[Ms BIU Santé no 2007, fo 107 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Vopiscus Fortunatus Plempius, docteur en médecine, etc. à Louvain.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai reçu vos deux lettres par V. Phélipeaux, jeune homme savant et de bonnes mœurs, natif de Bruxelles, et vous en remercie tout particulièrement. [1] Lazare Rivière a été Monspeliensis magis decoctor quam doctor. [2][2] Avec quelques autres, par grande ignorance et insigne imposture, il a en effet hardiment et honteusement mis en banqueroute le renom de cette Université, qui a aujourd’hui misérable réputation par presque toute l’Europe. Ce Rivière était un pur et peu savant fripon qui n’aspirait qu’au lucre par de mauvais procédés et de fréquentes usurpations. Il était marrane et issu de cette famille qui nie la venue du Christ sur Terre et qui attend jour après jour celui qui ne viendra jamais. [3][4] De juif, il s’est fait calviniste ; mais après, il est passé chez les catholiques romains pour se goberger des appointements de sa Faculté. [5][6] On prépare à Lyon une nouvelle édition de toutes ses œuvres réunies ; [3][7] je vous l’enverrai si vous voulez, après qu’elle aura paru. Il ne s’y trouve rien de bon, à part ce qu’il a dérobé à Sennert, [8] qu’il a pillé tant qu’il a pu, à la façon d’un insigne voleur et honteux plagiaire ; et pour accroître sa matière, il y a joint des Observationes corrompues et misérables qu’il a tirées de Zacutus Lusitanus, cet autre vaurien qui est son congénère. [9] Ces deux-là ont été l’un comme l’autre des Sardi venales, alter altero nequior, [4][10] et les pires et les plus malencontreux des écrivains. J’ai honte d’un siècle si grossier où, au lieu d’Hippocrate et Galien, [11][12] se lisent des livres si misérables et si avortés. J’ai ici connu ce Rivière en 1646, [5] il s’est résolu à fuir pour garantir son salut et s’en est retourné dans son pays, après avoir raflé diverses sommes d’argent à des petites dames de la noblesse ; il leur promettait d’éloigner tous les maux à l’aide de divers secrets, pilules et poudres (à ce qu’il m’a dit lui-même) fabriquées avec le poumon, le cœur, le foie et la rate d’un jeune loup tué dans sa Provence au troisième quartier de la lune. Ad populum phaleras ! [6][13][14] il a été cymbalum ineptæ juventutis, [7][15] et un pur charlatan qui ne s’est intéressé qu’au lucre. [16] Jamais il n’a lu Hippocrate et Galien, les princes de la meilleure et la plus pure médecine. Hermann Conring, noble et savant Allemand, a porté sur lui un jugement exact, qu’on lit dans son Introductio ad Medicinam : in veterum lectione plane fuit hospes. [8][17] Je pourrais en écrire bien d’autres sur ce vaurien, mais cela n’en vaut pas la peine. L’un des nôtres, homme savant, s’attelle à une prochaine édition d’Arétée, [18] médecin grec de l’Antiquité, avec une nouvelle traduction et des notes : c’est Pierre Petit, dont je vous envoie deux opuscules de Motu animalium spontaneo et de Lacrymis, [9][19] avec deux autres dont la nouveauté ne vous déplaira peut-être pas. À part cela, nous n’avons ici rien de nouveau, par la cherté des denrées, comme du papier, qui a ici malencontreusement augmenté au temps de Mazarin et que personne ne pense à réduire. [20][21] Ô mores, ô tempora ! [10][22] L’impression du Cardan se poursuit à Lyon. [11][23] Primerose est-il toujours vivant en Angleterre ? j’ai eu bruit de sa mort. [12][24] Mais vous, très distingué Monsieur, vive et vale, et aimez-moi.
Votre Guy Patin de tout cœur.
De Paris, le 25e de mai 1662.