L. 140.  >
À Nicolas Belin,
le 17 décembre 1646

Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à quatre des vôtres, que j’ai attendu de vous faire quand je vous enverrai les thèses [2] que vous avez désiré que je fisse imprimer de deçà pour vous ; lesquelles enfin j’ai délivrées toutes reliées à M. Tartel, [3] le samedi 15e de décembre. [1] J’ai grand regret de la mort de M. Nissolle, [4] mais il n’y a point de remède, Contra vim mortis non est medicamen in hortis[2][5] Je me console de la mort d’autrui en m’accoutumant à mourir, [6] puisqu’enfin faudra-t-il que nous y passions tous :

Omnia transibunt, nos ibimus, ibitis, ibunt,
Ignari, gnari, conditione pari
[3]

Je prie Dieu qu’il renvoie la santé à monsieur votre père, [7] que je tiens un des meilleurs amis que j’aie en ce monde, et je vous prie de l’en assurer ; et afin que par ci-après il n’y ait entre nous deux aucun refroidissement, dites-lui s’il vous plaît, que j’abandonne entièrement tout l’intérêt de la cause du Gazetier [8] et des professeurs de Montpellier, [9] et que je donne tout cela à son amitié, ayant dessein de ne lui en parler jamais. Je vous remercie de l’honneur que m’avez fait de me vouloir dédier votre thèse, combien que je ne mérite rien de pareil. Je l’ai néanmoins accepté à cause de vous et de votre bonne volonté, et afin que monsieur votre père sache que je veux être son ami (même quand il ne le voudrait point) à cause de sa vertu et de sa générosité ; quo solo nomine [4] je l’en prie derechef. J’ai fait imprimer l’épître depuis l’impression des thèses et ai fait accommoder le tout au moins mal que j’ai pu. Les armes en taille-douce n’eussent fait qu’embarrasser et enchérir l’impression. Je ne veux d’autres armes que la grâce de Dieu et votre bonne affection. Absit mihi gloriari nisi in cruce Domini[5][10] Je chéris singulièrement l’honneur de la connaissance et de l’amitié de monsieur votre père, et la vôtre aussi. Je vous prie de me les conserver toutes deux et je vous promets que je ferai de mon côté tout ce que je pourrai pour le mériter.

J’ai grand regret que je n’aie eu l’honneur de voir M. Maillet. [6][11] Ses affaires l’ont empêché de venir céans. J’ai cherché le logis où il était caché, mais je ne l’ai pu trouver. Je vous prie de lui témoigner que je suis bien marri que je ne l’aie vu et entretenu. Maudits soient les partisans et les maltôtiers qui m’ont privé du bonheur et du contentement que j’eusse eu de le connaître. Vous m’obligerez particulièrement de lui faire mes très humbles recommandations. J’ai, par la même voie de M. Maillet, reçu une affiche d’un médecin de Lyon nommé Meyssonnier. [12] J’ai céans cette affiche il y a longtemps et y a encore plus longtemps que je connais le compagnon. Vix dicam verbo[7] c’est un fou glorieux et presque maniaque. Il a ici demeuré quelque temps, je l’ai vu et ai lu de ses livres, je sais bien de quel bois il se chauffe à Lyon. [8] Ne perdez point votre temps à rien lire de lui, ne lisez qu’Hippocrate, [13] Galien, [14] Aristote, [15] Fernel, [16] Houllier, [17] Duret, [18] Sylvius, [19] Riolan, [20] Tagault [21] Joubert [22] et fort peu d’autres, in quibus Hofmannus ipse dux regit examen[9][23] Je fais ici imprimer un autre livre de lui, dont je vous ferai présent dans un mois environ, comme l’auteur lui-même me l’a envoyé. [10] Lisez les bonnes thèses de notre École, [24] voyez ce que vous en avez afin que je vous envoie des meilleures si vous n’en avez point. Tandis que vous avez un peu de loisir, lisez tout ce qu’a écrit Thomas Erastus, [25] et principalement de occultis pharmacorum Potestatibus[11][26] et ses quatre tomes adversus novam medicinam Paracelsi[12][27] Lisez aussi tous les jours les Aphorismes[28] le Pronostic[29] le Prorrhétique[13][30] les Épidémies[31] ou les Coaques d’Hippocrate. [32] Sur les Aphorismes ne prenez en tout que trois commentaires, savoir Heurnius, [33] Houllier et Galien. Ménagez bien votre temps tous les jours et prenez garde que de toutes sortes de choses, le temps en est très précieux. Nulla dies abeat quin linea ducta supersit[14][34][35] Mais je me retiens de vous en dire davantage, cum habeas monitorem domesticum, eumque optimum[15] Au reste, M. Tartel m’a rendu 15 livres pour vos thèses, savoir neuf livres pour l’impression de la thèse, deux livres pour l’épître que vous avez ainsi voulue de votre grâce et quatre livres pour la reliure. [16] Tout cela a été fait un peu à la hâte ; si elles viennent à vous manquer, nous en ferons faire une autre édition plus belle. Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 17e de décembre 1646.


a.

