À Charles Spon, le 6 décembre 1644
Note [34]
Chimère abhorrée de Guy Patin et bien d’autres, la pierre philosophale (Furetière) :
« que les chimistes appellent la benoîte ou absolument la pierre, est le secret de faire de l’or par art, qu’il y a longtemps qu’on cherche et qu’on ne trouvera jamais. {a} Il y a une infinité de livres de la pierre philosophale que personne n’entend ; et quand on veut bien mépriser un chimiste, on l’appelle un souffleur, un chercheur de pierre philosophale. On fait accroire que Raymond Lulle, {b} Arnauld de Villeneuve, {c} Paracelse, {d} […] etc. ont eu la pierre philosophale. On dit, lorsqu’un homme a trouvé quelque commerce ou autre invention pour faire de grands gains, qu’il a trouvé la pierre philosophale. »
- Sans avoir encore perdu son temps à transformer le plomb en or, la physique atomique moderne en a prouvé la possibilité théorique, et a exploité la transmutation d’éléments chimiques entre eux.
- V. note [3], lettre 265.
- V. note [1], lettre 62.
- V. note [7], lettre 7.
Alexandrian a intitulé Le Grand Œuvre et la pierre philosophale un chapitre de son Histroire de la philosophie occulte (pages 189‑199), avec ces définitions :
« En 1645, William Salmon, dans son Dictionnaire hermétique, définit de cette façon le mot philosophie : “ Nom que l’on donne à la science ou art qui enseigne à faire la pierre philosophale. ” En effet, les alchimistes se considéraient comme les philosophes par excellence, et ne s’intitulaient jamais autrement. La vraie philosophie, pratique autant que spéculative, devait avoir pour but le Grand Œuvre, c’est-à-dire la préparation de la pierre philosophale dans ses trois états (quelquefois Grand Œuvre désignait la pierre en son troisième état, complet et définitif), et pour méthode, le Grand Art. Dom Pernety précise : “ Le Grand Œuvre tient le premier rang entre les belles choses la nature sans l’art ne peut le faire, et l’art sans la nature l’entreprendrait en vain. C’est le chef-d’œuvre qui borne la puissance des deux ; ses effets sont si miraculeux que la santé qu’il procure et conserve, la perfection qu’il donne à tous les composés de la nature, et les grandes richesses qu’il produit ne sont pas ses plus hautes merveilles. S’il purifie les corps, il éclaire les esprits ; s’il porte les mixtes au plus haut point de perfection, il élève l’entendement aux plus hautes connaissances. ” […] L’alchimiste est toujours dit le Philosophe (ou l’Artiste), et ses élèves ou ses assistants sont appelés les enfants de la science. […]
Le Grand Œuvre ne consiste pas à fabriquer de l’or, comme on le croit communément, mais à fabriquer la pierre pulvérulente qui convertira les métaux imparfaits en or. Cette pierre, en même temps, est une médecine absolue, assurant la santé et une longue vie si on en absorbe un peu deux fois par an dans un électuaire, et une médecine des trois règnes ; c’est pourquoi les auteurs parlent de pierre animale ou de pierre végétale, ce qui ne veut pas dire qu’elle a des parties animales ou végétales, mais qu’elle purifie aussi les corps animaux et végétaux. Elle est d’abord compacte en son premier état, puis elle devient, dans les deux autres, élixir, c’est-à-dire poudre (car élixir, comme alcool, désignait autrefois un produit sec, et non pas une liqueur). »
Plus clairement, derrière tout ce fatras, le grand œuvre est une utopie lucrative, mais à haute prétention philosophique et scientifique, qui consistait (et consiste encore hélas) à comprendre et maîtriser la nature des choses pour en transformer la matière, jusqu’à transmuter les métaux, et même à abolir la mort des êtres vivants. Les fumeux comtes de Saint-Germain (vers 1700-1784) et de Cagliostro (Joseph Balsamo, 1743-1795), sur lesquels ont notamment brodé les romanciers du xixe s., ont prétendu être ainsi parvenus à l’immortalité.