου, quod nemo nocens meritam pœnam usquam effugerit, etiam si quando serius assequitur.

      [Pourra s’employer contre les insolents et arrogants à qui nous souhaitons un revers de fortune, ou contre ceux qui sont passés d’une situation florissante à un sort calamiteux. Certains pensent que cette Némésis est la déesse qui venge l’insolence et l’arrogance, et celle qui interdit et punit les espérances démesurées. Son nom d’Adrastée unit la particule privative a et drasmos, « fuite », car aucun coupable n’a jamais pu échapper au châtiment qu’il avait mérité, même si la déesse peut tarder à le punir].

    4. Propos de Socrate dans le Phèdre de Platon : « C’est une loi d’Adrastée, que toute âme qui, compagne fidèle des âmes divines, a pu voir quelqu’une des essences soit exempte de souffrance jusqu’à un nouveau voyage, et que si elle parvient toujours à suivre les dieux, elle n’éprouve jamais aucun mal. »

      La République de Platon, loc. cit. : « Je me prosterne donc devant Adrastée, Glaucon, pour ce que je vais dire. Car j’estime que celui qui tue quelqu’un involontairement commet un moindre crime que celui qui se rend coupable de tromperie en ce qui concerne les belles, bonnes et justes lois. »

    5. Plotin (v. notule {b}, note Patin 27/8210) a traité du démon familier (vnote Patin 46/8199) dans le livre iv de sa troisième Ennéade. Platon y est copieusement cité, mais sans allusion explicite à Adrastée.

    6. L’Iliade, vers 19‑22 du chant viii : « Du haut du ciel suspendez une chaîne d’or, et tous, dieux, et vous, déesses, attachez-vous à cette chaîne ; mais quels que soient vos efforts, vous ne pourrez entraîner Jupiter, le maître suprême, sous les régions inférieures. »

      Jean de Sponde (vnote Patin 4/677) a longuement commenté ce passage (Homeri quæ extant omnia [Œuvres complètes d’Homère], Bâle, Eusebius Episcopius, 1593, in‑fo, page 132), Aurea ista catena allegoricè à multis, idque variè explicata est… [De nombreux auteurs ont diversement et allégoriquement expliqué cette chaîne d’or…], pour conclure (sans nommer Adrastée) que Jupiter y figure le Dieu des monothéistes, unique créateur et maître de l’univers.

    7. Marsille Ficin (v. note [7], première Responsio, 5e partie, notule {d}) a édité et commenté tout Platon au xve s. Macrobe (vnote Patin 2/52) a laissé deux livres de commentaires sur Le Songe de Scipion (de Cicéron). Je n’ai pas approfondi ces deux références.

    8. V. notes Patin 40/99 pour les Nuits attiques d’Aulu-Gelle, et 1/671 pour les Pensées de Marc-Aurèle.

    9. Lettre à Alexandre le Grand sur le Monde (attribuée à Aristote), chapitre vii, Des noms de Dieu :

      « Je pense que ce qu’on appelle Nécessité n’est autre chose que Dieu, parce que sa nature est immuable, que c’est lui qu’on appelle Fatalité, parce que son action a toujours son cours ; Destin, parce qu’il conduit chaque chose à sa destination et qu’il n’y a point d’être qui n’aille à une fin ; Méra, parce qu’il distribue ses dons à chacun des êtres ; Némésis, parce qu’il fait cette distribution avec justice ; Adrastée ou Toute-Puissance [αναποδραστον αιτιαν], à cause de son pouvoir irrésistible sur toute la nature ; Aisa, parce qu’il est toujours le même. »

    10. Sic pour livre ix de la Mythologia de Natalis Comes (Natale Conti, Milan 1520-ibid. 1582), chapitre sur Némésis (pages 1007‑1011, édition de Lyon, Petrus Landrus, 1602, in‑8o) : son étymologie du nom Adrastée reprend celle d’Érasme (v. supra notule {iii}) comme on le lit dans l’édition française (Rouen, 1611, page 840).

    11. Sur la Terre.

    12. Source non identifiée.

    13. Daremberg, ibid. pages 420‑422.

    14. Passablement éreinté par cette litanie, je ne suis pas allé chercher ce que Philopon (vnote Patin 57/8196), auteur de commentaires sur les Analytica Posteriora [Seconds Analytiques] d’Aristote, et Plutarque (Œuvres morales, vnote Patin 9/101) ont exactement écrit sur le sujet, mais j’ai consulté les deux autres sources citées par Hofmann.

      • Guillaume Budé (vnote Patin 6/125) parle brièvement du sujet (sans allusion à la divinité, et en se disant de même avis que Plutarque) dans la colonne 257, lignes 44‑47, de ses Commentarii Linguæ Græcæ (édition de Bâle, Nicolaus Episcopus, 1556, in‑fo) :

        […] lex Adrastiæ dicitur propter consecutionis necessitatem, et quæ Συνειμαρμενα, quasi affata dicuntur, uel fati consequencia atque comitantia.

        [(…) la loi d’Adrastée qualifie la nécessité de la conséquence ; et les arbitrages du destin sont prononcées comme des prescriptions, qui découlent du destin et l’accompagnent].

      • Publiée dans l’Epistolarum medicinalium Volumen tripartitum [Volume en trois parties de lettres médicales] (Francfort, 1589, vnote Patin 17/264) (pages 467‑474) la lettre de Johannes Langius est intitulée Quid sit apud Galenum Lex Adrastia… [Ce que serait la loi d’Adrastée dans Galien…], et il dit y être de même avis que Budé.

    15. De ce très savant argumentaire, Daremberg conclut :

      « Je crois que c’est aller bien loin chercher des explications qui sont très près : Adrastée était un des noms de Némésis, et dire qu’on est soumis à la loi d’Adrastée, c’est dire qu’on est soumis à cette loi, fatale, inévitable de la justice qui toujours découvre la vérité et confond les faux témoins. »

      Cela ressemble fort, me semble-t-il, à ce que voulait dire Jean ii Riolan en citant Galien pour conclure son implacable mais boiteux réquisitoire contre Jean Pecquet.


Imprimer cette note
Citer cette note
x
Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
6. Sur la circulation du sang, note 41.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=1005&cln=41

(Consulté le 03/06/2024)

Licence Creative Commons