Ms BnF no 9358, fo 107, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le fils,/ chez Monsieur son père,/ docteur en médecine,/ À Troyes » ; Triaire no cxliii (pages 516‑518) ; Reveillé-Parise, no lxxxv (tome i, pages 131‑134).

1.

V. notes [1], lettre 139, pour les thèses de Sébastien Belin que Nicolas, son neveu, faisait imprimer, et [2], lettre 84, pour Laurent Tartel, notaire à Troyes.

2.

« contre la puissance de la mort, il n’y a pas de médicament dans les jardins » (Schola Salernitana, v. note [15], lettre 75)

V. notule {i}, note [45], lettre 1019, pour le détournement de ce vers à la gloire de Jean Des Jardins (de Hortis), et note [4], lettre 129, pour François Nissolle, médecin de Montpellier.

3.

« Toutes choses trépassent, nous passerons, vous passerez, ils passeront,
Inconnus, célébrités, tous égaux de condition. »

Ce distique léonin (v. notule {d}, note [4], lettre 58) anonyme se lit chez plusieurs auteurs (comme Albert le Grand) et dans de nombreuses épitaphes, avec des variantes comme Chari, non chari [bien, mal aimés] au lieu de Ignari, gnari.

4.

« seule raison pour laquelle ». La brouille au sujet des médecins de Montpellier entre Guy Patin et Claude ii Belin, père, se confirmait ici avec éclat : il avait alors cessé (sous prétexte de maladie) de correspondre avec son ami parisien ; son fils Nicolas assurait encore un lien entre eux.

5.

« Pour moi, je ne tire gloire de rien que la croix de notre Seigneur » : Mihi autem absit gloriari nisi in cruce Domini nostri Iesu Christi (saint Paul, Épître aux Galates, 6:14).

V. note [1], lettre 139, pour les thèses imprimées de Sébastien Belin. Il n’y figure par d’illustration en taille-douce.

6.

Édouard (ou Odoard) Maillet avait été agrégé au Collège des médecins de Troyes en 1635. Comme il n’était pas docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, il devait avoir obtenu son diplôme à Montpellier, mais il ne figure pas sur la liste de Dulieu. Il avait cependant étudié à Paris, car Guy Patin a dit en 1654 (v. notes [5], lettre 379, et [27], lettre 380) qu’il avait suivi les leçons de Jacques ii Cousinot au Collège de France (où il avait été nommé en 1623).

7.

« Je le dirai d’à peine un mot ».

8.

On dit « il verra de quel bois je me chauffe, pour dire, quel homme je suis » (Furetière).

9.

« dont Caspar Hofmann lui-même est le guide qui dirige la troupe. »

10.

Après le traité De Medicamentis officinalibus de Caspar Hofmann (v. note [7], lettre 134), paru en 1646, Guy Patin préparait ses  :

Opuscula medica, in duas partes divisa, quarum prima habentur Pro veritate opellæ tres, nimirum : i. Adrastea Galeni. ii. Exercitationes iuveniles contra Æmil. Parisanum, et alios xvii neotericos. iii. Anti Argenterius, item Anti-Fernelius. Secunda parte continentur : i. Augustini Buccii, Ludovici Buccaferreæ, et Iulii Cæsaris Claudini de principatu partium corporis quæstiones tres, cum epicrisis Caspari Hofmanni ; ii. Collatio doctrinæ Aristotelis cum doctrina Galeni, de anima, instituta a Casparo Hofmanno ; iii. Casp. Hofmanni Pathologia parva, in qua Methodus Galeni practica explicatur… ; iv. Caspari Hofmanni, Reiectanea pathologica, qua de morbis formæ et materiæ, a Fernelio, Argenterioque per somnum visis…

[Opuscules médicaux, divisés en deux parties, dont la première contient trois petits ouvrages pour servir la vérité, savoir : i. L’Adrastée {a} de Galien ; ii Essais de jeunesse contre Emilio Parisano {b} et 17 autres modernes ; iii. Contre Giovanni Argenterio, {c} et aussi contre Jean Fernel. {d} La seconde partie contient : i. Trois thèses d’Augustinus Buccius, Ludovicus Buccaferrea et Julius Cæsar Claudinus sur l’origine des parties du corps, avec un jugement de Caspar Hofmann ; ii. Confrontation, établie par C. Hofmann, des doctrines d’Aristote et de Galien sur l’âme ; iii. Petite pathologie de Caspar Hofmann où la Méthode pratique de Galien est expliquée… {e} iv. Du même Caspar Hofmann, ce qu’il faut rejeter en pathologie, que Fernel et Argenterio ont vu en rêve…] {f}


