L. 265.  >
À André Falconet,
le 15 août 1651

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 15 août 1651

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(Consulté le 11/11/2024)

 

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu, Dieu merci, deux belles lettres de votre part pour lesquelles je vous rends grâces très humbles. J’y ai appris des nouvelles de votre santé, des eaux de Vichy [2] et de votre retour. Tout cela m’a fort réjoui. Je suis bien aise que vous ayez trouvé beau le livre de M. Riolan [3] contre M. Courtaud [4] de Montpellier. [1][5] On dit qu’il y veut répondre et d’ailleurs, M. Riolan fait une seconde partie, laquelle sera bien plus âcre, et je ne sais pas comment ce bonhomme M. Courtaud s’en pourra sauver ; ni lui, ni les siens n’y pourront répondre. Cette controverse, qu’ils ont de gaieté de cœur et fort imprudemment entreprise contre nous pour le Gazetier[2][6] ne leur a fait que du tort et a détourné beaucoup de jeunes gens d’y aller prendre leurs degrés. Les universités de Caen, [7] d’Angers, [8] de Reims [9] et autres n’y ont rien perdu. Je sais que j’ai quelque part la harangue de M. Courtaud, je vous la souhaite et vous l’enverrai quand je la trouverai. On dit que c’est un petit homme qui ne voit point de malades, qui emploie tout le bon temps qu’il a à chercher la pierre philosophale. [10] Je pourrais donc dire de lui ce que l’on a dit de Raymond Lulle [11] qui était un homme infatué en sa sorte : [12]

Dum lapidem quæris Lulli, quem quærere nulli
Profuit, haud Lullus, sed mihi Nullus eris
[3]

Je ferai souvenir à M. Riolan des statuts de votre Collège de Lyon [13] et comme vous ne recevez aucun docteur, de quelque pays qu’il vienne, qu’il ne soit agrégé et qu’il ne réponde à Lyon. Je vous remercie des bons avis que vous m’avez donnés sur la saignée [14] et de la bonne opinion que vous avez de notre Faculté. Notre Fernel [15] n’est-il point admirable ? Et néanmoins, j’en ai vu plusieurs qui faisaient encore mieux que lui : feu M. Nicolas Piètre, [16] MM. Du Chemin, [17] Seguin, [18] Cousinot [19] et autres, qui sont passés eo unde negant redire quemquam[4][20] ont été des hommes incomparables. Nous en avons encore qui me sont plus précieux que les diamants : MM. Bouvard, [21] René Moreau, [22] Guillemeau, [23] Jean Piètre, [24] Courtois [25][26] et autres, magnus erit quos numerare labor ; [5][27] mais je prie Dieu qu’ils nous demeurent longtemps, et surtout notre ancien docteur et bon ami M. Riolan qui est notre maître à tous tant que nous sommes, et qui est fort laborieux et le meilleur homme du monde. Il fait transcrire deux traités qu’il a faits, qu’il médite de mettre bientôt sous la presse. Si jamais nous sommes si heureux de les voir sortir en lumière, vous en aurez des premiers, vous et M. Spon notre cher ami.

Messieurs nos princes d’Orléans, [28] de Condé, [29] de Conti, [30] de Longueville [31] et de Beaufort [32] sont ici en très bonne et très étroite intelligence entre eux contre la reine. [33] Elle voudrait bien encore pouvoir faire revenir le Mazarin, [34] mais elle ne peut ni n’ose. On a découvert que M. le duc de Mercœur, [35] fils aîné de M. de Vendôme, [36] était marié, mais qu’il avait été si lâche que d’épouser la Mancini, [37] nièce [38] de ce malheureux et malencontreux ministre le cardinal Mazarin ; son affaire en est au Parlement[6] Les partisans y ont aussi présenté requête pour tâcher d’y avoir quelque raison, [7] ne la pouvant obtenir au Conseil à cause du président de Maisons, [39] surintendant des finances, qui leur est fort contraire. Ils tâchent de se rétablir dans les partis et dans les fermes du roi, [8] et promettent merveilles en bien si on leur donne de quoi se remplumer un peu. Il y a apparence que l’on ne conclura d’aucune grande affaire que le roi [40] ne soit déclaré en majorité. [9] On n’a point rempli le Conseil du roi depuis que M. de Chavigny [41] s’en est retiré. [10] La reine a eu envie d’y mettre M. de Châteauneuf [42] et notre premier président[43] mais les princes jusqu’ici l’ont empêché. Je pense que le roi le fera de sa puissance absolue dès qu’il sera majeur pour gratifier et pour complaire à sa bonne maman, sauf à eux d’y pourvoir au contraire s’ils ont du crédit. Quoi qu’il en soit, novum seculum novos mores, nova dominatio novos homines promovebit[11] Si vous voulez prendre la peine de lire le premier livre des Annales de Tacite [44] et le commencement de l’empire de Tibère, [45] vous y verrez toutes les circonstances d’un nouveau gouvernement tel que nous en aurons un dans 15 jours. Une mère passionnée et ultionis cupidine accensa [12] montera sur le théâtre de la royauté avec le roi son fils, de l’esprit et de l’autorité duquel elle tâchera de se servir pour appuyer ses créatures, afin qu’ils la conservent. Les princes, dont le parti sera fort considérable si on ne leur donne quelque contentement, s’opposeront à la reine de peur qu’elle ne les attrape pour se venger contre eux du Mazarin. Tôt après, il paraîtra quelque petit mignon ou favori qui, si Dieu ne nous aide, gâtera l’esprit du jeune roi. Il y a encore à craindre quelque femme et quelque maquereau, quelque moine, jésuite, confesseur et autres gens qui cherchent à faire fortune aux dépens d’autrui et qui n’ont pitié de personne pourvu qu’ils fassent leurs affaires, ut faciant rem, si non rem, quocumque modo rem[13][46] La cour des rois est toujours pleine de telles gens qui cherchent à faire fortune aux dépens (pour parler avec M. Amyot, [47] l’interprète de Plutarque [48] ) de la chose publique[14] Nous en aurons quelque échantillon dans un mois, il en sera ce qu’il plaira à Dieu, je prendrai patience en attendant. Faites-moi la faveur de vous souvenir d’un livre d’Avignon (ce que je dis, encore que le croie facilement que vous vous en souvenez bien). [15] Aimez-moi, s’il vous plaît, toujours, et croyez hardiment et fermement que je serai véritablement toute ma vie, Monsieur, votre, etc.

De Paris, ce 15e d’août 1651.

Les princes veulent que les états [49] se tiennent à Paris, la reine veut que ce soit à Tours. [50] Si les princes vont à Tours, on les y attrapera ; s’ils ne bougent de Paris, ils y seront les plus forts. Le roi dit hier à table, et fut bien entendu, que dès le lendemain de sa majorité il partirait à Tours aux états. [16]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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