  1. Dans le mythe, Adrastée, fille de Jupiter et de la Nécessité, est une particulière Furie (v. note [8], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 1er août 1669) chargée d’accomplir la vengeance des dieux, et dont personne ne peut éviter les coups (Fr. Noël). Hofmann était un très ardent pourfendeur de Galien, dont il ne manquait jamais de dénoncer les erreurs.

  2. V. note [1], lettre 188.

  3. V. note [3], lettre 9.

  4. V. note [4], lettre 2.

  5. Précédemment publiée à Iéna en 1640 (v. note [26], lettre 192).

  6. Paris, Gaspard Meturas, 1647, in‑4o de 144 pages.

    Sous le même titre d’Opusucla medica a paru un autre recueil de Caspar Hofmann (Francfort, 1667, v. note [14], lettre 150), mais son contenu est entièrement distinct de cette édition de 1647.


L’épître dédicatoire de ce recueil, adressée à Guy Patin, est datée d’Altdorf (quod in Norico est [qui est en Norique (ancienne province romaine incluant une partie de la Bavière)]), le 1er février 1646. L’approbation de la Faculté, signée Moreau et Patin, est datée du 1er décembre 1646, et l’achevé d’imprimer, du 8 février 1647.

11.

De occultis pharmacorum Potestatibus : quid, et quotuplices eæ sint : quibus in morbis, quomodo, quando, quem in curationibus usum habeant : Authore Thoma Erasto, Heidelbergensis Scholæ professore. Accessit huic tractatui disputatio alia eiusdem fere argumenti, de medicamentorum purgantium facultate, tribus absoluta quæstionibus, in qua tota probe horum pharmacorum natura declaratur.

[Sur les Pouvoirs occultes des médicaments : quels qu’ils soient et autant qu’il en existe ; dans quelque maladie, de quelque façon et à quelque moment qu’on les utilise dans les traitements. Par Thomas Erastus, {a} professeur en la Faculté d’Heidelberg. Avec une autre discussion de nature presque identique sur la faculté des remèdes purgatifs, résolue en trois questions, présentant parfaitement la nature de ces médicaments]. {b}


  1. V. note [31], lettre 6.

  2. Bâle, Petrus Perna, 1574, in‑4o de 194 pages.

12.

Quatre parties des Disputationum de medicina nova Philippi Paracelsi [Dissertations sur la médecine nouvelle de Philippe Paracelse], par Thomas Éraste (Bâle, 1572-1573, v. note [6], lettre 71).

13.

Le Προρρητικων (Prorrhétique ou Prédiction) est un traité du Corpus hippocratique composé de deux livres dont le style diffère beaucoup. La plupart des exégètes d’Hippocrate ont mis son authenticité en doute.

14.

« Qu’aucun jour ne passe sans qu’un coup de pinceau en subsiste. »

Érasme fait venir son adage no 312, Nullam hodie lineam duxi [Aujourd’hui je n’ai donné aucun coup de pinceau], de Pline (Histoire naturelle, livre xxxv, chapitre xxxvi, § 22 ; Littré Pli, volume 2, page 476), au sujet du peintre antique Apelle de Cos :

Apelli fuit alioqui perpetua consuetudo numquam tam occupatum diem agendi, ut non lineam ducendo exerceret artem, quod ab eo in proverbium venit.

« Apelle avait une habitude à laquelle jamais il ne dérogeait : c’était, si occupé qu’il fût, de ne pas laisser passer un seul jour sans s’exercer en traçant quelque trait ; cette habitude a donné lieu à un proverbe. »
.

15.

« car vous avez un conseiller à la maison, et il est le meilleur. »

16.

Les quatre thèses cardinales de Sébastien Belin (v. notes [1], lettre 139) sont précédées d’une dédicace [Epistola consecratoria]) :

Clarissimo et eruditiss. viro Dom. D. Guidoni Patin, Bellovaco, Doctori medico Parisiensi eximio, Sebastianus Belin, Trecensis.

[Sébastien Belin, natif de Troyes, à Maître Guy Patin, très illustre et très savant homme, natif de Beauvaisis, éminent docteur en médecine de Paris].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 17 décembre 1646

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(Consulté le 03/05/2024)

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